Un accord de l'OMS sur la prévention des pandémies fera "abandonner sa souveraineté à la France" ? C'est trompeur

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  • Publié le 07 août 2023 à 17:32
  • Lecture : 14 min
  • Par : Marine DELRUE, AFP France
Alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) rédige un accord international sur la prévention et la préparation aux pandémies, plusieurs internautes et personnalités politiques s'inquiètent que ce texte fera "perdre leur souveraineté" aux Etats signataires s'il est adopté. Mais les États sont parties prenantes des négociations de ce projet d'accord, et pourront en outre choisir ou non de le ratifier, ont expliqué les experts interrogés par l'AFP. Par ailleurs, dans les premières versions du texte présentées, le respect du principe de souveraineté des États était clairement réaffirmé.

Alors que le Covid-19 a mis en avant la difficulté pour les Etats à répondre de manière coordonnée face à une pandémie, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a expliqué étudier la mise en place d'un accord sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies.

"Les États Membres de l’Organisation mondiale de la Santé sont convenus d’un processus mondial visant à élaborer et à négocier une convention, un accord ou un autre instrument international, en vertu de la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, afin de renforcer la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies", détaillait le site de l'OMS à propos de ce projet le 28 juin 2023.

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Capture d'écran prise sur le site de l'OMS le 07/08/2023

Ce projet d'accord n'a pas été adopté à la date du 7 août 2023 mais fait déjà l'objet de nombreuses interprétations sur les réseaux sociaux.

"Le 'traité pandémie' explique clairement que lors d'une pandémie, la souveraineté des pays serait transféré directement à l'OMS", peut-on lire et entendre dans une publication de Sud Radio sur X (ex-Twitter) où Chloé Frammery, dont les propos ont déjà été vérifiés par l'AFP, est interviewée au sujet du futur accord sur la pandémie.

"L'OMS prépare un coup d'Etat qui pourrait, demain, transférer unilatéralement les souverainetés nationales et populaires à une gouvernance mondiale ! Tout ça sous le fallacieux prétexte de notre sécurité sanitaire bien sûr. Faisons-le savoir et résistons au nom de la Liberté !", indique la légende d'un autre post Facebook publié le 1er juin 2023.

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Capture d'écran effectuée le 3 août 2023 sur X (ex-Twitter).
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Capture d'écran effectuée le 3 août 2023 sur Facebook.

 

 

Le futur traité sur les pandémies inquiète certains internautes qui redoutent que l'OMS acquiert le pouvoir d'imposer aux nations des confinements ou des vaccinations - une compétence jusque-là propre aux États - comme conclut par exemple un message posté le 21 février 2023 sur X (ex-Twitter).

Ces craintes sont alimentées par certains politiques comme l'eurodéputée RN Virginie Joron (ici) ou le député de l'Essonne Debout la France Nicolas Dupont-Aignan, dont les déclarations ont déjà fait l'objet de vérifications par l'AFP (1,2,3,4,5,6,7).

"L'OMS prépare un traité international sur les pandémies, qui lui permettra de dicter sa politique aux nations et d'instaurer un pass sanitaire obligatoire... STOP !", assurait ce dernier le 31 juillet dans une publication sur ses comptes Facebook et X (ex-Twitter).

Des affirmations similaires circulent également dans d'autres pays comme aux Etats-Unis (1, 2, 3 et 4), en Grèce (1, 2), en Pologne (ici) ou encore en Thaïlande (1, 2, ou 3) et ont fait l'objet d'articles de vérification ici et .

Cependant, l'accord, toujours en cours de négociation et tel qu'il est présenté en août 2023 ne menace pas la souveraineté des États, ont estimé plusieurs experts à l'AFP.

Qu'est-ce que cet accord ?

Créée en 1948, l'OMS est une organisation intergouvernementale réunissant chaque année à Genève, lors d'une Assemblée mondiale de la Santé, les délégations de ses 194 Etats membres. A cette occasion, ces délégations votent notamment pour adopter des normes dans le domaine de la santé.

