Non, le projet de recherche HAARP n'a pas provoqué les aurores boréales de mai 2024 visibles à travers le monde
- Publié le 16 mai 2024 à 17:20
- Lecture : 7 min
- Par : Rob LEVER, AFP Etats-Unis, AFP France
- Traduction et adaptation : Gaëlle GEOFFROY
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D'une rare intensité, une tempête solaire, ou tempête géomagnétique, c'est-à-dire l'éjection de particules par le Soleil, a touché la Terre du 10 au 13 mai 2024, provoquant pendant trois nuits d'impressionnantes aurores boréales visibles de l'Autriche à la Californie, de la Russie à la Nouvelle-Zélande, alors que ces phénomènes ne sont habituellement pas observables à des latitudes aussi basses (1, 2).
Si les autorités craignaient des perturbations des réseaux électriques et de télécommunications, aucune perturbation majeure n'a été observée. Les aurores boréales ont, elles, donné lieu à d'innombrables photos illuminées de bleu, d'orange ou de rose partagées sur les réseaux sociaux durant ce week-end, mais aussi à une nouvelle vague de désinformation sur le projet américain HAARP.
Une multitude de publications font valoir en français sur X qu'il aurait provoqué ces aurores jugées "artificielles", tandis que d'autres sur Facebook par exemple se montrent moins affirmatives, instillant le doute sur leur origine.
De nombreuses publications circulent aussi en anglais, sur Instagram par exemple, sur Facebook, TikTok, Threads, X, Bitchute, ainsi qu'en espagnol ou en allemand. On retrouve aussi cette allégation dans des articles en ligne.
Etude de processus physiques dans l'atmosphère
Mais ces aurores ne sont pas liées au Programme de recherche sur les aurores actives à haute fréquence (High frequency active auroral research program, ou HAARP - archive) mené par l'Université d'Alaska-Fairbanks et qui fait l'objet depuis plusieurs années de théories du complot l'accusant de permettre de manipuler le climat et provoquer des tremblements de Terre. Ces fausses allégations ont été vérifiées à plusieurs reprises par l'AFP, notamment ici, ici ou encore ici.
Le programme est dédié à l'étude de l'ionosphère, la couche supérieure de l'atmosphère terrestre, à la frontière de l'espace (archive). Sur son site, le programme HAARP affirme être l'émetteur haute puissance et haute fréquence le plus performant au monde pour étudier l'ionosphère, qui commence à environ 60-80 km d'altitude et s'étend jusqu'à plus de 500 km d'altitude.
"L'objectif des recherches d'HAARP est de mener une étude fondamentale des processus physiques à l'œuvre dans les parties les plus élevées de notre atmosphère", y est-il indiqué.
En envoyant des ondes dans cette partie de l'atmosphère, les scientifiques étudient la réaction des particules de l'ionosphère. Le programme utilise les ondes radio pour chauffer les électrons qui y sont présents, créant ainsi "de petites perturbations qui sont similaires aux types d'interactions qui se produisent dans la nature" mais qui sont plus faciles à étudier pour les scientifiques.
Créé en 1990 à l'initiative du Congrès américain, et alors géré conjointement par l'armée de l'air et la marine américaines, le centre avait pour objectif de recherche "de comprendre et d'utiliser le phénomène pour améliorer les systèmes de communication et de surveillance à des fins civiles et de défense". "Son objectif était d'étudier les propriétés physiques et électriques de l'ionosphère terrestre qui peuvent affecter nos systèmes de communication et de navigation militaires et civils", précise le site d'HAARP.
Le centre a été cédé en 2015 à l'Université d'Alaska-Fairbanks et aucun personnel militaire n'est actuellement affecté à la station de recherche, selon les informations fournies par le programme sur son site.
Communiqué de démenti
Les publications relayant de fausses allégations ont pu être alimentées par le fait que le programme HAARP a conduit une campagne de recherches du 8 au 10 mai 2024 (archive), des publications en anglais notamment (1, 2) utilisant une notice authentique du projet sur cette campagne comme preuve supposée du fait que les aurores visibles mi-mai en étaient le résultat.
