Attention, ces vidéos ont été manipulées pour faire la promotion du shilajit

De plus en plus de Français se tournent vers les réseaux sociaux pour s'informer sur leur santé, un phénomène amplifié depuis la crise du Covid-19. Ils y sont notamment exposés à la promotion de compléments alimentaires comme le shilajit, vanté dans des vidéos où apparaît une naturopathe australienne contestée, Barbara O'Neill. Mais les vidéos en question ont été manipulées, attribuant des propos qu'elle n'a pas tenus à cette naturopathe, visée en 2019 en Australie par une interdiction d'exercer. Par ailleurs, rien ne prouve les prétendus bienfaits du produit en question.

"Ne mangez jamais ces cinq aliments le matin, sinon vous ne sauriez (sic) même pas comment vous êtes morte", peut-on entendre en français dans une vidéo publiée sur TikTok le 5 janvier 2025. Cette vidéo, vue près de 10 millions de fois et aimée par plus de 305.000 internautes, met en scène la naturopathe australienne Barbara O'Neill, qui semble partager ses conseils santé dans une salle de conférence.

Derrière elle, un tableau affichant des mots en anglais. La bande sonore est cependant en français et sous la bannière "Ne mangez pas ces 5 aliments le matin", il est précisé: "traduit en français".

Dans la vidéo, la voix prêtée à Barbara O'Neill déconseille de consommer du lait, du jus d'orange ou des céréales le matin, et recommande à la place de boire "un grand verre d'eau avec un peu de shilajit". Elle présente ce complément alimentaire comme un produit "sans sucre, végan, sans OGM [Organisme génétiquement modifié, NDLR] et sans gluten" et vante sa teneur en vitamine C, acide folique, vitamine D, ainsi que ses bienfaits supposés pour la santé.

Enfin, elle invite les internautes à cliquer sur un lien dans sa bio TikTok pour l'acheter.

Mais attention, les propos attribués à Barbara O'Neill ont été manipulés. La naturopathe a d'ailleurs expliqué être victime depuis plusieurs années de "deepfake" à des fins commerciales.  Par ailleurs, les vertus attribuées au produit mentionné ne sont pas prouvées.

Une recherche d’image inversée a permis à l'AFP de retrouver la vidéo originale (lien archivé ici).

Dans cette version publiée sur YouTube le 23 novembre 2023, Barbara O'Neill parle de l'importance de l'eau par rapport à d'autres boissons (minute 3:53-5:08), sans mentionner le shilajit.

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Captures d’écran de la vidéo virale sur TikTok à gauche et de la vidéo originale sur YouTube à droite, prises le 20 janvier 2025.

Par ailleurs, l’analyse de l'audio de la vidéo TikTok par l'AFP à l’aide du détecteur de deepfakes Hiya.com, sur l'outil de vérification InVID-WeVerify, révèle que celui-ci a été "très probablement généré par l’IA". Il s'agit d'"un doublage de mauvaise qualité en français", estime le Dr. Pierre de Bremont d'Ars, président du collectif No Fakemed.

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Capture d’écran réalisée sur InVid-WeVerify le 20 janvier 2025. (Cintia NABI CABRAL)

Ce n'est pas la première fois que des comptes sur les réseaux sociaux détournent l'image de Barbara O'Neill pour donner des astuces santé et bien-être, des propos qui sont ensuite repris au premier degré par des internautes.

Sur Instagram et TikTok (1, 2, 3), des vidéos similaires utilisant des recettes miracles et des extraits de conférences d'O'Neill comptent des centaines de milliers d'abonnés.

Sur YouTube (1, 2), des comptes exploitent parfois son image en miniature, sans qu'elle apparaisse réellement dans la vidéo, comme on peut le voir ici et .

L'identité usurpée d'une figure critiquée

Barbara O'Neill est une naturopathe australienne critiquée pour ses conseils douteux. En 2019, une autorité sanitaire de son pays a estimé qu'elle présentait "un risque pour la santé" du public, dans une décision lui interdisant d'exercer des services de santé, où était notamment relevée son affirmation selon laquelle le cancer pouvait se traiter avec du bicarbonate de soude (lien archive ici).

Sa notoriété est parfois exploitée par d'autres: elle apparaît ainsi fréquemment dans des publicités générées par intelligence artificielle et des vidéos contenant de fausses informations.

Certains de ces "deepfakes" sont en anglais, d'autres en français, comme celui où elle semble vanter les bienfaits du shilajit.

Interrogé par l'AFP, le Dr. Pierre de Bremont d'Ars explique qu'une "personne qui est assez reconnue dans le domaine de la santé alternative va donner un crédit derrière un produit", une reconnaissance attribuée par "ceux qui ne recherchent pas des données scientifiques". Selon le président du collectif No Fakemed, l'utilisation de l'image de Barbara O'Neill permet de "donner une certaine aura" au produit vendu.

Joint par l'AFP en septembre 2024, Michael O'Neill, époux de la naturopathe et codirigeant de la O'Neill Company, déplore que "beaucoup de monde utilise la réputation de Barbara pour vendre des produits qu'elle ne recommande pas".

