Attention, une traduction trompeuse a été ajoutée à cet ancien discours de Kim Jong Un

Ces dernières semaines, les tensions entre des pays européens et la Russie se sont encore intensifiées au sujet de la guerre en Ukraine. Dans ce contexte, une vidéo dans laquelle le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un renouvellerait son soutien à la Russie et donnerait un "ultimatum" à la France et à l'Otan, les appelant à cesser leur soutien à l'Ukraine, a largement circulé sur les réseaux sociaux. Mais elle superpose à un discours de juin 2024 une voix-off en français qui ne correspond pas aux paroles de Kim Jong Un, comme le montrent des vidéos et la transcription du discours original.

"Le président nord-coréen donne un ultimatum à la France et à l'OTAN", assure le titre d'une vidéo partagée plus de 10.000 fois sur Facebook depuis le 6 avril, dans laquelle Kim Jong Un s'exprime devant un pupitre. 

Dans l'extrait de près d'une minute et vingt secondes, une voix en français superposée à celle du dirigeant nord-coréen indique : "à l'attention des forces de l'Otan, et en particulier de la République française : la patience de notre nation a des limites. Nous avons observé avec gravité vos ingérences continues dans le conflit entre la fédération de Russie et l'Ukraine. Vous prétendez œuvrer pour la paix mais vous n'êtes que les pyromanes d'une guerre que vous refusez d'assumer".

La voix poursuit en assurant que l'Ukraine est responsable de la guerre car elle a "insulté et provoqué la Russie", reprenant l'un des narratifs récurrents du Kremlin.

"Assez, la Corée du Nord, alliée indéfectible de la Russie, vous adresse un ultimatum clair. Cessez toute forme d'aide, directe ou indirecte, à l'Ukraine. Vous avez encore une chance d'éviter une escalade incontrôlable. Si vous persistez, nous ne resterons plus silencieux. Nous avons les moyens d'agir et nous agirons. Le moment est venu pour l'Occident d'assumer ses responsabilités. La paix est encore possible. Mais si vous continuez à souffler sur les braises, alors ne soyez pas surpris par l'incendie qui viendra. Ce message est le dernier avertissement", termine-t-elle. 

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Capture d'écran prise sur Facebook le 11/04/2025, croix orange ajoutée par l'AFP

Cette vidéo, présentée comme un "ultimatum" récemment envoyé par Kim Jong Un, a aussi récolté ces derniers jours des dizaines de milliers de partages sur TikTok (1, 2), et a circulé sur Instagram et YouTube.

Mais cette vidéo a été sortie de son contexte, et le doublage en français ajouté ne correspond pas aux propos du dirigeant nord-coréen, comme nous allons le voir.

Une rencontre entre Vladimir Poutine et Kim Jong Un en 2024

Une recherche d'images inversée à l'aide de Google Lens a permis de remonter à plusieurs articles de médias dans lesquels figurent des photos ressemblant au décor présenté dans la vidéo, dont un article publié le 19 juin 2024 dans le quotidien conservateur sud-coréen "JoongAng Ilbo" (lien archivé ici). 

Il mentionne la présentation par Vladimir Poutine et Kim Jong Un d'un "traité de partenariat stratégique global" à cette date, lors d'une conférence de presse à Pyongyang. Sur une image du dirigeant nord-coréen présentée dans l'article, on peut reconnaître plusieurs éléments (le mur et le drapeau en fond, le micro, la tenue de Kim Jong Un) qui correspondent à la vidéo diffusée avec une voix française superposée.

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Comparaison entre des captures d'écran de la publication trompeuse diffusée sur Facebook (à gauche) et d'une illustration de l'article de juin 2024 du JoongAng Ilbo (à droite), prises le 11/04/2025, croix orange ajoutée par l'AFP

La description de l'image indique "YouTube" comme source, sans plus de précisions. Une recherche par mots-clés sur la plateforme de partage de vidéos nous a menés vers une vidéo diffusée le 19 juin 2024 par le média indien "Firstpost", qui retraçait en direct la rencontre entre le président russe et le dirigeant nord-coréen (lien archivé ici). 

A partir de 4h 54min 30s de vidéo, on peut retrouver le même décor que celui visible dans la vidéo partagée en avril 2025, avec un plan plus large montrant deux pupitres, l'un pour Vladimir Poutine, l'autre pour Kim Jong Un.

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Capture d'écran de YouTube faite le 11/04/25

On peut aussi reconnaître les mêmes mots que ceux que l'on entend dans la vidéo partagée en avril 2025, et les mêmes mouvements, notamment lorsque le dirigeant nord-coréen lève la tête, en attendant que ses propos soient traduits en russe - les moments de traduction étant vraisemblablement coupés dans la vidéo que nous examinons.