Mais un porte-parole des installations basées en Alaska a souligné le 13 mai auprès de l'AFP que l'expérimentation ces jours-là "étudiait les mécanismes de détection des orbites des débris dans l'espace", en aucun cas en lien avec la tempête géomagnétique qui a touché la Terre.
La vague de désinformation sur les réseaux sociaux a été telle que l'université a publié le même jour sur son site internet un communiqué dans lequel Jessica Matthews, directrice de HAARP, a détaillé les travaux de recherche (archive).
"Nous avons répondu à de nombreuses demandes des médias et du public", a-t-elle écrit. "Les expérimentations scientifiques de HAARP n'étaient en aucun cas liées à la tempête solaire ou à la haute activité des aurores observée autour du monde", a-t-elle ajouté. Et ces expérimentations avaient été prévues un mois et demi avant la tempête solaire.
"Faible" amplitude des expérimentations
Bien que les travaux de recherche de HAARP puissent parfois provoquer de "faibles lueurs ressemblant à des aurores" selon son site internet, elles ne peuvent être vues au-delà d'un petit périmètre, soulignent les scientifiques (archive).
C'est pourquoi les affirmations relayées par ces publications sur les réseaux sociaux sont infondées, souligne Dennis Papadopoulos, professeur en physique des plasmas (gaz dont les atomes ont été dissociés sous l'effet de la chaleur) à l'Université du Maryland et l'un des scientifiques travaillant sur HAARP (archive). "Même si nous avons généré des aurores par le passé, elles étaient restreintes à une région autour de Gakona [où le programme est installé, NDLR] et les ordres d'amplitude étaient plus faibles que ce qui a été observé" mi-mai à travers le monde, a-t-il indiqué dans un email à l'AFP le 13 mai : "HAARP ne peut pas avoir d'effets mondiaux".
Jeffrey Hughes, professeur d'astronomie spécialisé dans la physique de l'espace à l'Université de Boston, confirme : les ondes radios émises par HAARP "peuvent modifier l'ionosphère locale - sur une zone large de quelque 100 miles [environ 160 kilomètres, NDLR] - mais pas plus loin. Elles ne pourraient pas causer des lueurs hors d'Alaska", a-t-il expliqué dans un email à l'AFP le 13 mai (archive).
Pour Umran Inan, professeur émérite en ingénierie électrique à l'Université de Stanford (archive), spécialisé dans l'étude de l'ionosphère, les allégations relayées sur les réseaux sociaux n'ont pas de sens. "La puissance électromagnétique délivrée dans l'ionosphère par les installations de HAARP est minuscule comparée à la puissance délivrée par les éclats lumineux intenses" des aurores liées à la tempête solaire, a-t-il indiqué dans un mail à l'AFP. "Ainsi, suggérer qu'un événement mondial comme celui qui vient de se produire serait lié à HAARP est complètement ridicule".
Tuija Pulkkinen, professeur de sciences du climat et l'espace ainsi que d'ingénierie à l'Université du Michigan, est du même avis : "HAARP est un transmetteur d'ondes radio, qui envoient des signaux à la haute atmosphère en chauffant les électrons. Il a la capacité de créer des lueurs artificielles qui pourraient ressembler à des aurores, mais seulement très localement", a-t-elle expliqué à l'AFP (archive).
De plus, "la tempête solaire a été constatée par des observations solaires - activité des taches solaires, forte poussée d'activité, particules solaires énergétiques, éjections de masse coronale [puissantes explosions magnétiques, NDLR - archive] du Soleil - et des observations du vent solaire à 1,5 million de kilomètres de la Terre en direction du Soleil", a ajouté Tuija Pulkkinen.
Les aurores ont été largement observées par l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA - archive).
Le physicien des plasmas Jan Egedal, de l'Université du Wisconsin, qualifie lui aussi les allégations circulant sur les réseaux sociaux de "non-sens", faisant valoir que "les installations d'HAARP ne disposent pas des capacités énergétiques nécessaires pour créer des aurores boréales" (archive).