Une arrestation musclée de vacanciers français dans le métro espagnol en 2022 ? Non, il s'agit de supporters de foot interpellés à Bucarest en 2020
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- Publié le 26 août 2022 à 17:26
- Lecture : 6 min
- Par : Marion DAUTRY, AFP Belgrade, AFP France
- Traduction et adaptation : Claire-Line NASS
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Des Français qui viendraient du "9.3" (le département de Seine-Saint-Denis), qui "sèment la terreur dans le métro" en Espagne auraient été "interpellés comme on rêverait que ça se passe en France", prétendent les légendes de publications partagées plus de 2.400 fois sur Twitter depuis le 23 août, vidéo à l'appui. On y voit des hommes vêtus d'uniformes noirs, coiffés de casques, et portant pour certains des bâtons ou matraques, tirer violemment des personnes hors d'une rame de métro et les plaquer au sol dans une station.
Des allégations similaires, mentionnant des "jeunes de banlieue", ont été relayées avec la même vidéo ou une version un peu plus longue de cette dernière sur Twitter, sur Facebook et sur des blogs en août 2022. "La Police Espagnole, elle, sait parler aux racailles du métro", estime l'un des internautes ayant partagé la vidéo.
De nombreux commentaires félicitent les forces de l'ordre espagnoles, et certains en appellent au ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin, estimant que "c'est ainsi qu'il faut remettre de l'ordre".
La même séquence, associée à une légende affirmant montrer une station du métro espagnol et appelant les autorités françaises à prendre ce pays en exemple, circulait déjà en octobre 2021.
Mais cette vidéo ne montre ni un métro espagnol, ni des touristes français cet été ; elle a en réalité été filmée à Bucarest le 2 octobre 2020. La gendarmerie de la capitale roumaine avait alors procédé à des arrestations de supporters et ultras de deux équipes de football avant un match.
Ces mêmes images avaient par ailleurs déjà circulé fin 2021 en plusieurs autres langues, avec d'autres légendes trompeuses prétendant qu'elles révélaient les actions de policiers parisiens faisant sortir du métro des passagers ne portant pas de masque sanitaire. Les équipes de l'AFP en Serbie, en Inde, en Espagne, en Allemagne, y avaient déjà consacré des articles de vérification.
Une station de métro à Bucarest
Le premier indice mettant en doute les descriptions de la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux cet été est le fait que les paroles que l'on peut entendre ne sont prononcées ni en espagnol, ni en français.
Une recherche d'image inversée sur Google permet en réalité de retrouver la vidéo sur plusieurs pages Facebook en langue roumaine. Elle figure notamment dans une publication du 3 octobre 2020 sur la page d'un parti politique de droite, Alternativa Dreaptă.
Sa description indique que les images montrent la police roumaine arrêtant des supporters dans le métro à Bucarest, et dénonce la violence utilisée par les forces de l'ordre. La publication cite aussi le porte-parole de la gendarmerie de la capitale roumaine, Georgian Enache, qui précise que les gendarmes auraient eu des "informations" indiquant que les supporters de deux équipes avaient l'intention de s'affronter.
Une recherche avancée sur Google avec le nom de ce porte-parole ainsi que la date mène vers un article de l'agence de presse nationale roumaine AGERPRES publié le 2 octobre 2020, qui relaie les propos du porte-parole de la gendarmerie de la capitale. Il y est indiqué que les forces de l'ordre ont "dû intervenir rapidement et fermement pour extraire des supporters de la ligne de métro à la station Ştefan cel Mare".
Sur Google Maps, on peut retrouver cette station à côté du stade Dinamo, dans lequel joue notamment le Dinamo de Bucarest. Des images de son intérieur permettent de reconnaître les dalles au sol, ainsi que le plafond de la station, semblables à ceux visibles dans la vidéo. Les wagons ressemblent à un modèle de train Bombardier, qui était notamment utilisé dans le réseau de métro de Bucarest en 2020.
Les journalistes du bureau de l'AFP à Bucarest ont par ailleurs pu confirmer que les hommes dans la vidéo virale sur les réseaux sociaux criaient des ordres en roumain, comme "opriti" (arrêtez), "iesiti afara" (sortez), "hai, hai" (allez), "jos" (descendez), "culcat" ( au sol) et "pune-le catuse" (menottez-les).
Des affrontements entre supporters de foot
Dans l'article de l'agence de presse roumaine, le porte-parole des gendarmes Georgian Enache détaille les circonstances des événements de la vidéo et justifie les actions des forces de l'ordre. Selon lui, "les gendarmes ont extrait des personnes violentes et les ont interpellées rapidement. Comme nous avions des informations selon lesquelles elles avaient des armes blanches sur elles, nous avons voulu une intervention ferme, rapide et efficace pour protéger les autres passagers".
Les mêmes images ont également été publiées sur le compte Twitter du journaliste et spécialiste du football roumain Emanuel Roşu, sur le compte Facebook du journaliste sportif Cristian Scutariu et sur la page d'un syndicat de la police roumaine. D'autres publications sur Facebook avec une version plus longue de la vidéo l'ont aussi mise en ligne à partir du 2 octobre 2020, avec une description indiquant qu'il s'agissait d'interpellations dans le métro de Bucarest.
Le 2 octobre 2020, s'était tenu un match de football entre le Dinamo de Bucarest et le CSA Steaua de Bucarest, remporté par ce dernier. Des supporters de ces deux clubs se seraient rassemblés et affrontés avant le match, selon des médias locaux (ici, là) citant les forces de l'ordre.
Selon un communiqué de ces dernières, "certains des supporters avaient l'intention de se battre", et les gendarmes ont tenté de bloquer un groupe de supporters du CSA Steaua "qui se rendaient en métro à la station Ştefan cel Mare, où ils avaient l'intention de se rassembler (avec d'autres supporters) pour aller au stade et provoquer des violences".
Certains de ces supporters sont ensuite entrés dans le métro, lorsque la gendarmerie est intervenue et les a arrêtés, comme l'ont rapporté les médias roumains (ici et ici). "Nous précisons qu'en bloquant ces (fans), la violence qui devait se produire (...) a été stoppée", a déclaré la police, qui a également publié des photos des armes saisies.