Des enfants passent devant un symbole de l'URSS à Moscou, le 31 août 2022. (AFP / ALEXANDER NEMENOV)

Non, l'URSS n'existe plus juridiquement, contrairement à ce qu'affirme un proche de Poutine

Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022, des internautes avancent de prétendus arguments juridiques pour légitimer cette opération militaire. Fin mai 2025, des utilisateurs de X et Facebook ont ainsi relayé la déclaration d'un conseiller de Vladimir Poutine, affirmant que l'URSS "existe encore d'un point de vue juridique", malgré sa disparition en 1991. Par conséquent, selon son raisonnement, le conflit en Ukraine relèverait des affaires internes de la Russie. Mais cet argument n'est pas pertinent, expliquent différents spécialistes du droit public et historiens interrogés par l'AFP. 

"Légalement, l'URSS [l'Union des républiques socialistes soviétiques] existe toujours, et donc la guerre en Ukraine est un 'processus interne' affirme un conseiller de Poutine", "Selon les Russes, 'la procédure de dissolution de l'URSS en 1991 a été violée, ce qui signifie que l'Union soviétique existe toujours légalement'", soutiennent des internautes dans des publications partagées sur Facebook (1, 2, 3) et sur X fin mai 2025.

Leurs messages font référence à des propos tenus le 21 mai par Anton Kobyakov, conseiller du président russe Vladimir Poutine (lien archivé), lors du Forum juridique international de Saint-Pétersbourg (lien archivé), dont un extrait vidéo de l'intervention circule également dans certaines publications partagées en anglais (1, 2, 3, 4) et en russe (5, 6). 

Dans le détail, comme le rapporte l'agence de presse russe TASS (lien archivé), il a affirmé : "L'Union soviétique existe encore d'un point de vue juridique - ce qui est reconnu de longue date par des spécialistes de droit constitutionnel, y compris dans des pays occidentaux comme la France et les Etats-Unis.

"C'est le cas parce que la procédure pour la prétendue dissolution de l'URSS n'a pas été respectée. Etant donné que [...] le Congrès des Soviets a créé l'URSS en 1922, elle aurait dû être dissoute par une décision de ce même Congrès. Si cette procédure légale n'a pas été correctement appliquée, en conséquence, selon les experts en droit constitutionnel, l'URSS reste juridiquement intacte", a-t-il notamment avancé.

Anton Kobyakov a également remis en question la valeur juridique de l'accord de Belovej - aussi connu sous le nom d'accord de Minsk (lien archivé) -, signé le 8 décembre 1991 par la Russie, la Biélorussie et l'Ukraine, par lequel ces trois Etats constataient "que l’Union des Républiques socialistes soviétiques, en tant que sujet du droit international et réalité géopolitique, cesse d'exister" et proclamaient la création de la Communauté des Etats indépendants (CEI). 

"Juridiquement parlant, l'accord de Belovej est totalement discutable. Il a été ratifié ensuite par les Soviets suprêmes de la Fédération de Russie, de l'Ukraine et de la Biélorussie - autant d'actes qui ont outrepassé leur autorité", a ainsi avancé le conseiller présidentiel de Vladimir Poutine, pour en conclure que l'intervention armée de la Russie en Ukraine devrait donc être considérée comme une "affaire interne plutôt que comme un conflit international". 

Mais l'argumentaire d'Anton Kobyakov - répété quelques jours plus tard (lien archivé) par l'ancien Premier ministre russe Sergueï Stepachine - repose sur un raisonnement juridique infondé, comme l'ont expliqué plusieurs juristes et spécialistes de l'URSS à l'AFP.

"L'URSS a été formée par un traité du 30 décembre 1922 et était donc une création juridique internationale. La 'dissolution' de l'URSS s'est produite par la dénonciation ou le retrait du Traité de l'Union ; la Constitution ne joue aucun rôle à cet égard, si ce n'est de prévoir comment une telle décision pourrait être mise en oeuvre", a notamment expliqué le 26 mai 2025 à l'AFP William E. Butler (lien archivé), professeur émérite en droit comparé à l'université de Londres et auteur du livre Soviet Law. 

"Une fois que les entités constituantes se sont retirées, il n'y avait plus d'union", a pour sa part résumé à l'AFP, le 27 mai 2025, John Quigley (lien archivé), professeur émérite de droit international à la faculté Moritz de droit. 

