
Non, l'ivermectine n'est à ce jour pas considéré comme un traitement contre le cancer
- Publié le 31 mars 2025 à 11:11
- Lecture : 8 min
- Par : Chloé RABS, AFP France
Copyright AFP 2017-2025. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
"Remède miracle" à en croire les réseaux sociaux, l'ivermectine - un traitement antiparasitaire - est souvent promue par certains internautes au rang de traitement contre le cancer.
Devenu célèbre pendant la pandémie de Covid-19 où il a un temps été étudié pour lutter contre le virus -sans finalement montrer d'efficacité-, le médicament est depuis devenu un sujet récurrent dans une partie de la sphère complotiste qui affirme que ses effets anticancéreux seraient gardés secret car il ferait une concurrence déloyale aux laboratoires, "Big Pharma", selon leurs termes.
Depuis quelques semaines, un tableau circule ainsi sur les réseaux sociaux, prétendant montrer le protocole à base d'ivermectine à suivre, selon son cancer et son stade.
"L’ivermectine dans les indications cancéreuses. Le plus facile est de trouver des flacons à 10ml qui représentent 315 mg de produit", écrit ainsi un internaute qui se présente comme Dr Edouard Broussalian, homéopathe.
"Il est incroyable que un traitement inoffensif, connu depuis 50 ans, efficace contre certains cancers et le COVID, sans effets secondaires, soit interdit dans toutes ces indications uniquement parce que il ne rapporte pas assez d'argent à l'Industrie pharmaceutique [sic]", affirme cet autre internaute.

Cependant, l'efficacité de l'ivermectine dans le traitement du cancer n'est toujours qu'une piste de recherche et le médicament ne peut pas être considéré comme une alternative aux protocoles standards, expliquent des experts à l'AFP.
L'ivermectine, un traitement antiparasitaire
Le tableau partagé a initialement été publié en juillet 2024 sur Substack par William Makis qui se présente comme "radiologue, oncologue et chercheur sur les cancers" sur son compte Instagram - mais qui était en réalité spécialiste en médecine nucléaire à l'Institut Cross Cancer jusqu'à son licenciement en octobre 2016 pour faute professionnelle, comme le relate le Edmonton Journal (lien archivé ici).
William Makis - dont la licence est "inactive" - est connu pour régulièrement partager de fausses informations, que l'AFP a déjà vérifiées ici ou ici.
Le tableau prétend présenter les différentes posologies d'ivermectine à prendre en fonction de différents cancers.
On peut par exemple lire qu'une dose inférieure ou égale 0,5mg/kg correspond aux "cancers en rémission, historique familial fort, prédispositions génétiques, prophylaxie", une dose d'1mg/kg pour "la plupart des cancers", 2mg/kg pour les "cancers agressifs (leucémie, pancréas, cancers du cerveau), et une dose supérieure ou égale à 2.5mg/kg pour les maladies très métastasées, très faible pronostic".
Il est spécifié que ces dosages n'auraient pas d'effets secondaires sur le long terme, seulement des "effets visuels possibles à court terme et transitoires" pour la plus haute dose.
Mais attention, ces recommandations affichées ne reposent sur aucun protocole scientifiquement établi.
L'ivermectine est un médicament antiparasitaire utilisé en médecine vétérinaire, mais aussi chez l'homme.
Le site Vidal de référence sur les médicaments précise que l'ivermectine est indiquée chez l'homme contre l'anguillulose gastrointestinale, la gale, la microfilarémie à Wuchereria bancrofti, et l'onchocercose (lien archivé ici).
"Les posologies sont standardisées en fonction du poids du patient et du parasite traité. Il s’agit d’une posologie destinée à une prise unique, pouvant le cas échéant être répétée après deux semaines, voire six ou douze mois", décrit à l'AFP le Pr Claude Linassier, oncologue et directeur du pôle prévention, organisation et parcours de soins à l'Institut national du cancer (lien archivé ici).

