L'augmentation de la proportion de CO2 dans l'atmosphère a bien un impact sur le climat

La communauté scientifique s'accorde à dire que le réchauffement climatique est causé par les émissions de gaz à effet de serre, dont le CO2, liées aux activités humaines. Mais des internautes ont exhumé des vidéos datant de 2019 dans lesquelles un ancien présentateur radio australien prétend que le pourcentage de CO2 présent dans l'atmosphère serait trop faible pour avoir un impact sur le climat. Mais ce raisonnement est trompeur, ont déjà expliqué plusieurs spécialistes du climat à l'AFP : même des changements dans la composition des gaz de l'atmosphère dont les valeurs semblent faibles peuvent avoir un impact important sur le climat à long terme, et il est aujourd'hui avéré que les émissions de gaz à effet de serre entraînent le réchauffement du climat. Les effets de ce dernier sont par ailleurs d'ores et déjà observables dans le monde entier.

"Le radiodiffuseur australien Alan Jones éduque soigneusement un panel de fanatiques du climat sur la réalité du #ClimateScam. 'Le CO2 représente 0,04 % de l'atmosphère, et les êtres humains sont responsables de 3% de ces 0,04%... C'est comme dire : 'Il y a un grain de sucre sur le Harbour Bridge. [l'un des ponts emblématiques de Sydney, NDLR] Nettoyez le pont, il est sale'.", assure un post sur X partagé environ 900 fois depuis le 14 janvier 2024. 

Il relaie une vidéo combinant des extraits d'interventions d'Alan Jones, un Australien ex-entraîneur de rugby devenu animateur radio, très connu dans son pays et qui tente régulièrement de minimiser le rôle du CO2 et des activités humaines dans le réchauffement climatique, comme l'indique le média DeSmog (lien archivé ici), spécialisé dans les sujets sur le climat et l'environnement et en particulier la lutte contre la désinformation dans ce domaine.

Dans le premier, provenant d'une émission appelée "Q&A" diffusée en mai 2019 par l'Australian Broadcasting Corporation (ABC), l'entreprise de radio et télévision publique australienne, Alan Jones demande aux autres invités quel est, selon eux, le pourcentage de CO2 présent dans l'atmosphère. 

Il répond ensuite lui-même : "C'est 0,04%, et parmi ces 0,04%s, les humains autour du monde contribuent à hauteur d'environ 3%", ajoutant que l'Australie contribuerait à elle seule à "1,3%" de ces 3%.

Puis, dans l'extrait suivant, qui correspond à une autre interview de l'ancien animateur en 2019 sur Sky News Australia, il reprend ces mêmes chiffres en ajoutant : "c'est comme si on disait que dès qu'il y a un grain de sucre sur l'Harbour Bridge , il faudrait absolument nettoyer le pont qui est sale". 

Il poursuit en critiquant des décisions du gouvernement australien visant à réduire les émissions de CO2 dans le pays, les qualifiant d'"inutiles".

Les mêmes allégations, reprenant la première vidéo de l'émission "Q&A" avaient été largement partagées en mai 2023, et avaient fait l'objet d'un article de vérification de l'AFP en anglais.

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Capture d'écran prise sur X le 16/01/2024

Si les chiffres cités par Alan Jones sont plutôt corrects, il omet de mentionner le fait que des émissions de CO2 dans de telles proportions peuvent avoir un effet important sur le changement du climat, et développe ainsi un raisonnement trompeur, ont déjà relevé des spécialistes du climat auprès de l'AFP.

"Bien que les gaz à effet de serre ne représentent qu'un pourcentage infime des gaz de notre atmosphère, ils jouent un rôle majeur en piégeant la chaleur provenant de la Terre et en l'empêchant de s'échapper dans l'espace, ce qui réchauffe notre planète et contribue à l'effet de serre de la Terre", explique par exemple la NASA, l'agence américaine de recherche aéronautique, sur son site (lien archivé ici).

Des allégations similaires ont par ailleurs déjà fait l'objet de vérifications de l'AFP en 2023, ici et .

Des chiffres sortis de leur contexte

Dès 2019, le climatologue allemand du Potsdam Institute for Climate Impact Research Stefan Rahmstorf, relevait déjà dans un article (archivé ici) que les personnes remettant en cause la responsabilité des humains dans le réchauffement du climat citent souvent de façon trompeuse "le petit chiffre de 0,04% [...] pour suggérer que l'effet du CO2 sur le climat serait également être faible".

Ce chiffre correspond en effet à ce que les scientifiques ont largement documenté comme étant le niveau de CO2 dans l'atmosphère terrestre, comme indiqué ici sur une page dédiée (archivée ici) du site de l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (ou National Oceanic and Atmospheric Administration, NOAA, en anglais).

