
Les fausses informations relayées par Trump sur les meurtres de fermiers blancs en Afrique du Sud
- Publié le 23 mai 2025 à 19:11
- Lecture : 9 min
- Par : Cintia NABI CABRAL, Clément VARANGES, AFP France, AFP Afrique du Sud
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Depuis son retour au pouvoir en janvier, Donald Trump a fait de l'Afrique du Sud l'une de ses cibles favorites, dénonçant la discrimination raciale qui vise selon lui la minorité blanche descendant des premiers colons européens. Le président américain affirme, sans preuves tangibles, que les agriculteurs blancs sont victimes d'un "génocide".
L'arrivée le 12 mai d'environ 50 membres de la minorité afrikaner, après que Donald Trump les a appelés à quitter leur pays et à trouver refuge aux Etats-Unis, a été très mal reçue à Pretoria.
La rencontre entre les deux présidents à la Maison Blanche devait permettre de "réinitialiser les relations" entre les deux pays. Il n'en a rien été : Donald Trump a tendu une quasi-embuscade à son homologue sud-africain, l'obligeant à regarder des vidéos et des articles censés étayer les accusations américaines de "génocide" à l'encontre des fermiers blancs (lien archivé ici).
Mais la présentation faite par M. Trump et les prétendues preuves qu'il invoque comportaient de nombreuses fausses informations et erreurs, démêlées ici par l'AFP.
Les croix blanches ne sont pas des tombes
Dans la vidéo diffusée par le président, un passage montre des véhicules arrêtés le long d'une route bordée de croix blanches plantées dans le sol. Cette séquence a également été publiée sur le compte X de la Maison Blanche le jour de la rencontre entre le président américain et son homologue sud-africain.
"Vous avez vu toutes ces tombes", lance quelques instants plus tard Donald Trump. Concernant la file de voitures sur la route, le président américain estime que "ce sont des proches allant, j'imagine, un dimanche matin se recueillir devant les leurs qui ont été tués".
Ces images montrant une route bordée de croix blanches est une vidéo régulièrement diffusée par des comptes soutenant qu'il existe un génocide contre les fermiers blancs en Afrique du Sud. Elle tourne depuis longtemps sur les réseaux sociaux (1, 2, 3), mais a été vastement republiée après sa diffusion par Donald Trump dans le bureau ovale (comme ici).

associant les croix blanches au nombre de fermiers blancs tués en Afrique du Sud / Croix rouges ajoutées par l'AFP.
Mais en réalité, ces images ne montrent pas des tombes.
Une recherche d'images inversée a permis à l'AFP de retrouver la même vidéo publiée en septembre 2020, avec un titre évoquant un "convoi vers Normandien". Grâce à la date et à ce nom propre, on retombe sur des articles de presse de la même époque expliquant qu'il s'agit d'une manifestation survenue le 5 septembre près de Newcastle, dans l'est de l'Afrique du Sud (liens archivés ici et ici).
La manifestation visait à protester contre les meurtres de fermiers en général et à rendre hommage en particulier à un couple de la région de Normandien retrouvé assassiné dans leur exploitation agricole en août 2020 (lien archivé ici). Les meurtriers du couple ont été condamnés à perpétuité en 2022 (lien archivé ici).

Captures d'écran réalisées le 23/05/2025 et encadrés verts ajoutés par la rédaction de l'AFP
Selon les médias locaux, les croix blanches en bois avaient été érigées de façon symbolique et les manifestants avaient défilé à bord de leurs véhicules, tracteurs, camions, motos et hélicoptères.
Dans cet article de vérification, BBC Verify a réussi à géolocaliser les images, qui proviendraient d'un endroit près de Newcastle (province du KwaZulu-Natal). Les images récentes de Google Street View montrent des routes, des feuillages et des collines similaires au loin (lien archivé ici).
Les dernières images disponibles, celles de 2023 - soit environ trois ans après la manifestation - montrent que les croix n'étaient plus en place.
Dans son article, la BBC interroge la personne à l'origine de l'érection des croix. Le dénommé Rob Hoatson explique que le convoi n'était pas un "site d'inhumation" mais plutôt un "mémorial temporaire". Les croix ont depuis été retirées, confirme-t-il (lien archivé ici).
Sur les réseaux sociaux, certains internautes associent à tort la vidéo des croix blanches en bois au site commémoratif du monument Witkruis - aussi connu sous le nom de Plaasmoorde -, qui présente également des croix symbolisant les décès dans des fermes.
Cependant, le site de Plaasmorde - qui signifie "meurtres dans les fermes" en néerlandais - est situé à environ 500 kilomètres de l'endroit où la manifestation de 2020 s'est déroulée.
L'homme politique montré n'appartient pas au gouvernement
Dans une autre scène du montage vidéo diffusé par Trump apparaît un homme politique lançant cet appel : "On est des Sud-Africains, on occupe des terres". Puis l'homme en question entonne "Kill the Boer" ("Tuez le Boer") , un chant hérité de la lutte anti-apartheid, l'ex-régime de la minorité blanche.
"Les gens que vous avez vus dans ce film, ce sont des dirigeants", assure Donald Trump.

