Attention, ces vidéos de professeurs incitant à tricher avec l'intelligence artificielle ont été générées par... IA

L'intelligence artificielle (IA) fait désormais partie intégrante des outils utilisés par les étudiants pour réviser voire pour rédiger leurs travaux. Tandis que certains enseignants tentent, parfois à l'aide de logiciels dédiés, de détecter l'usage de l'IA, les réseaux sociaux, eux, regorgent de conseils pour "mieux" tricher. Parmi ces tendances, circulent notamment des vidéos censées montrer des enseignants furieux critiquant l'usage de ChatGPT, mais tout en recommandant... d'autres chatbots IA (agents conversationnels). Mais attention : ces vidéos ont elles-mêmes été générées par intelligence artificielle. L'AFP a identifié les internautes à l'origine de cette tendance en France : depuis le Brésil, ils voulaient faire la promotion d'un logiciel qu'ils avaient créé.

Les programmes d'IA générative accessibles au grand public se sont multipliés depuis fin 2022, lorsque ChatGPT, d'OpenAI, a démontré sa capacité à générer des rédactions, poèmes et conversations cohérentes à partir de questions succinctes rédigées en langage naturel. Cet essor a aussi suscité des craintes sur de nouvelles formes de plagiat ou de triche dans le monde éducatif et universitaire, sans toutefois diminuer l'attractivité d'un marché de l'éducation jugé potentiellement très lucratif (liens archivés ici et ici).

Fin 2023, l'Unesco appelait déjà les gouvernements à réglementer "rapidement" l'usage des outils d'IA comme le chatbot ChatGPT dans les classes (lien archivé ici).

Dans une courte vidéo TikTok de 13 secondes, publiée le 19 octobre 2025, un "professeur" s'exclame : "Je suis fatigué de corriger des dissertations qui semblent avoir été écrites par un robot polynourri [sic] avec un dictionnaire de synonymes ! Arrêtez d'utiliser ChatGPT ! C'est paresseux et malhonnête ! Et si vous voulez tricher, utilisez au moins le site de Purple write !". Depuis sa publication, la vidéo a cumulé plus de 1,7 million de "j'aime", près de 24 millions de vues et a été partagée plus de 260.000 fois.

Cette séquence fait partie d'une série de vidéos (12, 3, 4, 5), diffusées par des comptes tels que "studywithclari", "gabestudy", "ilies.wobi.ai" ou encore "paul.caron54", qui suivent un modèle récurrent : un professeur furieux réprimande ses élèves pour avoir utilisé ChatGPT, puis leur suggère d'essayer "Purple Write" ou d'autres agents conversationnels. 

La scène, qui semble filmée du point de vue d'un élève, montre une salle silencieuse face à un enseignant hors de lui. À l'écran, deux légendes apparaissent : la première décrit la réaction de l'élève, la seconde dévoile discrètement un moyen de "contourner la détection d'IA". Enfin, le lien du site promu est placé dans la biographie du compte (petit texte de présentation situé sous le nom d'utilisateur). Dans les posts, rien ne laisse entendre que ces vidéos sont fausses.

Purple Write est un logiciel bien réel : il s'agit d'un outil qui assure rendre plus naturel un texte généré par IA (par exemple, par ChatGPT). Selon ses créateurs, une fois modifié, le texte aura ainsi moins de chances d'être repéré comme IA par le professeur ou par un logiciel de détection de contenus générés par IA. 

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Captures d'écran prises sur TikTok le 22 octobre 2025. Croix rouge ajoutée par l'AFP.

Mais attention : ces vidéos, qui vantent des outils censés tromper les détecteurs d'IA ont, en réalité, été générées par IA. Des analyses des pistes audio de ces vidéos, réalisées à l'aide du détecteur de deepfakes Hiya.com sur l'outil (cocréé par l'AFP) de vérification InVID-WeVerify, concluent que les voix des prétendus professeurs ont été "très probablement généré par l'IA".

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Captures d'écran prises le 23 octobre 2025 des analyses audio effectuées sur InVID-WeVerify par l'AFP.

Les enseignants se servent parfois de logiciels spécialement conçus pour repérer les contenus générés par IA.

