Non, cette vidéo ne montre pas la mairie de Paris colorer la Seine en bleu avant les JO
- Publié le 24 mai 2024 à 11:05
- Lecture : 7 min
- Par : Juliette MANSOUR, AFP France
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Alors que les compétitions de nage en eau libre et natation du triathlon doivent avoir lieu dans la Seine lors des Jeux olympiques et paralympiques de Paris du 26 juillet au 8 septembre, il reste des incertitudes sur la bonne tenue des épreuves olympiques dans le fleuve (archive ici).
Le déroulement de la natation dans la Seine dépend de la qualité de son eau qui, si elle a progressé, n'était toujours pas satisfaisante à l'été 2023.
Dans ce contexte, un message a pris de l'ampleur en ligne, assurant que l'eau du fleuve parisien aurait été colorée en bleu par la mairie de Paris dans le but de la rendre plus attrayante.
"Paris avant les JO", rapporte une vidéo TikTok montrant une main gantée déverser du colorant bleu d'un bidon depuis un bateau à moteur dans une eau trouble.
La publication a été partagée 15.000 fois depuis le 14 mai 2024 et a généré plus de 2 millions de vues, également relayée sur X avec la légende "J.O. 2024 - HIDALGO VEUT METTRE DU COLORANT DANS LA SEINE POUR CHANGER LA COULEUR DE L'EAU".
Capture d'écran prise sur Tik Tok le 21/05/2024
Capture d'écran prise sur X le 21/05/2024
Le même message a aussi été relayé également sans la vidéo, avec ce message : "FLASH Anne Hidalgo annonce que la ville de Paris va mettre du colorant bleu dans la Seine pour rendre l'eau plus belle pour les JO 2024", comme ici ou ici.
Ces publications ont suscité de nombreuses réactions indignées d'internautes, s'inquiétant pour la santé des sportifs et dénonçant un procédé "polluant" et pour "cacher la misère".
Captures d'écran prises sur Tik Tok le 21/05/2024
Capture d'écran prise sur Tik Tok le 21/05/2024
Une publication parodique
L'AFP n'a pas retrouvé la trace d'une annonce de la mairie de Paris faisant état d'une coloration de la Seine en bleu.
La première vidéo publiée sur Tik Tok relayant cette prétendue annonce avec la vidéo est celle sur Tik Tok. Mais le propriétaire du compte dit, dès les commentaire qu'il s'agit d'une "blague" : "c'est juste pour rigoler" car la Seine n'est toujours pas prête, a-t-il précisé.
Capture d'écran prise sur Tik Tok le 21/05/2024
Puis ce message a été repartagé quatre jours plus tard avec la vidéo sur le compte X (ex-Twitter) "Pediavenir" le 18 mai 2024, où son caractère parodique y est explicite.
Capture d'écran prise sur X le 21/05/2024
Ce compte indique dans sa description être un "média parodique" qui diffuse de "la désinformation en temps réel". Son nom, "Pediavenir", parodie celui de "Mediavenir", anciennement "Conflits", un autre compte qui diffuse de l'information amateure sur X et possède 2,7 millions d'abonnés.
"Pediavenir" possède une photo de couverture quasiment similaire, ainsi qu'une image de profil très ressemblante, avec la même police de caractères. Malgré cela, le message a commencé à circuler au premier degré.
"Ça m'amuse de faire des fake news, parfois très crédibles et proches de la réalité. C'est 100% humour, le côté parodique est mentionné sur mon profil pour clarifier ça", a indiqué le créateur de Pediavenir à Franceinfo dans un article de vérification le 21 mai également consacré à cette infox (archive ici).
Souvent accusé de sensationnalisme, "Mediavenir" a été très critiqué pendant les émeutes de l'été 2023 liées à la mort de Nahel, 17 ans, lors d'un contrôle routier, car il rediffuse des bribes informations à l'aide de slogan accrocheur mais sans renvoyer sur les articles d'origine et relaie des vidéos amateurs parfois non vérifiées.
Ce n'est pas la première fois que des internautes partagent au premier degré des propos inventés attribués à une personnalité politique : les femmes politiques Agnès Pannier-Runacher, Sibeth Ndiaye, Amélie de Montchalin, Aurore Bergé ou encore Agnès Buzyn en ont toutes fait les frais ces dernières années par exemple.
Une vidéo tournée aux Etats-Unis
La vidéo censée montrer la coloration de la Seine en bleu par la mairie de Paris a, quant à elle, été sortie de son contexte, ont montré les recherches de l'AFP.
Pour cela, nous avons utilisé l'outil InVID, co-développé par l'AFP, et notamment la fonctionnalité "video keyframes", pour segmenter la vidéo en imagettes que l'on soumet à des moteurs de recherche sous forme de recherche d'image inversée pour retrouver d'autres occurrence de la vidéo.
