Vue d'un paysage du canal Neumayer dans l'archipel Palmer depuis la péninsule Antarctique, le 20 janvier 2024 (AFP / JUAN BARRETO)

Non, la brève augmentation de la masse de glace de l'Antarctique ne remet pas en cause l'existence du changement climatique

La calotte glaciaire de l'Antarctique, constituée d'eau douce gelée, fond sous l'effet du réchauffement climatique. Pourtant, ce fait scientifique est régulièrement remis en cause. Ainsi par exemple, une étude publiée en mai 2025, signalant une augmentation brève mais notable de ce volume de glace entre 2021 et 2023, a été reprise par des internautes climatosceptiques pour nier le changement climatique. Mais, comme expliqué par les auteurs de l'étude eux-mêmes, une telle inversion de courte durée n'est pas le signe d'une reconstitution à long terme de la masse glaciaire mais résulte de conditions météorologiques spécifiques.

"Bien que la calotte glaciaire de l'Antarctique ait perdu de la glace à un rythme alarmant pendant près de deux décennies, entre 2002 et 2020, cette tendance a radicalement changé en 2021. La bonne nouvelle est que nous avions encore raison. La mauvaise nouvelle, c'est que l'on se dirige peut-être vers un nouvel petit âge glaciaire...", a posté sur X le 8 mai 2025 Silvano Trotta, qui relaie régulièrement de fausses informations  (ici et ici).

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Capture d'écran prise sur X le 04/06/2025

Des posts similaires sont apparus sur X et Facebook, insistant sur le gain de "plus de 100 milliards de tonnes de glace" de l'Antarctique en un an (1, 2, 3)

Ces comptes s'appuient sur une étude publiée en mai dans la revue Science China Earth Sciences (archive). Les auteurs y observent qu'entre 2021 et 2023, la calotte glaciaire de l'Antarctique, constituée d'eau douce gelée, s'est étendue et a donc réduit sa contribution à l'élévation du niveau moyen de la mer (archive).

Cette expansion n'a cependant pas compensé la hausse globale du niveau des mers au cours de cette période, causée par la perte de masse glaciaire et par le réchauffement du climat ailleurs dans le monde (archives 12). Le rythme s'accélère : en 2024, le niveau des mers a connu une hausse plus importante que prévu, comme le révélait une étude de la Nasa publiée en mars (archive)

Une inversion ponctuelle

Yunzhong Shen, co-auteur de l’étude, a déclaré à l'AFP le 19 mai que le gain de masse de la calotte de l'Antarctique observé entre 2021 et 2023 s'est produit sur "une période trop courte" pour être considéré comme une inversion de la tendance, ou pour nier l'impact du changement climatique dans la région (archive).

L'expansion de la calotte glaciaire de l'Antarctique semble aussi "s’arrêter après 2024, ce qui nécessite des études plus approfondies", a-t-il ajouté.

"Les niveaux les plus récents enregistrés par la Nasa en 2025 sont similaires à ceux de 2020, juste avant l'expansion soudaine", a confirmé James Kirkham, scientifique de l'International Cryosphere Climate Initiative, dans un courriel du 27 mai (archive).

Par ailleurs, lorsque l'on regarde la masse totale de l'Antarctique, les données de la Nasa montrent une perte nette depuis 2002.

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Capture d'écran, prise le 28 mai 2025, d’un graphique montrant la masse glaciaire de l’Antarctique depuis 2022, d'après des données mesurées par la Nasa.

Une expansion causée par de fortes précipitations

Les conditions météorologiques particulières, notamment des précipitations inhabituelles de neige et de pluie dans l'est de l'Antarctique et la péninsule antarctique, sont la principale raison de l'expansion de la calotte glaciaire, expliquent plusieurs experts interrogés par l'AFP. En effet, celle-ci est composée d'eau douce accumulée durant les précipitations.

Selon eux, ce gain partiel et de courte durée ne réfute pas l'impact du changement climatique sur le continent. En fait, "que l'Antarctique connaisse davantage de chutes de neige dans un climat plus chaud est tout à fait attendu, car l'atmosphère peut alors retenir plus d'humidité", explique James Kirkham.

"Cela signifie que la probabilité de phénomènes météorologiques extrêmes (comme les fortes chutes de neige qui ont provoqué le récent gain de masse dans l’est de l’Antarctique) augmente", ajoute-t-il.

"Quand les climatosceptiques parlent des glaciers en Antarctique, ils se concentrent en général sur la surface de la calotte glaciaire" et ignorent les autres pertes de glace, a abondé auprès de l'AFP Brandon Daly, étudiant en science de l'hydrologie spécialisé dans les glaciers et la calotte glaciaire (archive).

Or "c'est la glace en contact avec l’océan qui fond, et elle continuera de fondre même si les précipitations sur la calotte glaciaire augmentent", a-t-il ajouté, précisant que "c'est la fonte provoquée par l'océan [qui se réchauffe, NDLR] qui menace actuellement la stabilité de la calotte glaciaire et contribue à l’élévation du niveau de la mer".

Des pertes de glace à long terme

Les impacts du changement climatique d'origine humaine sont déjà largement visibles autour de la péninsule antarctique et des zones côtières du continent, a expliqué le 27 mai à l'AFP Peter Neff, scientifique du climat à l'Université du Minnesota. Mais selon lui, ils progressent plus lentement vers l'intérieur des terres (archive).

Le continent est "comme une crêpe géante aux bords très abrupts, ce qui ralentit la pénétration de l'air chaud provenant de l'océan Austral [océan Antarctique, NDLR] du nord vers le sud", a-t-il expliqué.

La quasi-totalité des pertes de glace de l'Antarctique provient des glaciers, principalement situés en Antarctique occidental et dans la péninsule (archives 1, 2).

De brèves compensations temporaires de la perte de masse glaciaire grâce aux récentes chutes de neige, comme celles observées entre 2021 et 2023, ne sont pas susceptibles de changer la trajectoire à long terme des pertes de glace à l'échelle du continent, dans un contexte de réchauffement persistant (archive).

Une étude publiée en 2023 dans la revue Nature Climate Change montre que l'Antarctique se réchauffe deux fois plus vite qu'anticipé par les scientifiques (archive).

Les stations météorologiques, dont les données restent limitées sur le continent, ont également observé un réchauffement à long terme avec un impact sur le niveau de la mer, malgré une très forte variabilité interannuelle, l'Antarctique étant la région au climat le plus variable au monde (archives 12).

Des données satellitaires ont récemment révélé que les calottes glaciaires contenant suffisamment d'eau gelée pour faire monter les océans d'environ 65 mètres sont plus sensibles au changement climatique que les scientifiques ne le pensaient auparavant (archive).

La quantité de glace fondue ou détachée dans l'océan depuis le Groenland et l'Antarctique occidental, qui s'élève aujourd'hui à environ 400 milliards de tonnes par an, a quadruplé au cours des trois dernières décennies, dépassant largement le ruissellement des glaciers de montagne.

Les deux océans polaires se réchauffent, l'océan austral "jouant un rôle de plus en plus important et disproportionné dans le réchauffement global des océans", d’après le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec - archive).

L'AFP a déjà vérifié des allégations fausses ou trompeuses sur les pôles, comme ici, ici ou ici.

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