
Attention, ce reportage diffusant un prétendu sondage sur l'opinion des Français sur Poutine a été tronqué
- Publié le 09 avril 2025 à 18:02
- Lecture : 7 min
- Par : Claire-Line NASS, AFP France
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"71% des Français estiment que leur vie serait meilleure si Poutine était président de la France. Quand un peuple préfère le 'diable russe' au 'sauveur progressiste', c'est que la propagande a du vent [sic] dans l'aile", assure une publication partagée à plus de 1.000 reprises sur X depuis le 7 avril.
Elle relaie un extrait vidéo, dans lequel un journaliste présent sur le plateau de l'émission "Info ou Intox" des Observateurs de France 24, qui vérifie des images et fausses allégations circulant sur les réseaux sociaux, présente une vidéo sur laquelle est apposé le logo du Figaro (lien archivé ici).
Dans le sujet de France 24, est évoqué un prétendu sondage de l'Ifop selon lequel "71% des Français estiment que leur vie serait meilleure si Poutine était président de la France". Le journaliste ajoute que la vidéo a été diffusée sur plusieurs réseaux sociaux, et relayée par des médias prorusses, puis la vidéo est coupée (à 1'20" environ).
Ce même extrait a aussi circulé ailleurs sur X, sur Facebook, partagé plusieurs milliers de fois par des internautes basés en France, mais aussi au Burkina Faso ou encore au Québec, et TikTok (1, 2) ces derniers jours.

Comme le relève le journaliste des Observateurs, la vidéo attribuée au Figaro avait déjà circulé fin mars, poussée notamment par des comptes et sites ouvertement prorusses. Elle a notamment été diffusée par "Pravda.fr", version française d'une galaxie de sites déclinés en plusieurs langues, ressemblant à des portails d'information mais véhiculant régulièrement des contenus faux ou trompeurs, dont certains ont été vérifiés par l'AFP comme ici, ici, ici ou ici.
Selon le service français spécialisé dans la traque des ingérences numériques étrangères Viginum, ce site appartient à un réseau "structuré et coordonné" de 193 sites diffusant de la propagande russe visant les pays européens et les Etats-Unis (lien archivé ici).
Une vidéo de vérification tronquée
En effectuant des recherches par mots-clés à partir d'éléments visibles sur la vidéo (dont le nom de l'émission "Info/Intox", visible en bas à droite et la mention de "71% des Français" favorables au président russe), on peut retrouver la vidéo originale sur le site de France 24, datée du 27 mars (lien archivé ici).
On constate ainsi que le sujet entier dure près de 6 minutes, et que le moment diffusé sur les réseaux sociaux ne correspond qu'au début, lorsque le journaliste introduit le sujet. Il y explique clairement ensuite que circule sur les réseaux sociaux une vidéo usurpant l'identité du Figaro et diffusant un faux sondage.

Une vidéo usurpant l'identité du Figaro
La vidéo emploie le logo, la charte graphique et même cite le nom de personnes travaillant pour le Figaro. Mais des recherches avancées à partir de mots-clés sur Google et sur le site du Figaro ne permet de retrouver aucune vidéo citant un tel sondage.