Cette quantité mentionnée dans les publications correspond aussi aux quantités mesurées par la NASA (lien archivé ici). Selon l'agence spatiale américaine, la concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère est précisément de 0,0407%.

Mais parler de 0,04%, "c'est vrai, mais ça ne veut rien dire" en soi, avait déjà expliqué  à l'AFP en août 2022 Gerhard Krinner (lien archivé ici), directeur de recherche CNRS à l'Institut des géosciences de l'environnement. "C'est très peu car l'air contient pratiquement 80% d'azote et 20% d'oxygène".

Le problème, selon le spécialiste, est l'augmentation de la concentration en C02, principal gaz à effet de serre, qui emprisonne la chaleur. En regardant une tendance depuis 1800, elle a fait face à une hausse de presque "50%", précisait-il.

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Concentrations atmosphériques des principaux gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane et protoxyde d'azote) (AFP / Simon MALFATTO, Sabrina BLANCHARD)

Le chiffre de 1,3% cité par Alan Jones semble par ailleurs également correspondre à la part de l'Australie dans les gaz à effet de serre mondiaux, selon un rapport publié fin 2022 par le gouvernement australien sur les objectifs climatiques du pays (lien archivé ici).

D'autres données (archivées ici), disponibles sur la plateforme "Our World in Data" qui recense des données sur divers sujets suggèrent que le pourcentage de CO2 émis par l'Australie en 2019, lors des interventions d'Alan Jones, était légèrement inférieur, autour de 1,12%.

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Emissions annuelles de CO2 par région et pays les plus émetteurs, de 1850 à 2022 (AFP / Julia Han JANICKI, Sabrina BLANCHARD, Valentin RAKOVSKY)

L'origine de l'affirmation d'Alan Jones selon laquelle les émissions d'origine humaine sont responsables d'environ 3% du CO2 atmosphérique n'est dans ses interventions pas clairement sourcée. 

Toutefois, ce chiffre est relativement proche des données du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), considéré comme une référence sur les connaissances liées au changement climatique, qui indiquent que la pollution due aux combustibles fossiles représente environ 5% du CO2 de l'atmosphère (lien archivé ici).

Cependant, les scientifiques soulignent que ce pourcentage ne reflète pas le fait que les émissions générées par les humains ne sont pas absorbées dans le cadre du cycle naturel du CO2. Au contraire, elles augmentent la quantité du CO2 naturellement présent dans l'atmosphère, réchauffant ainsi la planète, et restent dans l'atmosphère pendant des années.

Les scientifiques suivent l'évolution (lien archivé ici) des concentrations de gaz à effet de serre en mesurant l'équilibre des émissions provenant de différentes sources dans l'atmosphère. Cela inclut le carbone rejeté et absorbé par des processus naturels et anthropiques.

Chris Jones, expert des cycles du carbone au service météorologique britannique Met Office, avait aussi déjà déclaré à l'équipe anglophone de l'AFP en juillet 2022 que, même si le pourcentage était faible, "l'activité humaine est entièrement responsable du déséquilibre" qui conduit au réchauffement climatique.

Les humains responsables de l'augmentation du CO2 qui cause le réchauffement

La concentration de CO2 est mesurée en "partie par million" ou ppm. Cet indicateur permet de calculer le taux de pollution dans l'air et plus globalement dans l'environnement. Comme son nom l’indique, le ppm permet de savoir combien de molécules de polluants on trouve sur un million de molécules d'air.

Or, la concentration de CO2 est passée d'environ 280 ppm dans les années 1850 à plus de 400 ppm en 2018 (ce qui correspond environ aux 0,04 %), selon la NOAA.

Les données de la NOAA (archivées ici) montrent également comment le CO2 atmosphérique a augmenté parallèlement à la hausse des émissions d'origine humaine.

Six jeux de données (lien archivé ici) analysés par des scientifiques de plusieurs pays, recensées sur le site de l'observatoire européen du climat Copernicus, ont suivi l'augmentation de la température moyenne mondiale qui en a résulté.

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Graphiques sur l'évolution des températures depuis 1850 et les simulations incluant et excluant l'influence humaine, et sur la concentration de CO2 dans l'atmosphère au cours des 400 000 dernières années (AFP / Eléonore HUGHES, Jean-Michel CORNU, Simon MALFATTO, Jonathan WALTER)

Une partie du rapport du GIEC de 2021 (archivé ici) explique en détail comment les différents gaz contribuent au "forçage radiatif", qui correspond au processus via lequel les radiations du Soleil parviennent jusqu'à la Terre, puis sont renvoyées dans l'atmosphère, ce qui permet à la Terre de connaître une température vivable. Certains facteurs, en particulier les gaz à effet de serre, viennent perturber l'équilibre en limitant la réémission du rayonnement vers l'espace, ce qui augmente la température de la Terre.

