La température mondiale en baisse depuis 2015, preuve que les scientifiques se sont trompés sur le réchauffement climatique ? C'est faux
Alors que les huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées dans le monde, l'ancien haut-fonctionnaire climato-sceptique Christian Gerondeau, en pleine promotion de son nouveau livre sur plusieurs plateaux radio et télévisés, a affirmé que "la température mondiale baisse depuis 2015", selon des chiffres officiels britanniques, voulant remettre en cause l'importance du dérèglement climatique pourtant établie par un consensus scientifique. Ces interprétations sont erronées, comme l'ont confirmé le service météorologique britannique, l'organisation météorologique mondiale, un chercheur de Météo-France et une climatologue auprès de l'AFP. Les données montrent en réalité que la température mondiale est largement en hausse par rapport à ses niveaux préindustriels.
"La température de la Terre baisse depuis 8 ans, tout le monde peut trouver les chiffres", prétend la description d'un tweet relayant un extrait d'une émission de Sud Radio, dans laquelle Christian Gerondeau était invité.
"La courbe que je publie est disponible pour tout le monde. On peut avoir la température moyenne de la Terre tous les mois, personne ne peut les ignorer, il suffit de chercher 'température Terre' et vous l'avez. Eh bien ça baisse depuis huit ans", affirme l'ancien haut-fonctionnaire lors de son intervention dans l'émission radio le 2 mars.
Cet essayiste et ancien haut-fonctionnaire est aussi membre d'un groupe de réflexion qui estime que les politiques mises en place pour faire face au dérèglement climatique sont exagérées, comme le note le média anglophone DeSmog, spécialisé depuis 2006 dans les sujets sur le climat et l'environnement, et en particulier la lutte contre la désinformation dans ce domaine.
Il est aussi l'auteur de plusieurs livres remettant en cause le consensus scientifique sur le réchauffement climatique, et l'un des signataires d'une "déclaration mondiale sur le climat" qui nie l'urgence climatique véhicule des affirmations trompeuses, comme détaillé dans cet article de vérification de septembre 2022. Certains de ses propos sur la montée des mers ont également déjà fait l'objet d'une vérification de l'AFP.
Il a réitéré des déclarations semblables le lendemain sur le plateau de CNews, qui ont elles aussi récolté plusieurs milliers de partagées sur Twitter et sur TikTok.


Ces assertions sont néanmoins fausses : Christian Gerondeau interprète de façon trompeuse les données, qui montrent à l'inverse que les huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées, comme l'ont confirmé tous les spécialistes contactés par l'AFP.
Des données extrapolées et une interprétation trompeuse
En guise de source, Christian Gerondeau brandit une feuille imprimée qui reprend une courbe montrant selon lui des données "accessibles à tous", qui apparaissent dans son livre. La courbe correspond à la "figure 4", qui y est intitulée "évolution de la température terrestre depuis 7 ans" et s'appuierait sur "les constats du 'Hadley Center' britannique", sans plus de précisions.
Le Met Office Hadley Centre, est l'un des centres de recherches affiliés au Met Office, le service de météorologie britannique, qui produisent des données de référence liées à l'évolution du climat, et notamment à l'évolution des températures.
Sur le site du Met Office, on peut retrouver des données montrant l'évolution des températures moyennes sur la Terre, qui regroupent des mesures prises par différents observatoires météo et analysées par plusieurs centres de recherches dans le monde.
Pour les calculer, des chercheurs considèrent des moyennes de températures mondiales pour une période de référence (par exemple, la période préindustrielle, 1850 à 1900), et comparent les écarts par rapport à cette température moyenne chaque année.
"Dans l'ensemble, les températures moyennes ont augmenté dans la plupart des régions depuis le début du 20e siècle. Cela se reflète dans l'augmentation à long terme de la température mondiale. Cependant, les températures n'ont pas augmenté au même rythme partout. Certaines tendances générales de réchauffement sont à noter : les terres se sont généralement réchauffées plus rapidement que les océans ; et au cours des deux dernières décennies, l'Arctique s'est réchauffé deux fois plus vite que le reste du monde", peut-on lire sur le site du Met Office, en parallèle d'une courbe qui est sans équivoque.