Pratiquement deux ans après la crise engendrée par le Covid-19, le 1er décembre 2021, les 194 pays membres de l'OMS, réunis lors d'une session extraordinaire de l’Assemblée mondiale de la Santé, se sont accordés sur la préparation d'un futur accord visant à "renforcer la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies".

L'objectif de cet accord : permettre "aux pays du monde entier de renforcer les capacités nationales, régionales et mondiales et la résilience face à de futures pandémies". Concrètement : être mieux "armé" face aux pandémies.

Le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, avait exposé le 1er décembre 2021 les difficultés rencontrées dans la gestion de la pandémie (communiqué de presse archivé ici).

Quelques jours avant, il avait déjà appelé les pays à s'unir pour mieux prévenir les futures pandémies : "Tout cela se reproduira à moins que vous, les nations du monde, ne vous unissiez pour dire d'une seule voix : plus jamais ça !" (dépêche archivée ici).

Un accord toujours en cours de négociation dont la décision finale appartient aux États

L'accord est élaboré par un organe intergouvernemental de négociation, renommé en anglais INB pour Intergovernmental Negotiating Body, qui a tenu sa sixième réunion en juillet 2023. La dernière version de l'accord accessible au public a été publiée en juin 2023 et peut être consultée ici (archivée ).

L'INB comprend des représentants de divers pays membres, d'organisations d'intégration économique régionale, des Nations Unies et d'autres organisations intergouvernementales entretenant des relations avec l'OMS.

Dans le cadre de la négociation de ce traité, la direction générale de la Santé (DGS) a confirmé à l’AFP le 1 er août que la France prenait part aux discussions et pouvait donc négocier, en son nom, le futur accord : "La France contribue pleinement aux négociations en cours sur l'Accord, à la fois comme Etat membre et via une coordination Européenne permettant de peser au plan international".

L'accord de l'OMS "ne nie en rien la souveraineté des États dans la lutte contre les pandémies", indiquait à l'AFP le 8 juin 2023 Benjamin Mason Meier, professeur spécialiste des politiques de santé mondiale à l'université de Caroline du Nord "de fait, il sera rédigé par les États eux-mêmes", précise-t-il.

La version finale de l'accord sera ensuite présentée aux États-membres de l'OMS en 2024, selon l'OMS (archivé ici). L'accord pourra être adopté par les pays qui le souhaitent lors de l'Assemblée mondiale de la Santé, en vertu de l'article 19 de la Constitution de l'OMS, dont une version archivée est disponible ici.

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Capture d'écran de l'article 19 de la Constitution de l'OMS effectuée le 4 août 2023.

L'article stipule que : "La majorité des deux tiers de l'Assemblée de la Santé sera nécessaire pour l’adoption de ces conventions ou accords, lesquels entreront en vigueur au regard de chaque Etat Membre lorsque ce dernier les aura acceptés conformément à ses règles constitutionnelles".

"Même si les négociations aboutissent, les États ont toujours la possibilité de dire non, précise à l'AFP le 3 août Marie Baudel, docteure en droit international public. Les États doivent individuellement ratifier cet accord et ils peuvent décider de ne pas le faire".

Cette possibilité de pouvoir se retirer d'un accord, fait partie des mécanismes directement inscrits dans la Constitution de l'OMS qui permettent aux États de préserver leur souveraineté.

Un accord "juridiquement contraignant"

Si la version finale de l'accord n'est pas encore connue, l'organe de négociation a convenu, lors de sa deuxième réunion, que l'accord devrait être "juridiquement contraignant".

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Capture d'écran effectuée le 4 août 2023 du Projet préliminaire de CA+ de l’OMS diffusé le 1er février 2023 par l'OMS.

Autrement dit, les nations signataires seront tenues légalement de respecter et de mettre en œuvre les dispositions de l'accord conformément à leurs termes et à leurs obligations.

Cependant, au sens du droit international, cela ne correspond pas à une perte de souveraineté des États, contrairement à ce qui est parfois indiqué sur les réseaux sociaux.

"La faculté de s'engager est précisément un attribut de la souveraineté", commente auprès de l'AFP le 2 août Florian Couveinhes-Matsumoto, directeur des études pour le parcours droit du Département de Sciences Sociales de l’ENS, et maître de conférences en droit public.

