
Non, cette nouvelle étude ne prouve pas un lien entre vaccins et autisme
- Publié le 14 avril 2025 à 14:25
- Lecture : 10 min
- Par : Anna HOLLINGSWORTH, AFP Finlande
- Traduction et adaptation : Chloé RABS , AFP France
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"Une étude 'stupéfiante' révèle que les enfants vaccinés ont un risque 170% plus élevé de développer l'autisme", affirment des publications en français (1, 2) partagées sur les réseaux sociaux.
La plupart des posts partagent un article de blog sur l'étude en question publié sur le site de l'organisation antivaccin Children's Health Defense, cofondée par Robert Kennedy Jr et relais régulier de fausses informations (1, 2).

Cependant, ce document présente de nombreuses failles méthodologiques, ont expliqué des experts interrogés par l'AFP, et la théorie d'un lien entre vaccins et autisme a été maintes et maintes fois démentie par la communauté scientifique ces dernières années.
Aux origines de la théorie
Depuis plus de vingt ans, la méfiance envers un vaccin en particulier, le ROR (rougeole-oreillons-rubéole) s'est accentuée, se fondant en particulier sur une étude publiée en 1998 dans la revue médicale prestigieuse The Lancet, qui suggérait un lien entre la vaccination ROR et l'autisme.
Cependant, l'étude s'est révélée être un "trucage" de son auteur Andrew Wakefield, comme détaillé dans cet article de l'AFP, mais ni le démenti officiel de la revue, ni le retrait de l'article, ni les multiples travaux postérieurs démontrant l'absence de lien, n'ont fait cesser la désinformation autour de ce vaccin.
Et depuis la nomination de Robert Kennedy Jr. en début d'année à la tête du ministère de la Santé américain par le président Donald Trump, cette théorie connaît un regain d'intérêt. Antivaccin notoire, "RFK Jr" a en effet partagé plusieurs fois cette infox comme lors d'une interview pour Fox News en juillet 2023 (lien archivé ici) où il déclarait : "Je pense que l'autisme est dû aux vaccins."
Pendant son audition devant le Sénat américain avant sa nomination le 30 janvier 2025, il avait également refusé d'affirmer que les vaccins ne causent pas l'autisme (lien archivé ici). Il avait d'ailleurs cité l'étude citée dans les publications que nous examinons déclarant : "Une étude publiée la semaine dernière et portant sur 47 000 enfants de 9 ans bénéficiant du système Medicaid en Floride - je crois qu'il s'agit d'un scientifique louisianais appelé Mawson - montre le contraire. Il existe d'autres études. Je veux simplement suivre la science." (lien archivé ici)

Des failles méthodologiques
Cette étude a été réalisée par Anthony R. Mawson et Binu Jacob et publiée le 23 janvier 2025. Elle vise à déterminer s’il existe un lien entre les vaccinations infantiles et les troubles du spectre autistique (TSA) ainsi que d’autres troubles neurodéveloppementaux.
Interrogé par l'AFP, Anthony R. Mawson n'avait pas répondu au moment de publication de cet article.
L'étude a été publiée dans la revue "Science, Public Health Policy and the Law", qui n'est pas disponible sur PubMed - une bibliothèque en ligne d’études scientifiques médicales, gérée par les National Institutes of Health américains -, ni répertoriée sur la liste des revues recommandées par la Conférence des Doyens de médecine, publiée par la Faculté de Santé de Sorbonne Université, ni surScimago Journal & Country Rank, une plateforme mesurant le prestige des revues scientifiques.
Les deux auteurs avait déjà réalisé une étude sur les vaccins et l'autisme qui a été rétractée à deux reprises : lors de sa première publication dans la revue "Frontiers", puis lors de sa republication dans le "Journal of Translational Science" (lien archivé ici).
Par ailleurs, l'étude a été en partie financée par le "National Vaccination Information Center", une organisation décrite comme "anti-vaccins" par Media Bias Fact Check, une base de données indépendante qui évalue la crédibilité des médias (lien archivé ici).