Sur sa courbe, qui prend en compte uniquement les années de 2015 à fin 2022, Christian Gerondeau utilise des chiffres d'écarts de températures moyens sur la Terre, par rapport à une moyenne de températures calculée entre 1961 et 1990.
L'axe horizontal du graphique diffusé dans son livre et montré sur les plateaux correspond à une valeur de 0,4 ; et le chiffre le plus bas qui apparaît sur la courbe est environ 0,6. Cela signifie donc que toutes les températures considérées entre 2015 et 2022 ont donc été supérieures à la moyenne des températures mondiales entre 1961 et 1990 d'au moins 0,6 degré.
On peut observer de petites variations, mais la courbe montrée par Christian Gerondeau (voir capture d'écran ci-dessous) semble relativement horizontale. En 2016, année pour laquelle la courbe atteint un pic, la température pour certains mois s'est élevée à 1,3 degré de plus que la moyenne 1961-1990. Pour certaines périodes de 2021 en revanche, la température mesurée était "seulement" 0,6 degré au-dessus de la moyenne 1961-1990. Ce qui fait dire à l'ancien haut-fonctionnaire que le réchauffement climatique serait en déclin depuis 2016.

Mais ces allégations sont trompeuses : elles s'appuient sur de mauvaises interprétation des phénomènes qui influent sur la température mondiale, et extrapolent des données sur une très courte période qui ne représente pas la tendance générale de la hausse des températures mondiales, ont souligné les experts interrogés par l'AFP.
L'Homme responsable du dérèglement du climat à long terme
"Comme le montre le graphique [visible sur le site du Met Office et reproduit au-dessus, NDLR], la température moyenne mondiale a fortement augmenté, en particulier à partir des années 1970 et 1980. Mais cette hausse n'est pas une ligne droite, car les variations naturelles du système climatique font que certaines années sont légèrement plus chaudes ou légèrement plus froides que d'autres", explique Grahame Madge, le représentant du service presse spécialiste des questions liées à la science du climat du Met Office à l'AFP le 13 mars 2023.
Hervé Douville, chercheur au Centre National de Recherches Météorologiques à Météo-France, et l'un des auteurs de rapports du GIEC, explique que "la température du globe évolue à la fois sous l'effet des forçages anthropiques (les modifications du climat dues à l'action humaine) mais aussi de la variabilité intrinsèque interne du système climatique. D'une année sur l'autre, le principal mode de variabilité intertropicale (entre les tropiques) est bien connu, c'est le phénomène ENSO ou El Nino-La Nina : en résumé, El Nino concerne les événements chauds et El Nina les événements froids".

"Ces événements ont lieu grosso-modo tous les sept ans mais peuvent être plus rapprochés, et ils sont plus ou moins forts. Les événements Nino les plus forts sont ceux de l'hiver 1982-83, de l'hiver 1997-98 et pour le dernier en date de l'hiver 2015-2016", développe-t-il auprès de l'AFP le 14 mars 2023.
"C'est pour cela qu'il est important de regarder le niveau de température en moyenne sur une dizaine d'années", pour tenir compte de ces événements La Nina ou El Nino, précise la paléo-climatologue Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du groupe 1 des rapporteurs du GIEC.
Et selon l'Organisation météorologique mondiale (OMM), la "moyenne décennale pour la période 2013-2022 est estimée à 1,14 [1,02 à 1,27] degré celsius au-dessus du niveau de référence préindustriel de 1850-1900".
"L'année 2016 a été marquée par un léger réchauffement (lié à El Nino), tandis que les trois dernières années ont été influencées par La Nina, un phénomène de refroidissement", ce qui rend peu pertinent le fait de les comparer, confirme Graham Madge, soulignant que "ce réchauffement et ce refroidissement ont toutefois une influence bien moindre que le changement climatique d'origine humaine, qui est responsable de la tendance à la hausse des températures".
En d'autres termes, le phénomène de refroidissement à court terme lié à La Nina ne peut ainsi pas compenser entièrement les effets du réchauffement climatique d'origine humaine, observables à plus long terme. Si les effets du dérèglement du climat causé par l'Homme sur les phénomènes ENSO ne sont à ce jour pas évalués avec certitudes, certaines données tendent néanmoins à montrer que les épisodes La Nina sont eux-mêmes de plus en plus chauds.
Valérie Masson-Delmotte détaille ainsi que "si l'on regarde uniquement les évènements Nina (comme ces dernières années), on voit que la température augmente lors des évènements La Nina", comme le montrent des données publiées par les National Centers for Environmental Information, un organisme rattaché au gouvernement américain, ainsi que celles diffusées par l'agence américaine de recherche aéronautique (NASA).
Les huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées
Les données montrent en réalité une tendance au réchauffement de la Terre. "Les huit années les plus chaudes ont toutes été enregistrées depuis 2015, les trois premières étant 2016, 2019 et 2020. L'année 2016 a été marquée par un épisode El Nino d'une ampleur exceptionnelle, qui a contribué à l'établissement de températures mondiales record. Au cours des trois dernières années, nous avons connu un épisode de refroidissement La Nina, qui devrait être remplacé par un réchauffement El Nino dans le courant de l'année", détaille l'Organisation météorologique mondiale (OMM) auprès de l'AFP le 14 mars 2023.
Le même constat avait été publié par l'organisation dans un rapport disponible sur son site, et ces tendances, fondées sur des données de plusieurs centres de recherches internationaux, sont aussi observables sur le site de la NASA qui permet de visualiser l'évolution des températures mondiales par année.
"D'autres indicateurs du changement climatique - les concentrations de gaz à effet de serre, l'élévation du niveau de la mer, la chaleur des océans et l'acidification des océans - ont tous atteint des niveaux record au cours des neuf premiers mois de l'année 2022. Les glaciers reculent et les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient", précise en outre l'OMM.
"L'affirmation selon laquelle les températures diminuent depuis 2015 est trompeuse et n'est pas étayée par les données relatives à l'état du climat", résume ainsi l'organisation.