Ainsi, en acceptant les conditions de l’accord, les États ne perdraient pas leur souveraineté, ces derniers ayant volontairement fait le choix de se plier aux règles.

"On utilise souvent l'expression 'juridiquement contraignant', mais à mon sens, il faut plutôt dire juridiquement obligatoire, détaille-t-il. Or, avoir des obligations, ce n'est pas contraire au fait d'être souverain".

Chez les juristes occidentaux, l'approche formelle de la souveraineté consiste à considérer que comme c'est l'État qui s'engage à respecter des conditions et qu'il peut s'en dégager, et bien il reste souverain puisque c'est lui qui a choisi librement de s'engager, explique Florian Couveinhes-Matsumoto.

En matière de droit international, accord "juridiquement contraignant" et "souveraineté des Etats" peuvent donc être conciliés. Et c'est d'ailleurs ce que garantit l'OMS dans le développement de son projet d'accord.

L'accord de l'OMS prévoit le respect de la souveraineté des États

Dans le premier "projet préliminaire" (archivé ici) présenté le 1er février 2023, le respect du principe de souveraineté des États est réaffirmé dès le premier point, avant même la partie "introduction" : "Réaffirmant que le principe de la souveraineté des États Parties doit présider à la prise en considération des questions de santé publique, notamment la prévention, la préparation, la riposte et le relèvement des systèmes de santé face aux pandémies".

Par ailleurs, le point 3 de l'Article 4 "Principes directeurs et droits" du projet préliminaire évoque lui aussi la garantie de la souveraineté des États :

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Capture d'écran effectuée le 4 août 2023 du Projet préliminaire de CA+ de l’OMS diffusé le 1er février 2023 par l'OMS.

"Comme pour tous les instruments internationaux, ce sont les gouvernements qui fixeront les dispositions de ce nouvel instrument, le moment venu et s’il est adopté, et ce sont eux qui prendront les mesures nécessaires en tenant compte de leurs propres lois et règlements", répète l'OMS sur son site (archivé ici).

L'article 3 qui garantit le respect de la souveraineté des États est également présent dans la dernière version publique du projet (archivé ici). Dans cet aperçu le plus récent de l'évolution du projet, on peut également voir que l'article 30 assure aux pays la possibilité de se retirer :

"A tout moment après une période de deux ans à compter de la date à laquelle l'accord est entré en vigueur pour une Partie, celle-ci peut se retirer de l'accord par notification écrite au Dépositaire", indique le premier paragraphe de l'article 30.

"C'est ce qu'on appelle la dénonciation", décrit Marie Baudel, docteure en droit international public, "vous avez des dispositions, selon lesquelles les Etats ont effectivement la possibilité de ne plus participer à l'accord".

Pas de mention de transfert de souveraineté des Etats pour les confinements ou les vaccins

Tel que l'accord est formulé pour l'instant, plusieurs experts ont confirmé à l'AFP que l'OMS ne mentionnait nulle part que l'organisation serait doté du pouvoir d'imposer des confinements, des vaccinations ou des pass vaccinal, aux pays signataires de l'accord, contrairement à ce qu'affirment plusieurs internautes sur les réseaux sociaux.

"Les pays restent responsables de leur réponse aux pandémies", a déclaré le 7 juin pour un précédent article de vérification de l'AFP Sharifah Sekalala, professeure de droit international spécialisée dans les sujets en lien avec la santé mondiale à l'Université de Warwick, "l'accord vise simplement à accroître le niveau de coopération internationale dans cette réponse".

Le projet d'accord évoque, entre-autre, la nécessité de corriger l’iniquité en matière d’accès aux produits liés aux pandémies, notamment en renforçant les capacités de fabrication.

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Siège de l'OMS à Genève, photographie de Fabrice COFFRINI.

Hélène De Pooter, maître de conférence en droit public, suit de prêt les négociations de l'accord. "A titre provisoire, voilà ce que je peux répondre. Les mots 'confinement général', 'vaccination obligatoire' ou 'pass vaccinal' ne sont pas utilisés dans le texte rédigé par le Bureau, qui n'est pas aussi spécifique", a détaillé la chercheuse, interrogée par l'AFP le 4 août sur le pouvoir possible de l'OMS pour imposer des confinements généraux ou des vaccinations.

