Attention ces images d'explosions ne sont pas celles d'un bombardement récent au Yémen

Depuis le 12 janvier, des frappes américano-britanniques ont ciblé près de 30 sites au Yémen où se trouvaient des positions houthies, selon l'armée américaine, en réponse à des attaques de navires dans la mer rouge, au large de Yémen, revendiquées par les Houthis. Ces derniers justifient leurs frappes comme moyens de montrer leur "solidarité" avec les Palestiniens de Gaza. Dans ce contexte, deux images de flammes impressionnantes entourant des bâtiments ont été largement diffusées sur les réseaux sociaux par des internautes prétendant qu'elles montreraient un bombardement récent. Mais les deux photos ont été sorties de leur contexte : la première avait été diffusée par l'agence de presse Reuters et montre en réalité un incendie sur l'un des sites de l'entreprise pétrolière Aramco à Jeddah, en Arabie Saoudite, en mars 2022, après un autre bombardement revendiqué par les Houthis à l'époque. La deuxième montre un bombardement israélien à Gaza en octobre 2023, photographié par un journaliste de l'AFP.

"Le Yémen sous les bombes. Les USA et la GB ont choisi d'attaquer le soir de la plaidoirie de l'Afrique du Sud à la CIJ. Le message est clair: pas touche à Israël", indique une publication sur X partagée plus de 1.000 fois depuis le 12 janvier 2024, relayant deux photos d'explosions, de nuit, au-dessus de bâtiments. 

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Capture d'écran prise sur X le 17 janvier 2024

La première des deux photos a aussi été partagée dans d'autres publications indiquant qu'elle montrerait des bombardements américains et britanniques au Yémen en 2024, totalisant des centaines de partages sur Twitter et Instagram.

Plusieurs sites diffusant des actualités basés en Afrique francophone ont aussi utilisé la première photo pour illustrer des articles sur les bombardements récents au Yémen, comme celui-ci.

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Capture d'écran prise sur X le 17 janvier 2024

Cette même photo a circulé avec des commentaires en espagnol prétendant qu'elle montrerait des bombardements, cette fois visant des bases militaires américaines et britanniques au Yémen, comme détaillé dans cet article de vérification de l'équipe hispanophone de l'AFP.

En effet, depuis le 12 janvier, l'armée américaine et l'armée britannique ont mené plusieurs frappes visant des sites et des missiles des rebelles Houthis, proches de l'Iran et qui contrôlent une grande partie du Yémen, en représailles à des attaques de ces derniers visant des navires en mer Rouge, qui se sont multipliées ces derniers mois.

Les Houthis accusent ces navires d'être proches d'Israël, et justifient les bombardements comme des moyens de "soutien" aux Palestiniens de la bande de Gaza, cette dernière étant bombardée par Israël, qui est un allié des Etats-Unis.  Le 11 janvier,  l'Afrique du Sud avait déclaré devant devant la Cour internationale de Justice que l'attaque du Hamas du 7 octobre ne peut justifier la "violation" par Israël de la Convention sur le génocide.

Néanmoins les deux images  que nous examinons ne montrent pas ces récents bombardements : la première photo avait été prise en 2022 par un photographe de l'agence de presse Reuters lors de l'incendie d'infrastructures pétrolières à Jeddah en Arabie Saoudite ; et la deuxième avait été enregistrée en octobre 2023 par un photographe de l'AFP, et montre un bombardement à Gaza.

Une première photo prise à Jeddah en 2022

Un premier indice pouvant mettre sur la piste d'une image détournée de son contexte est que la même photo a été récemment partagée dans d'autres langues, mais avec des légendes différentes. En l'occurrence, les publications en français prétendent qu'il s'agirait d'un bombardement américain, tandis que celles en espagnol assurent qu'il s'agirait plutôt d'une réplique des Houthis visant des bases américaines et britanniques au Moyen-Orient.

Une recherche inversée sur Google nous a permis de trouver la première photo diffusée par plusieurs médias, dont dans un article (archivé ici) du site de la chaîne d'information qatarie Al Jazeera.

Daté du 25 mars 2022, il est intitulé en anglais : "Saudi Aramco crude oil depot in Jeddah hit by Houthi attack" ("Un dépôt de pétrole brut de Saudi Aramco à Jeddah touché par une attaque des Houthis", en français).

L'article indique que "les rebelles yéménites houthis ont revendiqué une série d'attaques en Arabie saoudite après que la télévision d'Etat du royaume a fait état de tirs de roquettes et de drones sur des dépôts pétroliers à Jeddah et d'autres installations à Ryad".

La légende de l'image précise, en anglais : "Smoke rises from a fire at Saudi Aramco's oil storage facility in Jeddah after the Houthi attack" ("De la fumée s'élève d'un incendie dans les installations de stockage de pétrole de Saudi Aramco à Jeddah après l'attaque des Houthis", en français ) et mentionne l'agence de presse britannique Reuters comme source.

Une autre recherche inversée sur Google en anglais avec les mots-clés "Saudi", "Aramco", "Jeddah", "Reuters" et "2022" nous a permis de retrouver l'image (qui montre un plan un peu plus large que celui partagé en 2024 sur les réseaux sociaux, comme montré dans la comparaison des deux images ci-dessous), dans un article (archivé ici) publié sur le site de l'agence de presse le 26 mars 2022.