Comme le note aussi le service de vérification de RFI, qui s'est déjà penché sur l'origine de cette vidéo trompeuse, on peut aussi retrouver cette conférence de presse diffusée sur RuTube (un équivalent russe de YouTube) par le compte du média d'Etat russe RT (liens archivés ici et ici).

De nombreux médias, dont l'AFP, avaient à l'époque relaté cette rencontre, en diffusant des photos permettant d'identifier le lieu (lien archivé ici).

Le 19 juin 2024, la Corée du Nord et la Russie avaient en effet signé un traité, présenté comme un moyen de "lutter ensemble" contre l'"hégémonie" américaine selon le président russe, comme détaillé dans cette dépêche (lien archivé ici).

L'accord "prévoit, entre autres, une assistance mutuelle en cas d'agression contre une partie au traité", selon le président russe. Kim Jong Un avait néanmoins assuré que l'accord était "exclusivement pacifique et défensif". 

D'autres recherches avec des mots-clés en anglais nous ont permis de retrouver la transcription officielle de cette conférence de presse sur le site de la présidence russe, dans laquelle on retrouve aussi des photos sur lesquelles le décor correspond également à la scène visible dans la vidéo relayée avec une voix en français (lien archivé ici).

Des recherches par mots-clés avec les mots "France" et "Nato" (la version anglaise de l'acronyme "Otan") dans le discours de Kim Jong-Un n'ont donné aucun résultat.

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Recherche du mot "France" dans la transcription du discours de Kim Jong Un diffusée sur le site du Kremlin, capture d'écran faite le 11/04/2025

Le dirigeant nord-coréen y mentionne "l'amitié" entre son pays et la Russie, se félicitant d'avoir signé avec son homologue un "traité de partenariat stratégique global" mais n'aborde pas directement la France, l'OTAN ou d'autres pays ou instances.

Vladimir Poutine, qui s'est exprimé juste après le dirigeant nord-coréen lors de la même conférence de presse, n'a pas non plus mentionné la France mais il a néanmoins fait référence à l'OTAN à un moment de son discours.

"Je voudrais attirer votre attention sur la déclaration des Etats-Unis et d'autres pays de l'OTAN concernant la fourniture d'armes de haute précision à longue portée, d'avions F-16 et d'autres armes et équipements technologiquement avancés pour effectuer des frappes sur le territoire russe. En fait, ce n'était pas seulement une déclaration. Cela se produit déjà", a-t-il indiqué. 

Il a poursuivi : "Dans ce contexte, la Fédération de Russie n'exclut pas de développer une coopération militaire et technique avec la République Populaire Démocratique de Corée dans le cadre du document signé aujourd'hui". 

Des soldats nord-coréens en Ukraine

Selon l'armée sud-coréenne, la Corée du Nord a envoyé plus de 14.000 soldats en soutien à l'invasion russe de l'Ukraine, dont 3.000 déployés en 2025 (lien archivé ici). Parmi eux, 4.000 militaires nord-coréens auraient été tués ou blessés.

Ni Moscou ni Pyongyang n'ont confirmé ni infirmé à ce jour la présence de militaires nord-coréens en Russie.

Toujours selon les militaires de Corée du Sud, Pyongyang continue par ailleurs de fournir à Moscou des missiles, de l'artillerie et des munitions utilisés pour combattre l'Ukraine.

La Russie et la Corée du Nord, alliés communistes tout au long de la guerre froide, ont renforcé leurs liens militaires depuis l'invasion de l'Ukraine par Moscou en février 2022.

Cette vidéo décontextualisée circule alors que la désinformation contre l'Ukraine et ses soutiens européens s'est encore accentuée ces dernières semaines, parallèlement aux vives critiques lancées par Donald Trump contre le président ukrainien Volodymyr Zelensky et à l'attitude plus conciliante adoptée par Washington à l'égard de la Russie. 

Des tensions persistent aussi entre les dirigeants européens et le président russe liées à des désaccords entourant les termes d'un cessez-le-feu en Ukraine (lien archivé ici). De nombreuses affirmations hostiles à Emmanuel Macron et à son soutien à Kiev et, à l'inverse, favorables à Vladimir Poutine ont émergé sur les réseaux sociaux, certaines s'appuyant sur des contenus trompeurs.

L'AFP en a déjà vérifié plusieurs, dont ce prétendu discours anti-Macron du président russe, qui employait des sous-titres trompeurs, ou encore ce faux sondage selon lequel les Français seraient plus favorables à Vladimir Poutine. 

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