Le texte étant encore en cours de négociations, impossible encore de répondre avec une certitude absolue sur l'impact des futures mesures, met néanmoins en garde Hélène De Pooter. 

Plusieurs articles, tels qu'ils sont actuellement rédigés peuvent susciter certaines interrogations sur les pouvoirs exactes qui seront conférés à l'OMS.

L’article 4B2b prévoit de façon générale que les Parties : "assurent la mise en œuvre de mesures de lutte contre les infections en appliquant autant que possible les normes et les lignes directrices internationales les plus récentes". "Donc, si jamais l'OMS émettait des normes et lignes directrices internationales dans le sens que vous indiquez dans vos questions, les États devront les appliquer autant que possible", analyse la chercheuse Hélène De Pooter.

"Ceci étant dit, j’observe que l’article 3 du projet rédigé par le Bureau renvoie également au 'respect des droits humains' et au principe de 'proportionnalité'. Ce dernier signifie que 'les décisions de santé publique visant à prévenir les pandémies, à s'y préparer et à y riposter devraient être proportionnées de telle sorte que les avantages des mesures appliquées l’emportent sur leurs coûts'. Ces références pourraient faire obstacle à de telles mesures aussi radicales", précise-t-elle par ailleurs.

En plus du fait que les négociations autour de la version finale de l'accord ne soient pas encore définies, l'accord sera susceptible d'être complété même une fois adopté, puisque l'article 20.6 du projet actuel prévoit la création d'une Conférences des Parties (COP). Sur les modèles des "COP" qui existent pour le climat, cette COP pourra prendre des "décisions", des "protocoles", des "annexes" et des "amendements", après l'adoption de l'accord.

"Parallèlement, les États sont en train de réviser le Règlement sanitaire international, qui est un instrument juridique obligatoire", rappelle Hélène De Pooter, "Or, plusieurs États voudraient donner un plus grand pouvoir d’action à l'OMS. Ainsi, le Bangladesh ou la Malaisie proposent que ce qui jusque-là n’étaient que des recommandations du secrétariat de l'OMS deviennent obligatoires pour les États. C'est à surveiller. Le Comité d'examen des amendements du RSI se montre sceptique à l’égard de ces propositions".

Le Règlement Sanitaire International a été adopté en 2005 et est un instrument juridiquement contraignant qui vise à prévenir la propagation internationale des maladies (archivé ici).

L'OMS a déjà officiellement démenti l'affirmation selon laquelle l'accord cédera du pouvoir à l'organisation internationale.

Le 23 mars 2023, l'OMS avait accusé Elon Musk, sans le nommer, de propager des "fake news" après un message sur X (ex-Twitter), archivé ici, où le multimilliardaire avait appelé les pays à "ne pas céder de leur autorité", en référence aux discussions en cours au sein de l’agence onusienne pour établir un accord visant à aider les pays à mieux prévenir et lutter contre les pandémies (dépêche archivée ici).

Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, lui avait d'abord répondu sur Twitter: "Les pays ne cèdent pas de leur souveraineté à l'OMS. Aucun pays ne cédera sa souveraineté. Les pays décideront de ce que dit l'#PandemicAccord, et les pays mettront en œuvre l'accord conformément à leurs propres lois nationales. Toute affirmation contraire est tout simplement fausse".

Les actions de l'OMS en matière de pandémie

"Le Covid-19 ne représente plus une urgence sanitaire mondiale", avait annoncé le 5 mai 2023 l'Organisation mondiale de la santé (OMS), ouvrant la voie à la fin d'une pandémie (dépêche archivée ici).

Le comité d'urgence de l'OMS avait décrété l'urgence de santé publique de portée internationale pour le Covid-19 le 20 janvier 2020. Ce statut permettait d'attirer l'attention de la communauté internationale sur une menace sanitaire, tout en renforçant la collaboration sur la recherche sur les vaccins et les traitements (précisions archivées ici).

Au total, la pandémie de Covid a fait 7 millions de victimes dans le monde, selon les estimations de l'OMS.

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