Pour dissuader les étudiants de faire rédiger leurs devoirs par ChatGPT, la société française Compilatio, spécialisée dans la détection du plagiat, et lancée en 2003, fournit par exemple depuis des années aux enseignants un logiciel anti-plagiat qui débusque les passages copiés-collés (liens archivés ici et ici). 

Des mèmes en français générés par IA depuis le Brésil

L'AFP est parvenue à identifier les auteurs des premières vidéos virales, à l'origine de l'émergence de cette nouvelle tendance sur les réseaux sociaux en France.

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Captures d'écran prises sur TikTok le 22 octobre 2025. Croix rouge ajoutée et visages floutés par l'AFP.

En effectuant une recherche par mots-clés avec le nom "Purple Write" sur plusieurs réseaux sociaux, l'AFP Factuel a trouvé son compte Instagram. Parmi ses quatre abonnés, l'AFP a repéré que deux d'entre eux, un jeune homme et une jeune femme, avaient des photos de profil ressemblant fortement à celles des comptes TikTok ayant publié les vidéos que nous examinons.

En recherchant le pseudonyme Instagram du jeune homme sur d'autres plateformes, l'AFP a retrouvé le compte TikTok d'un certain "Gabriel Quadros". Dans deux vidéos (1, 2) publiées le 18 octobre, il s'y félicite, en portugais, d'avoir accumulé des millions de "j'aime" et de vues sur le compte TikTok de sa "petite amie".

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Capture d'écran prise le 23 octobre 2025 sur TikTok.

En examinant les comptes TikTok qui ont publié les vidéos que nous vérifions, l'AFP Factuel a d'ailleurs observé que ces deux personnes se sont filmées, tour à tour (dans ces deux vidéos, ici et ), dans la même pièce, au décor assez caractéristique: murs verts et blancs, avec un plafond en bois, accréditant l'idée qu'ils se connaissent.

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Captures d'écran prises le 24 octobre 2025 sur TikTok. Visages floutés par l'AFP.

Dans les vidéos du 18 octobre, Gabriel Quadros détaille sa "stratégie" marketing pour obtenir des engagements sur les réseaux sociaux "sans même dépenser un centime en publicité" et "sans même parler français" : "Je ne connais pas un mot de français", affirme-t-il dans l'une des vidéos. 

Interrogé par l'AFP le 23 octobre, Gabriel Quadros a affirmé qu'il avait créé Purple Write : il fait donc la promotion, via ces vidéos, de son propre logiciel (de type "SaaS", "software as a service", type de logiciel accessible à distance, par opposition à un logiciel installé localement sur un ordinateur) (lien archivé ici).

Dans une de ses vidéos sur TikTok, le créateur de contenu y explique que, selon lui, "TikTok reste aujourd'hui le meilleur moyen d'obtenir ses premiers clients lorsqu'on possède un SaaS". Il ajoute : "Si tu es fauché mais que tu sais programmer, tu peux développer un SaaS et gagner beaucoup d'argent. Le secret, c'est de ne jamais réinventer la roue : copie ce qui marche [sur les réseaux sociaux, NDLR]".

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Captures d'écran prises sur TikTok le 22 octobre 2025. Visages floutés par l'AFP. Dans les deux vidéos, il est écrit en portugais "J'ai fait 7 millions de vues au cours des dernières 48 heures pour mon SaaS".

Gabriel Quadros a aussi indiqué à l'AFP travailler dans la création de contenu pour les startups "depuis toujours", ajoutant que ses vidéos d'enseignants générées par IA s'inspiraient d'une "campagne de marketing d'entreprises américaines" : "ce sont des vidéos au format 'mème internet'", un format souvent très efficace.

Selon lui, le logiciel Purple Write "a été conçu pour aider les étudiants et les professionnels à reformuler des textes de manière plus naturelle et fluide, offrant ainsi une assistance pour rendre les textes plus humains et lisibles". Si une partie du logiciel est gratuite, des formules payantes sont proposées pour rédiger plus de 5.000 mots.

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Captures d'écran de Purple write prises le 24 octobre 2025.