"Le changement climatique existe bel et bien et l'augmentation de la température par rapport à la période préindustrielle (considérée comme la période allant de 1850 à 1900) a été supérieure à 1,0°C. Il y a de fortes chances que l'une des cinq prochaines années soit une année record, dépassant le niveau de 2016", ajoute aussi le Met Office.
"Il n'y a aucun signe de refroidissement, et selon nos prévisions, le prochain phénomène El Nino pourrait faire battre des records de températures au cours des deux prochaines années", conclut-il.
Les interprétations trompeuses diffusées par Christian Gerondeau s'appuient sur un raisonnement trompeur ancien, qui a déjà été démystifiée par des médias et scientifiques spécialistes du climat par le passé.
"Au moment du cinquième rapport du GIEC, des climatosceptiques avaient déjà essayé de semer le doute parce qu'on avait eu un événement El Nino majeur, en 1998, en disant qu'il n'y avait ensuite pas eu de réchauffement majeur jusqu'à 2012", se souvient Hervé Douville auprès de l'AFP le 14 mars.
Le chercheur Robert Rohde, qui travaille à l'étude de données liées à la température de la Terre à l'université américaine de Berkeley, avait publié en janvier 2023 sur Twitter un "escalier du déni climatique", fondé sur un graphique semblable publié sur le site de vérification de fausses informations autour du climat Skeptical Science, et montrant comment des données peuvent être extrapolées de façon malhonnête pour tirer des conclusions erronées sur le réchauffement climatique.
If it is not literally the warmest year ever, someone will complain that global warming has stopped.
— Dr. Robert Rohde (@RARohde) January 16, 2023
Year-to-year fluctuations are a normal part of the ongoing global warming trend. Don't be distracted by the noise. pic.twitter.com/80hpCYo8j9
Le GIEC, une référence mondiale sur le climat
Le GIEC est la référence mondiale sur le climat. Créé en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue), ce groupe d'experts réunit des milliers de spécialistes des sciences de l'atmosphère, océanographes, glaciologues, économistes ; et a reçu le prix Nobel de la Paix en 2007.
Contrairement aux idées reçues, le GIEC ne produit pas d'études à proprement parler. Son rôle est de se plonger dans les milliers de publications scientifiques consacrées au sujet, expertiser les dernières connaissances, et présenter une synthèse équilibrée aux décideurs.
Le GIEC explique d'ailleurs tout ce processus sur son site internet : comment il sélectionne ses auteurs, sur quels documents le GIEC se fonde, comment fonctionne son processus d'examen, comment il approuve les rapports...
Dans le premier volet de son dernier rapport d'évaluation, publié le 9 août 2021, le GIEC affirme que le réchauffement climatique est "sans équivoque" et qu'il est "incontestable que l'influence humaine a réchauffé l'atmosphère, les océans et les terres".
Les rapporteurs du GIEC indiquent dans leur dernier rapport que les impacts du réchauffement climatique, déjà observables depuis plusieurs années, vont continuer à se multiplier et à s'intensifier si le changement climatique se poursuit au même rythme.
Ainsi, un tiers des espèces pourrait s'éteindre d'ici à 2070, la production de maïs devrait chuter de un cinquième à un tiers d'ici la fin du siècle et les récifs coralliens, qui ont déjà atteint la limite de leur adaptation, pourraient totalement disparaître d'ici à 2040 si le seuil des +1,5°C est franchi.
Bien qu'elle fasse aujourd'hui consensus au sein de la communauté scientifique, l'existence du changement climatique causé par l'Homme est régulièrement remise en question sur les réseaux sociaux. Ces derniers mois, l'AFP avait aussi vérifié plusieurs publications trompeuses sur le climat, notamment concernant les modèles climatiques, la glace de mer arctique, une étude de la NASA sur la masse de glace de l'Antarctique, une déclaration niant l'urgence climatique, ou encore sur les températures en Arctique.