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Comparaison de la photo partagée sur les réseaux sociaux en 2024 (à gauche) et de celle diffusée sur le site de Reuters en 2022 (à droite), captures d'écran prises le 17 janvier 2024

L'AFP avait également rapporté l'existence de cet événement en mars 2022, notamment dans cette dépêche (archivée ici), qui indique qu'à la veille du septième anniversaire de l'intervention de la coalition militaire dirigée par Ryad au Yémen pour soutenir le gouvernement yéménite face aux Houthis, ces derniers avaient revendiqué des frappes sur les installations pétrolières, non loin d'un circuit utilisé pour le Grand Prix de Formule 1.

Des photographes et journalistes vidéo de l'AFP avaient également enregistré des images de l'explosion spectaculaire visible sur la photo partagée en 2024, comme celle montrée ci-dessous.

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De la fumée et des flammes s'élèvent d'une installation pétrolière de Saudi Aramco dans la ville de Jeddah, sur la mer Rouge, le 25 mars 2022, à la suite d'une attaque des rebelles yéménites houtis. (AFP)

Une deuxième photo prise à Gaza en octobre 2023

Une autre recherche d'image inversée à partir de la deuxième image partagée par l'une des publications en français nous a dirigés vers des articles de médias datant d'octobre 2023 sur la guerre entre le Hamas et Israël à Gaza. 

Parmi eux, un article de RFI (archivé ici) publié le 11 octobre 2023, intitulé : "Guerre Israël-Hamas : massacre dans un kibboutz, des dizaines de morts à Gaza en une nuit", qui récapitule le déroulement d'une nuit "d'horreur de chaque côté de la frontière", au "cinquième jour d'hostilités" après l'attaque sanglante du Hamas le 7 octobre, suivie de bombardements sans précédents d'Israël en représailles sur la bande de Gaza.

La légende de l'image indique : "Bombardements de l'armée israélienne sur la bande de Gaza, le 10 octobre 2023", et crédite l'AFP comme source.

Une recherche dans la banque d'image de l'agence nous a permis de retrouver la même photo, qui montre là encore un plan un peu plus large que celui montré sur les réseaux sociaux (comme visible sur la comparaison ci-dessous).

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Comparaison de la photo partagée sur les réseaux sociaux en 2024 (à gauche) et la photo prise en 2023 par l'AFP (à droite), captures d'écran prises le 17 janvier 2024

Sa légende, initialement en anglais, indique, traduite en français : "Des explosions illuminent le ciel lors de bombardements israéliens sur la ville de Gaza, le 10 octobre 2023. Israël a annoncé avoir recapturé des régions frontalières de Gaza auparavant aux mains du Hamas, alors que la barre des 3.000 morts au cours du conflit a été franchie le 10 octobre, au quatrième jour d'intenses combats depuis que [le Hamas] a lancé une attaque surprise".

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Des explosions illuminent le ciel lors de bombardements israéliens sur la ville de Gaza, le 10 octobre 2023. Israël a annoncé avoir recapturé des régions frontalières de Gaza auparavant aux mains du Hamas (AFP)

Une escalade des tensions au Yémen

Le 12 janvier 2024, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont bombardé des cibles militaires houthies au Yémen, faisant au moins cinq morts. 

Le président américain Joe Biden avait déclaré que cette opération "défensive" avait été menée en réponse aux attaques des Houthis contre des navires marchands en mer rouge, une zone cruciale pour le commerce mondial, et avait bénéficié du "soutien" de l'Australie, du Bahreïn, du Canada et des Pays-Bas.

Ces actions ont été menées en réponse aux attaques menées ces dernières semaines par les rebelles contre des navires en mer Rouge, en solidarité avec les Palestiniens de Gaza.

Les Houthis, proches de l'Iran et qui contrôlent une grande partie du Yémen, ont multiplié depuis novembre dernier les attaques de navires qu'ils soupçonnent d'être liés à Israël, par missiles et par drones en mer Rouge, près du détroit stratégique de Bab el-Mandeb séparant la péninsule arabique de l'Afrique.

Les Houthis affirment agir en solidarité avec les Palestiniens de la bande de Gaza qui sont bombardés par Israël, lui-même allié des Etats-Unis.

Ils font partie de l'"axe de la résistance", termes utilisés par l'Iran pour désigner le gouvernement syrien, le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien, des groupes irakiens et les rebelles houthis du Yémen, qui sont proches de l'Iran et opposés à Israël.

Le 13 et le 14 janvier, l'armée américaine a confirmé que d'autres frappes américaines et britanniques avaient été menées sur des positions houthies au Yémen.

En représailles, les Houthis ont annoncé que "tous les intérêts américains et britanniques sont devenus des cibles légitimes des forces armées yéménites".

Ils ont également tiré des missiles sur un cargo américain dans le golfe d'Aden le 15 janvier, et tenté d'attaquer à la roquette un destroyer américain en mer Rouge la veille, selon des responsables militaires américains.

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Carte de la mer Rouge et du golfe d'Aden, montrant les divers incidents signalés depuis novembre 2023 dans cette région et les deux navires touchés par des missiles les 15 et 16 janvier 2024 (AFP / Paz PIZARRO, Sylvie HUSSON)

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