C'est également ce qu'indique Barbara O'Neill elle-même dans cette vidéo épinglée datant du 19 décembre dernier, consultable sur son compte Instagram officiel. Dans une vidéo sous-titrée, Barbara O'Neill s'exprime face caméra afin de "mettre les choses au clair" (lien archivé ici).

"Je ne crois pas qu'il existe des remèdes miracles. [...] Ce shilajit, ou quelque chose comme ça, les gens prétendent que j'en fais la promotion, mais ce n'est pas le cas. Ce que je préconise, c'est notre corps incroyable et sa capacité intrinsèque à se guérir lui-même lorsqu'on lui donne les bonnes conditions", déclare Barbara O'Neill.

Comme le souligne le Dr. Pierre De Bremont d'Ars, "vous avez là une thérapeute alternative anglophone qui travaille depuis des années là-dessus, et qui est assez âgée, qui a fait des conférences, qui en plus a été condamnée !". "Dans la logique anti-système dans laquelle sont une partie des adorateurs, vous allez avoir un impact plus important, un culte de la personnalité qui se met en place", ajoute-t-il.

Une escroquerie commerciale

La plupart des vidéos sur TikTok redirigent les utilisateurs vers des liens dans les biographies des comptes, conduisant à des sites tels que "Wellness Nest", qui vendent du shilajit sous diverses formes.

Selon le Service public d'information en santé (SPIS), le shilajit est une huile minérale noirâtre qui "exsude naturellement de certaines roches de l'Himalaya, de Russie, de Norvège ou de Hongrie" (lien archivé ici).

"En médecine traditionnelle orientale, le shilajit est utilisé pour lutter contre la fatigue chronique, les effets du vieillissement (dont les troubles de l'érection), mais aussi l'asthme, les troubles digestifs ou le mal aigu des montagnes", précise le SPIS.

Certains compléments alimentaires à base de shilajit mettent en avant des propriétés supposées bénéfiques pour la santé : action anti-inflammatoire, stimulation du système immunitaire, ou encore soulagement des troubles respiratoires tels que l'asthme. Il est également présenté comme ayant un rôle dans la gestion du diabète de type 2, la réduction du cholestérol sanguin et même la prévention de la maladie d'Alzheimer.

Toutefois, aucune preuve scientifique ne vient étayer ces affirmations.

Le SPIS estime qu'"il est bien trop tôt pour se prononcer sur un éventuel bénéfice à prendre (...) du shilajit". "Les substances contenues dans le shilajit, en particulier les triterpènes et les dérivés du phénol, peuvent devenir rapidement toxiques. La prudence est donc de mise avec cette huile minérale", avertit le SPIS.

"Le problème des compléments alimentaires, c'est que tout le monde peut en prendre, et qu'ils sont moins contrôlés puisqu'il ne s'agit pas de médicaments", expliquait Joëlle Micallef, pharmacologue et présidente du réseau français d'addictovigilance, en avril 2024 (lien archivé ici).

Par conséquent, Pierre de Bremont d'Ars recommande vivement de consulter un médecin avant de prendre du shilajit.

Ces sites exploitent selon lui la détresse des personnes en quête de solutions pour leur santé, et "leur proposent des solutions 'miracles', chères, avec tout ce qu'on peut imaginer comme langage marketing qui n'a pas changé depuis les années 80".

"Aujourd'hui, les plateformes vidéo et de réseautage sont idéales pour ça, parce qu'une vidéo très courte peut permettre de faire passer des messages et une publicité très rapide, alors que pour démonter une telle vidéo, ça va nous prendre des heures, des vidéos sourcées, des heures de recherche, ce qui est donc le débat qui est très compliqué", poursuit le président du collectif No Fakemed.

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Capture d'écran du site qui vend du shilajit sous différentes formes faite le 29 janvier 2025.

Sur le site promotionnel où est vendu le shilajit, supposément basé aux Etats-Unis, un avertissement indique que "les déclarations faites sur ce site web n'ont pas été évaluées par l'Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux des Etats-Unis (FDA). Ces produits ne sont pas destinés à diagnostiquer, traiter, guérir ou prévenir une quelconque maladie".

Le site présente une liste de publications censées étayer les bienfaits du shilajit. Mais le Dr. Pierre de Bremont d'Ars note qu'elle est "quand même très légère" et principalement basée sur des études animales. C'est également ce qu'indique le SPIS : "Les études scientifiques portant sur l’acide fulvique ou le shilajit ont essentiellement été menées sur des cellules en culture et sont donc difficilement extrapolables à la santé humaine".

"Le problème de la publication scientifique aujourd'hui, c'est qu'il est extrêmement facile de publier plein de choses dans plein de revues pour faire des points, pour avoir publié des choses, pour justement avoir ce genre de traitement. Et quand on va regarder les études elles-mêmes, ce qui n'est pas simple, on se rend compte qu'il n'y a pas grand-chose", ajoute le président du collectif No Fakemed.

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