Parmi les résultats de la recherche, la première occurrence retrouvée par l'AFP des images que nous vérifions a été publiée sur TikTok le 12 mai 2024 (archive ici), soit deux jours avant que la vidéo que nous vérifions, par un certain Jeff Hoffman.
Sur la vidéo apparaissent en filigrane le nom de deux sociétés américaines, "J.R. Hoffman Ponds", spécialisé dans le traitement d'étangs, ainsi que "Kapper Outdoors", qui effectue des travaux sur des terrains agricoles et des points d'eau.
(Juliette MANSOUR)
Le 17 mai 2024 sur la chaîne YouTube de l'entreprise "Kapper Outdoors" a republié cette vidéo en donnant davantage de vidéos sur son contexte. Joe Kapitany, le patron de l'entreprise, basée dans l'Illinois, y explique comment traiter l'eau d'un étang avec un colorant.
"Oui, c'est ma vidéo de l'étang, ici, dans le sud de l'Illinois, aux États-Unis. Filmée il y a quelques jours à peine", a -t-il confirmé à l'AFP le 21 mai.
"C'est la partie que je préfère dans le traitement des étangs (...) le colorant n'a pas pour but de rendre l'étang 'plus beau' ! Il réduit la lumière du soleil qui atteint le fond d'un étang peu profond, limitant la prolifération de mauvaises herbes et la végétation souvent indésirable de l'étang ; le colorant bleu pour étang a donc un objectif très spécifique !", explique-t-il plus en détail dans la légende de la vidéo en anglais.
Nager dans la Seine, une bataille pas encore gagnée
Les analyses réalisées de 2015 à 2023, transmises à l'AFP par la mairie de Paris, montraient de fortes variations l'été dernier, avec plusieurs pics de concentration de l'une des deux bactéries indicatrices de contamination fécale, Escherichia coli (archive ici).
Au regard de la directive européenne "baignade" de 2006, aucun des 14 points de prélèvement parisiens de l'eau n'a atteint un niveau de qualité suffisant en 2023, globalement de juin à septembre. La concentration en E. coli dépasse le maximum demandé (900 unités formant colonie/100 mL) sur tous les points.
Indicateurs de qualité de l'eau calculés chaque année pour les points de prélèvement en Seine parisienne, sur la base de la directive européenne "baignade" de 2006 (AFP / Nalini LEPETIT-CHELLA, Sabrina BLANCHARD)
Et celle en entérocoques, l'autre bactérie prise en compte par la réglementation, dépasse légèrement le seuil requis au pont d'Ivry (sud-est) et au pont du Garigliano (sud-ouest): 330 UFC/100 mL.
A l'été 2022 pourtant, ces analyses avaient atteint un niveau "suffisant" pour les deux bactéries dans trois points de mesure du centre de Paris, avant une dégradation en 2023.
Mairie et préfecture de région mettent en avant que "sur le site des épreuves de nage en Seine, 70% des mesures quotidiennes sont bonnes pour la période du 1er juin au 7 septembre 2023".
Pas de quoi rassurer la championne olympique en titre d'eau libre, Ana Marcela Cunha, qui a réclamé "un plan B", ou u l'ONG Surfrider Foundation, qui a mis en garde contre l'état "alarmant" des eaux de la Seine, avec des seuils mesurés entre septembre et mars "au-dessus voire très largement au-dessus" de ceux recommandés.
[LETTRE OUVERTE] Alors que les #JOP de #Paris2024 sont sous les projecteurs, une ombre plane sur la qualité de l'eau de la #Seine. Au lendemain de la #JourneeMondialeDeLaSanté, Surfrider publie une lettre ouverte !
✉️ un #thread
https://t.co/mP7GKW6w00
1/6 pic.twitter.com/STda5OePDo— Surfrider France (@surfriderfrance) April 8, 2024
"Il n'a jamais été question d'ouvrir la baignade dans la Seine toute l'année", a répondu le préfet de région Marc Guillaume. La Ville de Paris a annoncé que toute la procédure d'analyse serait doublée pour l'été 2024. "La logique de 'test-event' a pris tout son sens; on a appris", retient la Ville de Paris.
La météo reste le "risque principal" pour la bonne tenue des épreuves des Jeux, reconnaît la préfecture, qui redoute des "pluies exceptionnelles". En cas de précipitations intenses, de l'eau non traitée - mélange de pluie et d'eaux usées - peut être rejetée dans le fleuve.
Le plan B consiste à reporter de quelques jours les épreuves dans la Seine mais pas à changer de lieu. Au-delà des Jeux, les travaux visent une amélioration durable de la qualité de l'eau en vue de l'ouverture d'une trentaine de points de baignade, dans l'agglomération parisienne, sur la Seine et la Marne.