"L’URSS n’existe plus car le pouvoir politique de l'époque [Mikhaïl Gorbatchev, dernier président de l'URSS] a accepté politiquement sa disparition et a renoncé à la force pour la maintenir. Un cadre juridique classique (une Constitution) ne prévoit jamais la fin complète de l’État. Aujourd’hui, aucun juriste européen ne pourrait soutenir qu’elle existe encore 'légalement'", a également indiqué le 11 juin 2025 à l'AFP Marie-Elisabeth Baudoin (lien archivé), professeur de droit public à l’université Clermont Auvergne.

La spécialiste souligne toutefois qu'Anton Kobyakov pointe certaines irrégularités vis-à-vis de la légalité soviétique relative à la sortie de l'URSS - tout en rappelant que son "implosion" a été accélérée par une série de "facteurs internes".

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Le symbole de l'URSS le 17 août 2016 dans une voiture du train de Staline à Gori (Géorgie). (AFP / JOEL SAGET)

"Dénaturation" du droit

"Les questions soulevées [par Anton Kobyakov] peuvent donner lieu à plusieurs interprétations en raison de la complexité de la situation en 1991 et du caractère inédit de l’implosion de l’Union Soviétique. Mais certaines lectures sont clairement instrumentalisées et s’inscrivent dans une propagande politique souvent finement pensée car certains éléments ne sont pas faux, mais la conclusion générale qui en est tirée est une dénaturation du droit", détaille Marie-Elisabeth Baudoin.

Selon la spécialiste, "d'un point de vue interne", le droit soviétique "n'a pas été respecté" car une loi soviétique adoptée en avril 1990 prévoyait que toute décision de faire sécession de l'union - une possibilité prévue par l'article 76 de la Constitution de 1977 - devait être adoptée par un référendum décidé au préalable par le Soviet suprême de la République de l'Union. Mais la dissolution de l'URSS "s'analyse comme une dissolution" du point de vue "du droit international". 

En outre, affirmer, comme l'a fait Anton Kobyakov, que l'URSS aurait dû être dissoute par le même Congrès des Soviets que celui qui l'avait créée en 1922 est un "anachronisme et un argument rhétorique sans fondement juridique", pointe Marie-Elisabeth Baudoin, puisque ce Congrès n'existait plus en 1991. 

"Le traité de 1922 a été la base constitutionnelle de l’URSS. Il a ainsi été 'absorbé' par la Constitution de 1924, puis de 1936, puis de 1977. Il n’existait plus en tant qu'instrument autonome au moment de la dissolution de l'URSS. Il n'était donc plus un traité au sens du droit international qui doit être dénoncé pour disparaître", développe par ailleurs la spécialiste.

Une méconnaissance de l'histoire de la création de l'URSS 

"[Kobyakov] surestime vraiment l'importance du Congrès des Soviets de 1922 et, plus largement, méconnaît l'histoire de la création de l'URSS", a également pointé le 6 juin 2025 à l'AFP Emilia Koustova (lien archivé), historienne, professeur d'histoire russe et soviétique à l'Université de Strasbourg.

Et de détailler : "L'Union soviétique a été créée par le premier Congrès pansoviétique des soviets, suite à un accord conclu entre quatre républiques : RSSFSR (République socialiste fédérative soviétique de Russie), l'Ukraine, la Biélorussie, et puis la République socialiste soviétique de Transcaucasie [composée de la Géorgie, de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan]. On voit bien que ça ne correspond pas à la totalité du territoire qui faisait partie de l'Union soviétique à la fin de son existence". Celle-ci comptait en effet 15 républiques en 1991. 

De plus, si les républiques ayant signé le traité de création de l'Union soviétique en 1922 étaient censées être des Etats indépendants, elles ne l'étaient pas en pratique puisqu'elles ont été "créées à l'issue de la guerre civile et suite à l'action militaire des bolcheviques qui ont imposé leur pouvoir et leur contrôle sur une importante partie de l'ancien empire russe". En somme, ces Etats étaient "contrôlés depuis Moscou par Moscou", rappelle Emilia Koustova. 

