Non, l'agence météo américaine ne manipule pas ses données avec des "stations fantômes"
- Publié le 1 décembre 2025 à 15:59
- Lecture : 8 min
- Par : Gaëlle GEOFFROY, AFP France
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La désinformation sur le réchauffement climatique est massive sur les réseaux sociaux, où circule l'idée infondée selon laquelle les scientifiques manipuleraient les données sur le climat. Mi-novembre 2025, certains affirment ainsi que l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA) utiliserait des relevés de "températures fantômes" supposément issus de stations météo qui n'existent pas. C'est faux : ces publications mentionnent les stations d'un réseau qui n'est plus le réseau de référence aux Etats-Unis, sans préciser que de nouvelles stations plus modernes ont été déployées sur le territoire dans les années 2010. En outre, quels que soient les outils utilisés, les données récoltées montrent bien un réchauffement tendanciel du climat.
2025 devrait être "la deuxième ou la troisième année la plus chaude jamais enregistrée", a indiqué l'Organisation météorologique mondiale (OMM) le 6 novembre 2025, conséquence du réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre des activités humaines, documenté par des milliers d'études scientifiques (lien archivé ici).
Cela n'empêche pas la désinformation climatique de rester omniprésente sur les réseaux sociaux, comme l'AFP le constate régulièrement. Mi-novembre 2025, des publications en français prétendent sur X montrer, photos à l'appui, un homme nommé John Shewchuk qui "va visiter les stations de mesure de température [de l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique - NOAA, NDLR] et découvre que beaucoup... n'existent pas. Pourtant, des températures fantômes sont utilisées pour semer la peur et appeler à la taxation climatique", assurent ces posts.
Ils s'inspirent de publications de John Shewchuk diffusées sur X en anglais en juin et novembre 2025 (1, 2). Sur Facebook (1, 2) par exemple, ils reprennent ses visuels, dont une vue de Google Earth montrant un emplacement à Quitman, en Géorgie, où une station météo devrait supposément se trouver, et une photo de John Shewchuk sur les lieux, où il dit n'en avoir trouvé aucune. Le texte qui accompagne le visuel évoque une "station USHCN fantôme" : "les relevés de température ont commencé en 1891 et pris fin en 2010. La NOAA fabrique désormais ses rapports mensuels de températures", en conclut-il.
Ces allégations virales circulent aussi en italien sur Facebook ou en anglais sur Instagram, et sont relayées par des sites internet en français depuis au moins un an.
Mais elles sont fausses : le réseau dénommé USHCN n'est plus le réseau de référence aux Etats-Unis depuis 2014, et les images relayées par John Shewchuk ne prouvent en rien une manipulation des relevés météo.
Une recherche sur cet homme, qui se présente sur son profil X comme météorologiste et ancien de l'armée de l'Air américaine, montre par ailleurs qu'il est membre de CO2 Coalition, un groupe de défense des énergies fossiles, émettrices de dioxyde de carbone, comme l'a relevé le média anglophone DeSmog, spécialisé sur les sujets de l'environnement et de la lutte contre la désinformation (lien archivé ici).
En mai 2017, le président de CO2 Coalition, William Happer, avait par exemple fait partie des 40 organisations signataires d'une lettre à Donald Trump approuvant sa campagne en faveur d'une sortie des Etats-Unis de l'Accord de Paris sur la réductions des émissions de gaz à effet de serre (lien archivé ici).
Nouvelles stations éloignées des activités humaines
La station "USCHN" de Quitman en Géorgie, évoquée dans le post de John Shewchuk, est numérotée "97276" selon lui et dotée de coordonnées GPS "30,78361" et "-83,56917".
Avec une simple recherche sur Google, on la retrouve mentionnée par exemple dans un relevé de températures pour la période 1901-2010 sur le site d'autorités de l'Etat de Caroline du Sud, ou dans un document de l'Etat de Floride, mais avec des coordonnées GPS de "30,80" de latitude et "83,58" de longitude, un peu différentes de celles citées dans les posts viraux (liens archivés ici et ici).
Une recherche sur Google Earth Pro à partir des coordonnées GPS mentionnées par John Shewchuk permet de vérifier qu'aucune station météo n'est effectivement visible sur ce parking. Quant aux coordonnées du document des autorités de Floride, elles correspondent à un terrain de base-ball situé un peu plus loin.
Contactée le 24 novembre 2025 pour savoir si cette station météo de Quitman définie par ces coordonnées existait toujours, ou pas, l'agence américaine NOAA n'avait pas répondu au moment de la publication de notre article.
Toutefois, même si cette station "USHCN" n'est pas visible sur Google Earth aux endroits correspondant à ces diverses coordonnées GPS, cela ne prouve pas que l'agence météo américaine manipulerait ses données avec des stations "fantômes".
Ces accusations "font référence à un outil ancien appelé USHCN", qui n'est plus l'outil de référence utilisé par l'agence, a indiqué à l'AFP le 20 novembre 2025 le climatologue Zeke Hausfather, membre de Berkeley Earth, une organisation américaine à but non lucratif spécialisée dans l'analyse de données scientifiques environnementales (lien archivé ici).
Les stations de ce réseau ne sont plus toutes opérationnelles. "La plupart sont toujours là", mais elles ne constituent plus le seul et unique réseau utilisé par la NOAA, explique-t-il : elles alimentent une nouvelle base de données qui agrège celles de milliers d'autres stations d'autres réseaux, dont certains bien plus modernes, comme le réseau USCRN.