Le rapport identifie ainsi "une relation quasi-linéaire" entre les émissions de CO2 et le réchauffement climatique récent.

Ce principe est également décrit sur le site de vérification des fausses informations autour du climat Skeptical Science : "Le CO2 d'origine humaine dans l'atmosphère a augmenté d'un tiers depuis l'ère préindustrielle, créant un forçage [une modification, NDLR] artificiel des températures mondiales qui réchauffe la planète. Bien que le CO2 dérivé des combustibles fossiles ne représente qu'une infime partie du cycle mondial du carbone, le CO2 supplémentaire est cumulatif car l'échange naturel de carbone ne peut absorber tout le CO2 supplémentaire".

C'est également ce qu'expliquait Gerhard Krinner en décembre 2022 : "si on compare les émissions humaines aux flux bruts naturels vers l'atmosphère depuis l'océan et depuis la surface terrestre, on a l'impression que les émissions naturelles sont beaucoup plus importantes que les émissions humaines", commentait Gerhard Krinner. Le problème, c'est que les émissions anthropiques de CO2 perturbent le cycle naturel en rajoutant des gaz à effet de serre.

Pour illustrer ce phénomène, Gerhard Krinner utilisait une analogie : "imaginons que vous gagnez tous les mois 3.000 euros et vous les dépensez tout de suite. A côté, vous avez 10.000 euros sur votre compte et ça ne bouge pas parce que vos dépenses sont égales au revenu. Situation naturelle à l'équilibre donc. Maintenant, votre mère vous donne 100 euros par mois comme cadeau - ce sont nos émissions, plus faibles que les 'émissions naturelles' - qui correspondent à nos revenus".

"De ces 100 euros mensuels en plus, vous dépensez 50 tous les mois - c'est l'absorption de la moitié de nos émissions par les océans et la végétation - et vous mettez 50 sur votre compte tous les mois - c'est l'augmentation du CO2 dans l'atmosphère -. Au bout de 10 ans, avec ces 50 euros mensuels, qui sont peu par rapport à votre salaire, vous aurez 6.000 euros de plus sur votre compte (120x50), donc 16.000 euros au lieu des 10.000 initiaux. Évidemment, ce genre d'analogie a ses limites, mais je pense qu'elle permet de saisir l'essentiel", expliquait ainsi le scientifique.

Les 8 dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées

Les données montrent par ailleurs clairement une tendance au réchauffement de la Terre. "Les huit années les plus chaudes ont toutes été enregistrées depuis 2015, les trois premières étant 2016, 2019 et 2020", précisait déjà l'Organisation météorologique mondiale (OMMauprès de l'AFP en mars.

Le même constat avait été publié par l'organisation dans un rapport (archivé ici) disponible sur son site, et ces tendances, fondées sur des données de plusieurs centres de recherches internationaux, sont aussi observables sur le site de la NASA qui permet de visualiser l'évolution des températures mondiales par année.

"D'autres indicateurs du changement climatique - les concentrations de gaz à effet de serre, l'élévation du niveau de la mer, la chaleur des océans et l'acidification des océans - ont tous atteint des niveaux record au cours des neuf premiers mois de l'année 2022. Les glaciers reculent et les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient", précisait en outre l'OMM.

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Évolution de la température annuelle moyenne par rapport aux niveaux préindustriels (1850-1900) de 1850 à 2022, selon le rapport annuel sur l'état du climat mondial de l'Organisation météorologique mondiale (OMM) (AFP / Sylvie HUSSON, Sophie RAMIS, Jonathan WALTER)

Dans ce contexte, l'Australie, un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre au monde par habitant, a adopté en mars 2023 des lois sur le climat ciblant les plus gros pollueurs, qui doivent forcer les mines, fonderies et raffineries à réduire leurs émissions d'environ 5% par an, comme détaillé dans cette dépêche de l'AFP (archivée ici). 

Le pays a aussi promis de réduire considérablement la pollution par le carbone d'ici à 2030 et de parvenir à des émissions nettes nulles d'ici à 2050. La stratégie du pays consiste à réduire la dépendance au charbon, à promouvoir les sources d'énergie renouvelables et l'utilisation de véhicules électriques.

La désinformation sur le réchauffement climatique est largement présente sur les réseaux sociaux, et l'AFP y consacre de nombreux articles de vérification, consultables ici.

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