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Le président russe Boris Eltsine (à gauche) et le chef d'Etat biélorusse Stanislaw Chouchkievitch (à droite), lors de la signature du traité de Minsk le 8 décembre 1991, en Biélorussie. (AFP / DAVID BRAUCHLI)

La fin de l'URSS, validée juridiquement fin décembre 1991

Enfin, si Anton Kobyakov souligne que l'accord de Belovej est "discutable", ce n'est pas ce dernier, signé par seulement trois républiques sur quinze, qui a entraîné la dissolution de l'URSS.

"Juridiquement, la formule 'l’URSS en tant que sujet de droit international et réalité géopolitique cesse d’exister' n'a pas de valeur. Elle est une déclaration mentionnée dans le préambule de l’accord. De surcroît, le contenu de l’accord ne vaut pas pour les autres Républiques de l’URSS non signataires", explique Marie-Hélène Baudoin.

"Il faut distinguer la signature d’un accord de sa ratification. Dans les faits, l’accord sur la Création de la CEI a été ratifié par le Parlement russe le 12 décembre 1991, par la Verkhovna Rada d’Ukraine le 10 décembre 1991 et par le Soviet Suprême de Biélorussie le 10 décembre 1991. Juridiquement, la fin de l’URSS a été validée, a posteriori, par une déclaration du Soviet des Républiques du Soviet Suprême de l’URSS du 26 décembre 1991 (n°142). Dans ce texte est constaté, qu’avec la création de la CEI, l’URSS cesse d’exister", conclut la professeur de droit public. 

Aucune remise en question de la dissolution de l'URSS depuis trois décennies

Joint par l'AFP le 5 juin 2025, Yann Breault (lien archivé), professeur en études internationales au Collège militaire royal de Saint-Jean (Canada), rappelle que "la légalité de la dissolution de l’URSS en décembre 1991 a toujours fait l’objet de débats" et pour "de bonnes raisons" à cette époque.

"Les forces communistes ou néo-impérialistes qui soulevaient cette question ont été marginalisées et décrédibilisées par le Kremlin, et ce de manière violente, sous la présidence de Boris Eltsine, notamment lors de la crise constitutionnelle de l’automne 1993, qui s’est terminée dans un bain de sang, sous le regard soulagé et approbateur des chancelleries occidentales", explique l'expert.

Pour autant, Yann Breault souligne que la reconnaissance de l'indépendance des Etats qui ont succédé à l'URSS n'a "été remise en question par aucun gouvernement depuis trois décennies" : "Nul besoin d’être juriste pour affirmer que la volonté de le faire maintenant serait intellectuellement grossière et malhonnête."

Cette démarche politique du Kremlin s'inscrit toutefois dans la continuité de sa rhétorique des dernières décennies, comme le précise Emilia Koustova : "En 2005, Vladimir Poutine a qualifié la disparition de l'Union soviétique comme l'une des plus grandes catastrophes géopolitiques du XXe siècle. Ensuite, il a répété cette idée à plusieurs reprises, dans les années 2010, en qualifiant la dissolution de l'URSS de grande tragédie historique, et en la reliant directement au destin et à l'identité des Russes, en disant que cette disparition de l'URSS a conduit des dizaines de millions de Russes à devenir des minorités ethniques vivant hors de la Russie, et donc voir éventuellement leur langue, leur identité, leur culture menacées."

L'historienne poursuit : "Sachant qu'aujourd'hui, nous sommes dans un contexte très particulier, celui de la guerre d'agression russe à grande échelle contre l'Ukraine, où les Ukrainiens qui défendent leur indépendance sont qualifiés par le Kremlin de nazis et où leur souveraineté en tant qu'Etat-nation est systématiquement niée."

"Le Kremlin a déjà signifié à différents moments et de différentes façons que l'Europe n'aurait pas son mot à dire sur ce conflit. Avec cette déclaration, il fait un pas de plus pour affirmer sa volonté de traiter de 'la question ukrainienne' comme si c'était une question concernant la seule Russie, sans que ni l'Ukraine, ni l'Europe n'aient leur mot à dire", conclut Emilia Koustova.

Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, l'AFP a déjà vérifié plusieurs affirmations trompeuses circulant sur les réseaux sociaux et visant à légitimer juridiquement cette agression.

Nous avons ainsi consacré des articles à la création soi-disant "illégale" de l'Ukraine en violation de la constitution soviétique, à une supposée absence d'enregistrement des frontières de l'Ukraine, à de prétendues dispositions prévues dans la charte des Nations Unies, ou encore à des accusations de violation du traité de Moscou par l'Allemagne.

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