Dans cette étude, les auteurs ont examiné les données de 47.155 enfants de neuf ans inscrits au programme Medicaid en Floride depuis leur naissance. Medicaid est le plus important programme américain ayant pour but de fournir une assurance maladie aux individus et aux familles à faible revenus et ressources (lien archivé ici).
Selon ce travail, les enfants vaccinés seraient plus susceptibles que les enfants non-vaccinés d'être atteint de troubles du développement neurologiques. "Les enfants ayant bénéficié d'une visite médicale liée à la vaccination étaient 1,7 fois plus susceptibles de recevoir un diagnostic de TSA que les enfants non-vaccinés", affirment les auteurs - d'où le chiffre de "170%" mentionné dans les publications que nous examinons.
Cependant, "un certain nombre de problèmes méthodologiques remettent en question la rigueur de l'analyse et, en fin de compte, les conclusions tirées par les auteurs", a déclaré à l'AFP le 26 mars 2025 Robert Bednarczyk, professeur adjoint de santé mondiale et d'épidémiologie à la Rollins School of Public Health de l'Université Emory aux États-Unis (lien archivé ici).

Tout d'abord, le professeur pointe des problèmes quant à la sélection des cas : "Les auteurs ont exclu les enfants qui n’étaient pas inscrits de façon continue au programme Medicaid en Floride de la naissance à l'âge de neuf ans. Bien que cette mesure ait été prise pour tenter de comparer les enfants avec des données complètes, il y a de nombreux problèmes avec la façon dont cela a été fait et rapporté", explique-t-il.
En effet, une sélection plus appropriée aurait dû prendre en considération d'autres éléments pour s'assurer que les groupes étudiés étaient bien comparables. "Un écart aussi important entre les groupes quant aux personnes exclues de l'analyse, sans évaluation des caractéristiques de ces enfants, peut entraîner des différences entre la population étudiée et le reste des données collectées", développe Robert Bednarczyk.
La comparaison des caractéristiques des groupes aurait aussi montré dans quelle mesure le biais de sélection peut avoir un impact sur les résultats, a-t-il ajouté.
Ainsi, les auteurs ont étudié et comparé les données des enfants qui ont été comptabilisés comme ayant eu au moins une visite liée à la vaccination selon les dossiers Medicaid (59% de l'échantillon) - et donc considérés comme vaccinés - aux données de ceux qui n'ont pas eu de telles visites et qui ont donc été comptabilisés comme non-vaccinés (40% de l'échantillon).
La façon dont les auteurs ont déterminé le statut vaccinal des enfants est également sujet à erreur, à indiqué à l'AFP le 20 mars 2025 le pédiatre et cardiologue pédiatrique Frank Han (lien archivé ici) de l'hôpital pour enfants OSF de l'Illinois aux États-Unis, se référant aux commentaires de l'épidémiologiste Bertha Hidalgo sur l'étude en question publiés dans la newsletter Unbiased Science de janvier 2025 (lien archivé ici).
"Lorsqu'ils utilisent les dossiers Medicaid sans méthodes secondaires de vérification, ils peuvent classer par erreur des personnes vaccinées comme non vaccinées simplement parce que leurs vaccinations [si elles ont été réalisées en dehors du système Medicaid, NDLR] n'ont pas été transcrites dans la base de données", déclare-t-il.
Défaut de prise en compte de multiples facteurs
Robert Bednarczyk souligne également les "multiples occasions manquées d'analyse rigoureuse" de l'étude, qui n'a pas pris en compte certains facteurs importants tels que le moment de la vaccination et le moment du diagnostic du trouble du développement neurologique. En effet, aucun lien ne peut par exemple être recherché si les injections ont été réalisées après le diagnostic.