Un stade "préliminaire"
Depuis le milieu des années 1990, des études réalisées in vitro et chez l'animal ont montré que la molécule de l'ivermectine pouvait avoir des propriétés anticancéreuses.
"Des scientifiques ont mis en évidence que la molécule pouvait avoir des propriétés antiprolifératives, donc qui freinent le développement des cellules cancéreuses, et des propriétés anti-métastatiques, qui allaient empêcher l'essaimage du cancer dans l'organisme des animaux qui étaient les sujets de l'expérience", décrit à l'AFP Jérôme Hinfray, responsable de l’information scientifique de la Ligue contre le cancer (lien archivé ici).
"Ces propriétés anticancéreuses sont aujourd'hui bien étayées même si l'on n'a pas encore totalement identifié les mécanismes sur lesquels ces propriétés reposent", ajoute-t-il.
Ces découvertes ont amené les scientifiques à s'interroger sur un possible repositionnement de l'ivermectine. "Mais cela reste ce qu'on appelle une piste, on en est à un stade encore préliminaire", précise Jérôme Hinfray.
"Il y a une distorsion très nette entre ce que dit la science aujourd'hui et ce que présente ce tableau comme des traitements validés contre différents cancers", affirme-t-il.
En effet, les propriétés anticancéreuses potentielles de l'ivermectine n'ont jamais été démontrées à ce jour dans des essais cliniques.
"On ne peut en aucun cas transposer les données issues d'un modèle expérimental chez la souris au traitement chez l'homme", abonde le Pr Claude Linassier. "Avant de pouvoir être utilisé dans le traitement de cancers, tout médicament doit être testé lors de trois types d’essais de recherche clinique. Pour un schéma d’administration donné, la phase 1 détermine la tolérance, la dose maximale tolérée et la dose recommandée. La phase 2 juge de l’efficacité dans différentes indications. La phase 3 comparer le nouveau médicament à un traitement de référence. Il pourrait être comparé par exemple à une chimiothérapie pour le cancer du sein", décrit-il.
En cherchant sur le site clinicaltrials.gov "cancer" et "ivermectin", on ne trouve qu'un seul essai actuellement en cours, mené par le Cedars-Sinai Medical Center et qui concerne l'association de l'ivermectine et de l'immunothérapie dans le traitement de cancers du sein "triple-négatif" métastatique (lien archivé ici).
"On voit donc que l’évaluation chez l’humain reste encore à un stade très précoce et très peu développé, par comparaison plus près de 7000 essais cliniques sont aujourd’hui répertoriés sur la même base pour les immunothérapies du cancer", souligne Jérôme Hinfray.
Et même si, après plusieurs années de recherches, l’ivermectine démontrait un fort potentiel contre le cancer "ça ne sera jamais une molécule universelle qui pourra guérir tout le monde, tous les cancers, et sans effets secondaires", précise-t-il.
"Un risque inconnu"
Dans les commentaires des publications que nous examinons, des personnes évoquent cependant leur expérience personnelle ou celle d'un de leur proche touché par le cancer, et demandent où se procurer de l'ivermectine pour commencer ce qu'ils imaginent être un traitement.
"Bonsoir, aucun médecin ne veut faire une ordonnance sur ces dosages. Il faut commander quel produit, vétérinaire pour les chevaux par exemple ? Mon épouse a un cancer des poumons stade 4 et fait 57 kg cela veut dire qu’en dose médiane qu’elle doit prendre 19 comprimés de 3 mg ?", commente par exemple un internaute.
D'autres s'échangent aussi des liens de site pour s'acheter des produits venant "d'Inde" ou "du Portugal".
"C'est très dangereux. Les personnes qui prendraient de tels traitements courent un risque inconnu", alerte Jérôme Hinfray.
"L'ivermectine ne peut pas être présenté comme une alternative aux traitements standards, qui sont ceux qui ont le plus de chances de mener vers la guérison. De plus, il y a de gros risques à acheter des molécules sur internet. C'est un vrai problème parce qu'il y a beaucoup de contrefaçons, de produits qui ne contiennent pas vraiment ce qu'ils prétendent", développe-t-il.

Des effets indésirables importants
Aussi, contrairement à ce que laissent croire les publications que nous examinons, prendre de l'ivermectine - et encore plus aux doses mentionnées - n'est pas sans risque.
"Le produit n'est pas très toxique pour des traitements antiparasitaires ponctuels, dans le cadre des indications de l’autorisation de mise sur le marché. Cependant, même aux posologies recommandées, des toxicités ont été décrites: hépatiques, cutanées, neurologiques notamment", relève le Pr Claude Linassier.
"Vous avez peut-être entendu dire qu'il n'y a pas de risques à prendre de fortes doses d'ivermectine. Prendre de fortes doses d'ivermectine peut être dangereux", rappelle également l'administration américaine chargée de la surveillance des produits denrées alimentaires et des médicaments (FDA).
"Même des doses d'ivermectine utilisées pour des usages humains approuvés peuvent interagir avec d'autres médicaments, tels que les anticoagulants. Vous pouvez également faire une overdose d'ivermectine, ce qui peut provoquer des nausées, des vomissements, de la diarrhée, une hypotension (hypotension artérielle), des réactions allergiques (démangeaisons et urticaire), des étourdissements, une ataxie (problèmes d'équilibre), des convulsions, le coma et même la mort", complète-t-elle (lien archivé ici).
En France, les cancers sont la première cause de mortalité prématurée chez les hommes et la deuxième chez les femmes. Près de 10 millions de personnes dans le monde meurent chaque année des suites de cette maladie.
Les oncologues redoutent que la diffusion de fausses informations sur les traitements des cancers ne mène à l'abandon des soins par les personnes, comme expliqué dans cet article de l'AFP.
"Affirmer que l’ivermectine est efficace pour guérir les cancers est certes mensonger ou fantaisiste et ne s’appuie sur aucune donnée scientifique. C’est surtout dangereux, car ces fausses informations propagées en toute inconscience, recommandent des posologies inhabituelles et donc potentiellement toxiques. Les personnes à l’origine de ces infox trahissent la fragilité et la détresse des malades ou de leurs proches, malades qui sont parfois prêts à tout tenter, ignorant l’inefficacité du produit qu’ils absorbent au péril de leur vie", s'indigne aussi le Pr Claude Linassier.
L'AFP Factuel a publié de nombreux articles décortiquant des infox sur des traitements du cancer ici ou ici. Mi-janvier, l'acteur américain Mel Gibson avait aussi partagé ce genre de fausses informations, affirmant lors d'une interview que plusieurs de ses amis ont vaincu un cancer grâce à de l'ivermectine, du fenbendazole, du dioxyde de chlore et du bleu de méthylène, alors que ces médicaments ne sont pas des remèdes au cancer, comme l'a expliqué l'AFP.