Si Gabriel Quadros assure que le logiciel anglophone dont il fait la promotion "n'est pas une arnaque" et "est très utile", Compilatio a expliqué le 24 octobre à l'AFP que "de nombreux outils d'humanisation' de texte émergent actuellement. Certains peuvent effectivement réduire les scores de détection d'IA, mais cela ne garantit ni une écriture réellement humaine, ni un rendu crédible dans un contexte académique ; le style reste souvent peu naturel ou incohérent" (lien archivé ici).

"Nous réalisons régulièrement des tests internes sur ces technologies et intégrons les résultats pertinents à l'entraînement de nos modèles, afin d'améliorer en continu la fiabilité de nos analyses. En parallèle, nous sensibilisons les équipes pédagogiques au fait que notre détecteur d'IA n'est pas infaillible : les scores doivent toujours être interprétés avec discernement et replacés dans leur contexte", conclut Compilatio dans son mail adressé à l'AFP (lien archivé ici).

La triche avec l'IA : un délit puni par la loi ?

Utiliser une intelligence artificielle n'est bien sûr pas illégal en soi en France, mais certains usages peuvent devenir punissables s'ils enfreignent des lois existantes, telles que l'article L331-3, l'article L122-4, l'article 441-1, ou encore la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information.

Compilatio a expliqué a l'AFP que "les sanctions liées à l'utilisation de l'intelligence artificielle dépendent des règlements propres à chaque établissement. La plupart des universités, écoles et lycées supérieurs intègrent aujourd'hui dans leurs chartes d'éthique ou règlements intérieurs des mentions qui incluent explicitement les bonnes pratiques d'usage des IA génératives. Les sanctions varient selon la gravité des faits et les politiques internes".

"À noter que de plus en plus d'établissements encouragent une utilisation 'encadrée et transparente' de l'intelligence artificielle : par exemple, pour assister à la rédaction, reformuler une idée ou explorer un sujet, à condition de citer clairement les outils utilisés et de conserver un esprit critique vis-à-vis de leurs productions", ajoute la société française dans son mail.

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Des élèves d'une classe de primaire utilisent l'IA pour des leçons de mathématiques, à Colomiers, dans le sud-ouest de la France, le 14 mars 2025. (AFP / Matthieu RONDEL)

Si au collège et au lycée, l'Education nationale considère qu'une utilisation de l'IA non déclarée et non requise par le professeur s'assimile à une fraude, dans l'enseignement supérieur, beaucoup veulent l'intégrer dans leurs pratiques (liens archivés ici et ici).

"Tous les jeunes utilisent" les outils de génération de contenus, "donc plutôt que d'interdire l'usage de l'IA, on le rend obligatoire mais on leur apprend à l'utiliser avec un esprit critique, éthique", avait expliqué à l'AFP François Stephan, directeur de l'école d'ingénieurs ECE, un établissement parisien spécialisé dans le numérique (lien archivé ici).

À Sciences Po, "on n'est pas du tout dans une ligne d'interdiction de l'IA", avait confirmé son directeur Luis Vassy lors de sa conférence de presse de rentrée (lien archivé ici). "La question, c'est aussi comment vous maintenez le sens de l'effort, la capacité à mémoriser, le rapport critique à ce que produit l'IA", estimait-il.

Certains chercheurs, comme en témoigne une récente étude du Massachusetts institute of technology (MIT), s'inquiètent toutefois de l'impact de l'IA sur les capacités des étudiants (lien archivé ici).

En 2024, 560 cas de fraudes avaient été examinés par la commission disciplinaire du baccalauréat, soit 69 cas de plus qu'en 2023, a indiqué le ministère (lien archivé ici). Plus de la moitié des sanctions avaient trait à l'utilisation de smartphones, tablettes, et autres appareils connectés, près de 28% à la "traditionnelle antisèche" et 4,7% à l'utilisation d'intelligence artificielle générative, ou encore, pour 3%, au plagiat de documents trouvés sur internet.

L'AFP a déjà enquêté sur la diffusion de vidéos générées par IA sur TikTok, visant à promouvoir des produits douteux, comme le montrent plusieurs articles publiés ici, ici, ou encore .

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