"Le choix d'étudier principalement des enfants de neuf ans ne tient pas compte de la tranche d'âge où la plupart des diagnostics d'autisme sont posés", c'est-à-dire entre 3 et 5 ans, ajoute Franck Han.
Le pédiatre souligne également que les auteurs n'ont pas pris en compte le biais lié aux recours aux service de santé.
Celui-ci signifie que "plus vous vous faites vacciner, plus vous êtes susceptible d'utiliser les services de santé, ce qui implique que vous êtes plus susceptible de recevoir un diagnostic d'autisme lorsque les symptômes sont présents (les personnes qui se méfient fondamentalement des médecins n'amèneront pas leurs enfants pour les faire examiner)", détaille-t-il.
Enfin, les auteurs n'ont pas non plus pris en compte le sexe des enfants dans l'analyse alors que "les garçons ont des taux documentés plus élevés de troubles du développement neurologique que les filles", décrit Robert Bednarczyk.
Des années de recherches
Il est important de noter que les conclusions présentées par cette étude contredisent des années de recherche démontrant qu'il n'existe aucun lien entre les vaccinations et l'autisme ou d'autres troubles du développement neurologique.
"Etant donné le grand nombre d'études qui ont systématiquement démontré l'absence de lien entre les vaccins et l'autisme ou d'autres troubles neurodéveloppementaux, ces résultats sont très différents de ce qui a été documenté à maintes reprises", appuie Robert Bednarczyk.
Une étude danoise (lien archivé ici) publiée en 2019 a même observé que les enfants non vaccinés avaient un peu plus de risques d'être atteints d'autisme que les vaccinés, comme l'AFP l'a expliqué ici.
Aussi, cette étude de 2013 n’a également trouvé "aucune association indésirable entre les antigènes reçus par le biais des vaccins au cours des deux premières années de vie et les résultats neuropsychologiques plus tard dans l’enfance" (lien archivé ici).
Malgré cela, Robert Kennedy Jr a annoncé le 10 avril lancer des travaux de recherches impliquant "des centaines de scientifiques du monde entier" qui permettra de révéler "d'ici septembre" les causes de ce qu'il nomme une "épidémie" d'autisme, comme expliqué dans cet article de l'AFP.
Il promet ensuite de les "éliminer" - une allusion à peine cachée aux vaccins. Le président Donald Trump - qui a salué cette annonce - a d'ailleurs clairement avancé cette idée : "c'est possible qu'il faille qu'on arrête de prendre quelque chose, ou de manger quelque chose, ou peut-être que c'est un vaccin."
S'il n'existe pas à ce jour de cause unique identifiée, plusieurs facteurs environnementaux ont été mis en avant, comme une neuro-inflammation ou la prise de certains médicaments comme l'anti-épileptique Dépakine durant la grossesse, tout comme des prédispositions génétiques, comme l'explique l'Institut Pasteur sur son site internet (lien archivé ici).

Selon les chiffres des CDC, la prévalence est en effet passée pour les enfants nés en 1992 d'1 sur 150 à 1 sur 36 pour ceux nés en 2012. Mais pour les spécialistes, pas question de parler "d'épidémie", comme ils le soulignent dans cet article de l'AFP. En effet, cette augmentation s'explique surtout par l'élargissement des critères de diagnostic de l'autisme et par une meilleure connaissance des professionnels.
Aux Etats-Unis, la désinformation vaccinale a contribué à faire chuter les taux de vaccination dans l'ensemble du pays. Depuis le début de l'année, plus de 600 personnes ont déjà été contaminées par la rougeole et trois personnes dont deux enfants, non vaccinés, sont décédés - une première depuis une décennie.
Si RFK Jr a récemment affirmé que "le vaccin ROR est le moyen le plus efficace de prévenir la propagation de la rougeole", mi-mars, il déclarait encore que le vaccin "provoque des décès chaque année" et qu'il est "à l'origine de toutes les maladies que la rougeole elle-même provoque: encéphalite, cécité, etc", comme expliqué dans cet article de l'AFP.