Cette vidéo a été filmée un an avant la promulgation de la loi sur l'expropriation des terres en Afrique du Sud

L'Afrique du Sud a promulgué en janvier une loi sur d'expropriation, dont Donald Trump estime qu'elle permet de confisquer les terres des fermiers blancs. Dans ce contexte, et à la veille d'une rencontre fin mai entre le président américain et son homologue sud-africain Cyril Ramaphosa, la vidéo d'une foule chantant un hymne hérité de la lutte anti-apartheid, dont les paroles appellent à tuer des fermiers blancs, a commencé à se propager en ligne. Ces images sont présentées comme montrant la joie de Sud-Africains noirs après la prétendue expropriation de fermiers blancs, mais elles ont été décontextualisées: la vidéo date en réalité de mars 2024, soit bien avant la promulgation de la loi. 

"Les communistes Sud-Africains se réjouissent de l'expropriation des terres des fermiers blancs en exil et appellent à tuer ceux qui restent. Visiblement ça n'intéresse ni les médias ni les politiciens français", peut-on lire dans la description d'une vidéo publiée sur X le 20 mai 2025, aimée par plus de 5.000 internautes et partagée plus de 3.000 fois.

Sur les images, une foule rassemblant des milliers de personnes vêtues de rouge, de noir et de blanc, partisanes du petit parti d'extrême gauche sud-africain Economic Freedom Fighters (EFF), entonnent "Kill the Boer" ("Tuez les Boers", c'est-à-dire, les fermiers blancs descendants des premiers colons européens, NDLR), un chant hérité de la lutte anti-apartheid, l'ex-régime raciste de la minorité blanche (liens archivés ici et ici).

Des messages similaires à la publication virale circulent sur Facebook et dans plusieurs langues, notamment en anglais, en portugais et en espagnol (1, 2). 

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Captures d'écran prises sur X (à gauche) et sur Facebook (à droite) le 26/05/2025. Croix oranges ajoutées par l'AFP.

Fin janvier, l'Afrique du Sud a promulgué une loi qui encadre les expropriations et prévoit une compensation financière des anciens propriétaires, sauf dans certaines circonstances exceptionnelles.

Selon la plupart des juristes, cette loi clarifie le cadre juridique des expropriations, sans nouveauté sur le fond. Mais le président américain Donald Trump a estimé qu'elle servait à confisquer illégalement les terres des fermiers blancs, héritiers des premiers colons qui disposaient de 72% des terres en 2017, selon des chiffres du gouvernement (lien archivé ici). 

Depuis, il a régulièrement accusé l'État sud-africain de discrimination et affirme - à tort, comme l'a montré l'AFP dans une vérification détaillée sur les chiffres réels - qu'un "génocide blanc" serait en cours dans le pays, visant en particulier ces fermiers. C'est pourquoi il leur a proposé l'asile : une cinquantaine d'entre eux a été accueillie depuis le 12 mai en tant que réfugiés aux États-Unis (lien archivé ici).

Les publications reprenant la vidéo des membres de l'EFF chantant "Kill the Boer" affirment qu'ils se réjouissent sur ces images de l'expropriation de ces fermiers blancs exilés aux États-Unis et appelent à tuer ceux qui restent.

Mais cette affirmation est trompeuse, car la vidéo a été filmée il y a plus d'un an, soit bien avant la récente promulgation de la loi sur l'expropriation et le départ de quelques Sud-Africains blancs pour les États-Unis.

Un meeting électoral du parti de gauche radicale en 2024

Une recherche d'image inversée a permis à l'AFP d'identifier le lieu et la date de la prise de cette vidéo. On la retrouve dès le 3 mars 2024 dans une publication en anglais sur X (lien archivé ici). L'auteur du post affirme que ce rassemblement, organisé le 2 mars 2024, marquait "le lancement du programme" de l'EFF en vue des élections générales qui avaient lieu quelques mois plus tard.  

C'est également ce que confirme une affiche de l'EFF publiée sur Facebook le 26 février 2024, pour faire la promotion de l'événement en amont. L'affiche donne rendez-vous le 2 mars 2024 au stade Dobsonville de Soweto, en Afrique du Sud (lien archivé ici).

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Captures d'écran prises sur Facebook (à gauche) et sur X (à droite) le 26/05/2025. Encadrés verts ajoutés par l'AFP.

Une recherche par mots-clés dans le compte YouTube de l'EFF a permis à l'AFP de retrouver la retransmission en direct du rassemblement du 2 mars (lien archivé ici).

