Ces images ne montrent pas 700 soldats français venus à Abidjan pour “sécuriser” l’élection ivoirienne

La Côte d’Ivoire est régulièrement accusée par ses voisins de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) d’être la base arrière de manœuvres de déstabilisation à leur encontre. Une vague de désinformation en ligne provenant du Mali, Burkina Faso et Niger alimente aussi des narratifs selon lesquels le pouvoir ivoirien serait subordonné à Paris. Depuis début mai, des publications affirment, photos à l’appui, que 700 soldats français seraient arrivés en Côte d’Ivoire pour “participer à la sécurisation” des préparatifs pour l’élection présidentielle qui doit s’y dérouler en octobre 2025. Mais c’est faux : aucun soldat français n’a été déployé à Abidjan début mai pour aider à encadrer les élections, a démenti l’armée française. Les images utilisées pour le faire croire n’ont aucun rapport avec la Côte d’Ivoire, elles ont été prises en Afghanistan en 2013 et 2014.

"700 soldats français sont arrivés à Abidjan le 6 mai 2025 pour participer à la sécurisation de la période préparatrice [sic] des élections et la période post électorale", affirme un texte publié sur Facebook le 7 mai 2025.

La publication met en avant deux photos, censées prouver le déploiement de soldats français à Abidjan. La première photo montre un homme en uniforme militaire tenant un drapeau. Sur la deuxième, on peut voir des officiels passer en revue des troupes qui semblent françaises, vu l’écusson du drapeau tricolore sur leur bras.

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Capture d'écran d'une publication Facebook, effectuée le 19 mai 2025 / Croix rouge rajoutée par la rédaction de l'AFP

Cette publication et une dizaine d’autres avec le même texte et les mêmes photos cumulent des centaines de partages, de mentions "j'aime" et de commentaires. Le narratif qu’elles véhiculent est celui d’un gouvernement ivoirien subordonné à la France et dépendant de Paris pour assurer sa sécurité.

Donc l'armée ivoirienne est incapable de sécuriser les élections en territoire ivoirien et c'est l'armée française qui pourrait le faire à leur place ? C'est vraiment une insulte à son armée”, réagit ainsi un internaute, dans les commentaires d'une de ces publications. “Quel drôle de pays il n'y a plus ivoirien dans pays la pour la sécurité du pays il faut des français” [sic], se désole un autre, "quel honte pour l arme ivoirienne" [sic].

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Capture d'écran de commentaires sous une publication Facebook,
effectuée le 19 mai 2025
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Capture d'écran de commentaires sous une publication Facebook,
effectuée le 19 mai 2025

Cependant, ces allégations sont fausses : aucun soldat français n’a été déployé ce 6 mai 2025 à Abidjan pour la sécurisation du processus électoral. Les photos censées le prouver sont anciennes et n’ont pas été prises en Côte d’Ivoire.

Des images prises en Afghanistan

Pour retrouver l’origine exacte de ces deux photos, nous procédons à des recherches d’images inversées. Grâce à Google Images, on constate que ces deux photos sont en réalité très anciennes, car leurs premières occurrences datent de plus de dix ans.

On retrouve la trace de la première image grâce dans cet article de France 24 (archivé ici). La photo porte la légende suivante : “Les soldats français à l'aéroport de Kaboul, lors de la célébration du 14 Juillet, le 13 juillet 2013”. Toujours selon la légende, il s’agirait d’un cliché pris par le photographe de l’AFP Massoud Hossaini le 13 juillet 2013.

En cherchant dans les archives de l’AFP avec ces informations, on retrouve en effet la photographie en question. “Des soldats français montent la garde lors d'une cérémonie pour la fête nationale française célébrant la prise de la Bastille, à l'aéroport international de Kaboul, le 13 juillet 2013”, confirme la légende, qui précise que "la France compte 500 soldats en Afghanistan" à cette époque. 

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Capture d'écran du site AFP Forum, effectuée le 19 mai 2025

Le deuxième cliché est lui aussi lié à la présence des troupes françaises en Afghanistan. Grâce à la recherche d'images inversée, on retrouve sa trace sur internet dès 2014, sur une page de l’ancien site du ministère des Armées français qui évoque la fin de l’opération Pamir en Afghanistan.