A l'inverse, on peut parvenir à un ancien article publié en mai 2017, qui citait un sondage Odoxa pour l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et Le Parisien-Aujourd'hui en France, qui indiquait que "près de 71% des Français estiment que le président russe joue un rôle négatif sur la scène internationale" (lien archivé ici).
Le "social media manager" du média, dont le nom est cité comme étant le journaliste à l'origine du prétendu reportage, a par ailleurs partagé sur son compte X deux vérifications réalisées par des médias expliquant que la vidéo est un faux : celle de France 24, et un article d'un média de vérification polonais, dans lequel il a également expliqué que la vidéo n'avait été réalisée "ni par lui ni par l'équipe éditoriale" du Figaro (liens archivés ici et ici).
De la même façon, des recherches à partir de mots-clés incluant cette fois l'Ifop, censé avoir produit le sondage, n'ont fait ressortir aucun contenu correspondant.
On peut par ailleurs noter que la vidéo mentionne que "plus de 71% des Français" seraient favorables à Vladimir Poutine, et que le sondeur aurait interrogé des "personnes âgées de 21 à 85 ans", deux détails peu communs car les instituts de sondage mentionnent généralement des pourcentages exacts dans leurs résultats (et non pas "plus de"). De plus, pour un échantillon constitué d'adultes, les sondeurs indiquent avoir interrogé des personnes "de 18 ans et plus".
On peut néanmoins retrouver la mention d'un sondage publié le 7 mars 2025 sur le site de l'Ifop, qui vise à présenter "le regard des Français sur le conflit russo-ukrainien" (lien archivé ici). Mais sur la page de présentation de ce dernier, on peut lire un tout autre chiffre.
"Vladimir Poutine (...) est largement rejeté avec seulement 10 % d'opinions favorables, un chiffre extrêmement bas, qui s'accompagne d'un rejet massif de 84 %, dont 66 % exprimant une opinion très négative", y est-il clairement indiqué.

Un autre sondage sur "les Français et la guerre en Ukraine" publié quelques jours avant par l'institut Elabe semblait aller dans le même sens. Selon sa page de présentation, "86% [des Français, NDLR] ont une mauvaise image de Vladimir Poutine (dont 69% une très mauvaise image)" (lien archivé ici).
D'autres médias de vérification se sont aussi déjà penchés sur la fausse vidéo du Figaro, parvenant à la conclusion qu'il s'agissait d'une fausse, comme Les Surligneurs (lien archivé ici).
L'usurpation d'identité de médias, régulièrement employée par la propagande prorusse
La désinformation contre l'Ukraine et ses soutiens européens s'est encore accentuée ces dernières semaines, parallèlement aux vives critiques lancées par Donald Trump contre le président ukrainien Volodymyr Zelensky et à l'attitude plus conciliante adoptée par Washington à l'égard de la Russie.
Des tensions persistent aussi entre les dirigeants européens et le président russe liées à des désaccords entourant les termes d'un cessez-le-feu en Ukraine (lien archivé ici). Dans ce contexte, de nombreuses affirmations hostiles à Emmanuel Macron et à son soutien à Kiev et, à l'inverse, favorables à Vladimir Poutine ont émergé sur les réseaux sociaux, certaines s'appuyant sur des contenus trompeurs. L'AFP en a déjà vérifié plusieurs, dont ce prétendu discours anti-Macron du président russe, qui employait des sous-titres trompeurs.
L'imitation de médias traditionnels fait par ailleurs partie de l'éventail des techniques employées dans le cadre de la vaste opération d'influence prorusse Doppelgänger qui continue de se déployer sur les réseaux sociaux depuis sa révélation en 2022 par EU DisinfoLab, une organisation spécialisée dans la lutte contre la désinformation (lien archivé ici).
L'organisation européenne avait à l'époque mis au jour l'existence de plus de 50 faux noms de domaine qualifiés de sites "doubles" ("doppelgänger") et destinés à imiter les médias occidentaux, comme expliqué dans cet article d'AFP Factuel.
Plus récemment, des organisations spécialisées dans l'analyse des manipulations en ligne (Check First, Reset Tech et AI Forensics) ont publié un rapport sur "la manière dont l'infrastructure publicitaire de Meta a été utilisée pour diffuser plus de 8 000 publicités politiques alignées sur les intérêts russes" (lien archivé ici). Un ciblage publicitaire qui a permis à Meta de récolter, entre août 2023 et novembre 2024, plus de 338.000 dollars selon le même rapport.
L'AFP s'est aussi récemment penchée sur des fausses Unes relayant des narratifs pro-russes, dont certaines avaient même été utilisées par une délégation russe au sein de l'OSCE, avait dénoncé la diplomatie française.