Entre 1H18 et 1H19, on peut entendre le même audio que dans la vidéo virale. On voit et entend notamment chanter dans cet extrait Julius Malema, leader du parti d'opposition qui a récolté 9,5% des voix aux élections de 2024. 

Cette figure radicale du paysage politique sud-africain, aux positions pro-russes très marquées, est connu pour entonner ce chant ou des formes détournées lors de divers rassemblements avec ses partisans. Si bien qu'il a été personnellement pointé du doigt par Trump lors de son entretien le 21 mai 2025 avec Cyril Ramaphosa à la Maison Blanche (liens archivés iciici et ici). 

Le président américain a utilisé une autre vidéo, où M. Malema entonnait ce chant lors d'un meeting électoral, comme preuve de prétendues persécutions des fermiers blancs, l'assimilant à tort à un membre du gouvernement sud-africain. Une fausse information déjà vérifiée ici par AFP Factuel, parmi d'autres inexactitudes ou erreurs véhiculées par Donald Trump lors de cet entretien (lien archivé ici).

M. Malema est vêtu d'un même tee-shirt blanc dans la vidéo virale, filmée depuis la scène, et dans celle publiée sur le compte YouTube de l'EFF, captée depuis le public. Autour de lui, on retrouve plusieurs personnes - une femme en robe verte et béret rouge, un homme en chemise noire - présentes dans les deux séquences, confirmant qu'elles montrent bien le même événement, sous un angle différent.

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Captures d'écran prises le 27/06/2025 comparant la vidéo de l'EFF (à gauche) et la vidéo décontextualisée (à droite) avec les similitudes.
Encadrés verts ajoutés par l'AFP.

Une recherche complémentaire sur Google Earth a permis à l'AFP de trouver des clichés du stade Dobsonville à Soweto et de vérifier, grâce à la concordance de plusieurs éléments visuels, que la vidéo virale a bien été tournée là-bas (lien archivé ici).

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Captures d'écran prises le 26/06/2025 comparant la vidéo décontextualisée (à gauche) et la vue satellite de Google Earth (à droite) avec les similitudes.
Encadrés verts ajoutés par l'AFP.

Ces images ont donc bel et bien été sorties de leur contexte dans les vidéos virales : elles ne montrent pas des citoyens noirs se réjouir de l'expropriation des fermiers blancs exilés aux États-Unis en 2025, puisque la scène a été filmée en 2024. Et sur le fond, "le gouvernement sud-africain n'a confisqué aucune terre", a assuré à de multiples reprises Cyril Ramaphosa, comme dans cette publication le 3 février sur X (lien archivé ici).

Le 27 mai dernier, le président sud-africain a assuré que l'expropriation sans compensation, pas encore appliquée, "portera sur des parcelles dont les propriétaires sont par exemple introuvables ou très endettés", ajoutant que "le processus sera long et impliquera le pouvoir judiciaire".

"Kill the Boer", chant controversé de la lutte anti-apartheid

Le chant "Kill the Boer" est un hymne décrié en Afrique du Sud. Les Boers, littéralement "fermiers" en afrikaans, sont les descendants des premiers colons européens installés à la pointe de l'Afrique, principalement originaires des Provinces-Unies, devenues les Pays-Bas.

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Un homme vêtu de l'habit traditionnel Voortrekker (Boer ayant participé à la migration Great Trek de la colonie du Cap vers l'est et le nord dans les années 1830'), tire avec un fusil à silex au Monument Voortrekker lors de la Journée du Patrimoine le 24 septembre 2018. (AFP / Florian CHOBLET)

Héritage de la lutte contre l'apartheid, il est marqué par la violence de ses paroles.

Depuis 2002, le parti de centre droit Alliance démocratique, deuxième plus grand parti sud-africain qui gouverne depuis 2024 en coalition avec l'ANC (parti de Nelson Mandela), réclame son interdiction.

En 2010, un tribunal l'avait interdit, avant que d'autres juges n'invitent à le considérer non pas comme une incitation réelle à la haine, mais comme un morceau d'histoire de la lutte contre la ségrégation raciale. En 2024, la plus haute cour du pays, saisie par le groupe identitaire afrikaner AfriForum, a confirmé cette décision (lien en anglais archivé ici).

Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a répété le 27 mai ce verdict rendu par la justice, assurant devant les médias lors d'un déplacement dans la ville portuaire du Cap qu'il "ne s'agit pas d'une incitation ou d'un appel au meurtre de qui que ce soit".

"Nous sommes un pays où la liberté d'expression est au cœur de notre Constitution", a ajouté le président, balayant l'idée lancée par Donald Trump que Julius Malema devait être arrêté pour avoir entonné ce chant. 

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