Milliers de stations météo
Jusqu'au milieu des années 1990, le réseau USHCN, pour US Historical Climatology Network, comptait 1.218 stations météo réalisant des relevés de températures dans les 48 Etats américains contigus et le district de Columbia, et réparties tous les 2,5 degrés de longitude et 3,5 degrés de latitude, selon le site internet de la NOAA (lien archivé ici).
Au début des années 2000, une réorganisation a été engagée pour disposer de relevés plus précis et être en mesure de surveiller à long terme l'évolution du climat sur le territoire américain : le matériel a été modernisé, le maillage de stations renforcé, avec une grille de 5 km par 5 km, et de nouvelles stations installées en zones très rurales, des lieux peu susceptibles d'être perturbés à long terme par des activités humaines - quand, avec la croissance des villes, les stations du réseau USHCN ont pu se retrouver dans des zones urbaines.
Ce nouveau réseau, l'US Climate Reference network (USCRN), est totalement opérationnel depuis 2014. Il compte actuellement 114 stations dans les Etats américains contigus, 25 en Alaska et deux stations expérimentales à Hawaï (lien archivé ici). Le nombre de ces stations est "relativement faible" mais celles-ci sont "minutieusement localisées et extrêmement précises", souligne le site de la NOAA.
Les données du réseau USCRN sont compilées dans "nClimDiv", nouvel outil qui intègre donc les données des stations USHCN restantes évoquées plus haut et celles de plusieurs milliers d'autres stations du réseau mondial GHCN-Daily, par exemple des stations des régions canadiennes ou mexicaines toutes proches des frontières des Etats-Unis (lien archivé ici).
Il s'avère que ce nouveau réseau USCRN dispose de stations en Géorgie. Disponibles sur le site internet des Centres américains pour l'information environnementale (NCEI), des photos montrent que les quatre sites de cet Etat du sud-est des Etats-Unis se situent non pas en ville mais en pleine nature :
Les contempteurs de l'agence NOAA omettent donc d'évoquer cette modernisation du système de relevés de températures qui a pu se traduire par la disparition de certaines stations. Quant à celles qui restent, elles ne sont plus les outils de référence uniques de l'agence météo.
Ajustements
L'agence NOAA procède par ailleurs à des ajustements des données captées par les stations, pour neutraliser les effets qui pourraient dénaturer les relevés, par exemple une source de chaleur proche d'une station USHCN en zone urbaine, et avoir des données répondant toutes aux mêmes standards.
Ainsi dans le cadre de la modernisation du réseau, "le passage à nClimDiv a peu d'effet sur la tendance de la température moyenne nationale ou sur les résultats relatifs par années, car le nouveau jeu de données utilise les mêmes algorithmes et corrections qui étaient appliqués à la production des données de l'USHCN", souligne la NOAA sur son site internet.
Or, les sphères climato-sceptiques utilisent ces ajustements comme argument prouvant selon elle la supposée manipulation.
La mesure des températures a évolué dans le temps : les scientifiques sont passés du thermomètre au mercure aux technologies les plus modernes, les heures où les relevés sont réalisés ont pu être modifiées au fil des décennies, les stations météo déplacées, ou voir la pression urbaine - et donc la chaleur - s'accroître autour d'elles.
Pour tenir compte de ces aléas et pouvoir comparer les températures sur plusieurs décennies, les scientifiques procèdent à des ajustements des relevés de températures bruts selon des protocoles précis, par exemple en comparant les données de stations proches ("homogénéisation"), ou en utilisant des relevés satellitaires, rappelle Zeke Hausfather, auteur depuis dix ans de très nombreux articles sur le sujet (1, 2), dont un en septembre 2025 (liens archivés ici, ici et ici).
En 2016, il a comparé avec trois autres chercheurs anglo-saxons les données brutes (courbe bleue ci-dessous) et ajustées (courbe rouge) du réseau USHCN avec les données du réseau USCRN (courbe verte) et conclu dans une étude de référence que ces ajustements n'introduisaient pas de biais (lien archivé ici).
La comparaison des données de l'USCRN avec l'ensemble des données issues des milliers de stations compilées dans l'outil nClimDiv fait le même constat : pas d'écart significatif dans la tendance dégagée, à savoir une hausse des températures aux Etats-Unis, ce qui bat en brèche les accusations de manipulation des données (liens archivés ici et ici).
"Les stations de référence [USCRN, NDLR] donnent quasiment le même résultat que les données nClimDiv plus vastes - je dis quasiment car le réseau de référence montre un réchauffement légèrement plus rapide", a précisé Zeke Hausfather à l'AFP.
Au niveau mondial, la comparaison données brutes/données ajustées à partir des relevés compilés par les plus de 100.000 stations du réseau GHCN (Global historical climatology network) présent dans plus de 180 pays aboutit elle aussi à la même conclusion : une élévation tendancielle des températures (lien archivé ici).
Ces attaques contre l'agence NOAA ne sont pas nouvelles. L'AFP a déjà vérifié des infox citant notamment un rapport du Heartland Institute, une organisation à but non lucratif qui relaie de la désinformation sur le climat. D'autres médias de vérification ont également montré que ces accusations étaient infondées (lien archivé ici).
Ces derniers mois, les services météo britanniques ont eux aussi été confrontés à ce même type d'attaques, comme l'AFP l'a expliqué dans cet article.