En réalité, l'auteur de ce discours est Julius Malema, le leader du parti de gauche radicale EFF. Sa formation a réalisé 9,5% aux élections de l'an passé et ne fait pas partie de la coalition au pouvoir. Il n'était pas davantage au précédent gouvernement.
Le chant "Kill the boer" est décrié en Afrique du Sud et son interdiction a été demandée par le deuxième plus grand parti sud-africain, l'Alliance démocratique, qui gouverne depuis 2024 en coalition avec l'ANC, le parti de Nelson Mandela.
En 2010, un tribunal l'avait d'ailleurs interdit, avant que d'autres juges n'invitent à le considérer non pas comme une incitation à la haine, mais comme un morceau d'histoire de la lutte contre la ségrégation raciale. En 2024, la plus haute cour du pays, saisie par le groupe identitaire afrikaner Afriforum, a confirmé cette décision.
Une image brandie par Trump provient de RDC
Après la diffusion de vidéos, le président américain a brandi des dossiers contenant, selon lui, des articles sur des meurtres de fermiers. L'un d'eux est issu du site American Thinker, un blog à l'audience modeste, et reproduit une image de personnes en uniformes de la Croix-Rouge manipulant des sacs mortuaires.
"Tout ça, ce sont des fermiers blancs en train d'être enterrés", a assuré Donald Trump.

En observant de près le logotype du média indien WION juxtaposé sur l'image affichée, et en effectuant une nouvelle recherche d'image inversée, l'AFP a retrouvé l'origine de la photographie montrée par le président américain (article en anglais archivé ici).
L'image est en fait une capture d'écran d'une vidéo YouTube datant de février et tournée en République démocratique du Congo (RDC), dans la ville congolaise de Goma, selon la légende (lien archivé ici).
Elle montre des corps de femmes victimes d'exactions, dans le contexte de la guerre qui fait rage dans l'est du pays. Le média indien WION a utilisé des images de l'agence Reuters prises le 3 février dernier.
Les fermiers blancs pas tués en "grand nombre"
"Ces gens [les fermiers blancs, NDLR] sont tués en grand nombre", a insisté le président américain, évoquant plus tard "des milliers de personnes mortes".
Si des meurtres de fermiers blancs existent bel et bien en Afrique du Sud, ils ne constituent qu'une infime portion des personnes tuées chaque année en Afrique du Sud, pays avec l'un des taux de criminalité les plus élevés au monde.
Le groupe identitaire afrikaner AfriForum, proche des sphères trumpistes et lui-même à l'origine d'une campagne pour mettre en lumière le phénomène, avait recensé 49 meurtres de fermiers au total en 2023, toutes couleurs de peau confondues.
Ce chiffre représente une très faible proportion des plus de 27.621 meurtres recensés par la police dans le pays entre avril 2023 et mars 2024 (soit environ 75 personnes tuées chaque jour). Les victimes sont majoritairement de jeunes hommes noirs vivant en zones urbaines.
AFP Factuel avait déjà réalisé fin février une vérification détaillée sur les chiffres réels des meurtres de fermiers blancs.

Deux jours après l'épisode du bureau ovale, le ministre de la Police sud-africain a réaffirmé que l'Afrique du Sud ne faisait pas face à un "génocide blanc", et que cette théorie du complot est "totalement infondée et totalement non étayée" (lien archivé ici).
"La vérité est que les meurtres dans les fermes ont toujours inclus des Africains [noirs, NDLR]) et en plus grand nombre" que les blancs, a ajouté Senzo Mchunu.
Présentant les statistiques trimestrielles de la criminalité, il a indiqué que deux propriétaires de fermes avaient été assassinés entre janvier et mars 2025, tous deux noirs. Douze meurtres dans des fermes ont été enregistrés d'octobre à décembre 2024, dont une seule victime - un propriétaire de ferme - était blanche, a encore indiqué le ministre.
M. Mchunu a également rejeté les accusations répétées par Donald Trump selon lesquelles le gouvernement exproprierait des agriculteurs blancs de leurs terres. La police a enregistré quelques cas d'occupations "illégales" de terres - principalement en zones urbaines - mais aucune expropriation n'a été ordonnée par le gouvernement, a-t-il précisé.