En l’absence de légende précise, AFP Factuel a contacté l’armée française pour connaître l’origine exacte de la photo, au cas où elle serait utilisée en tant qu’image d’illustration. Cette “photo de revue des troupes a été prise le 31 décembre 2014 lors de la cérémonie de fin de l’opération Pamir, nom donné à l’intervention militaire française sur le théâtre afghan”, a confirmé à l’AFP l'État major des Armées françaises, dans un mail datant du 16 mai 2025.

Le but de cette mission entamée en 2001 "au sein d'une coalition internationale" était de "mettre fin au régime de terreur des Talibans, détruire leurs sanctuaires et ceux d’Al Qaïda et aider à la reconstruction d’un pays et d’un État”, indique le ministère des Armées sur son site. Environ 70.000 soldats français ont participé sur treize ans à cette mission, qui a coûté la vie à 89 d'entre eux "et fait plus de 700 blessés".

Ces deux clichés n’ont donc aucun rapport avec la Côte d’Ivoire, ils ont tous deux été pris en Afghanistan, au début des années 2010.

Pas de sollicitation de la Côte d’Ivoire pour les élections

En ce qui concerne la présence de soldats français en Côte d’Ivoire dans le cadre d’une prétendue “sécurisation des élections”, l’Etat major des armées françaises se veut très clair : aucun soldat français n’a été déployé début mai en Côte d’Ivoire dans ce but.

“Les armées françaises n’ont pas été sollicitées dans le cadre des élections présidentielles en Côte d’Ivoire, qui est un sujet national”, a indiqué dans son courrier du 16 mai l'État-major des Armées françaises. Aucun nouveau soldat n’a été déployé.

En revanche, l'État-major a rappelé qu’un “détachement de liaison (...) composé de moins de 100 militaires” est présent en Côte d’Ivoire de manière permanente, conformément au partenariat militaire entre les deux pays.

Ce partenariat militaire remonte à la période post-coloniale. Un accord de défense a été signé au lendemain de l'indépendance de la Côte d'Ivoire en 1961, mais il a connu dernièrement quelques modifications pour réduire la présence militaire française sur le territoire ivoirien.

Paris a en effet rétrocédé le 20 février 2025 à la Côte d'Ivoire la base militaire de Port-Bouët - rebaptisée depuis Thomas d'Aquin Ouattara, du nom du premier chef d’Etat-major de l’armée ivoirienne - et près de 90% de ses effectifs sont rentrés en France, laissant sur place seulement la petite centaine de militaires évoquée.

Sollicités par l’AFP, les ministères ivoiriens de la Défense et de l’Intérieur n’ont eux pas répondu.

Accusations de déstabilisation

La majorité des publications relayant l’allégation vérifiée ici provient de comptes basés au Burkina Faso, au Niger ou au Mali.

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Capture d'écran d'un profil Facebook ayant relayé l'allégation sur les soldats français, effectuée le 19 mai 2025 /
Encadrement rouge rajouté par la rédaction de l'AFP
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Capture d'écran d'un profil Facebook ayant relayé l'allégation sur les soldats français, effectuée le 19 mai 2025 /
Encadrement rouge rajouté par la rédaction de l'AFP

La Côte d’Ivoire est depuis quelques mois régulièrement la cible de fausses informations, en particulier des pages et comptes soutenant activement les pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). AFP Factuel en a déjà vérifié plusieurs (ici ou encore ).

La plupart des allégations déployées dans ce cadre alimentent des narratifs selon lesquels le pouvoir ivoirien serait subordonné à Paris ou bien serait à l’origine de tentatives de déstabilisation visant les juntes du Burkina Faso, Niger ou au Mali. Ces accusations sont aussi portées directement par les dirigeants de l’AES.

Dernièrement, la junte burkinabè a ainsi affirmé sur les antennes de la télévision nationale burkinabé (RTB) avoir déjoué un "grand complot" le visant, dont les cerveaux seraient localisés en Côte d’Ivoire. Abidjan a toujours rejeté ces accusations.

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