Ce nuage circulaire en Turquie est un phénomène naturel sans rapport avec le programme de recherche HAARP

Alors qu'un séisme a provoqué le 6 février des dizaines de milliers de morts en Syrie et en Turquie, des publications sur les réseaux sociaux assurent que le tremblement de terre aurait été provoqué de manière artificielle par un programme de recherche américain, en avançant en guise de preuve la photo d'un nuage rose et orange, de forme arrondie, filmé le 19 janvier 2023 dans le ciel turc. Le programme HAARP, dédié à l'étude de la couche supérieure de l'atmosphère, est régulièrement la cible de théories infondées sur les réseaux sociaux, qui l'accusent d'être une "arme". Mais des scientifiques interrogés par l'AFP ont estimé que le phénomène météorologique observé en Turquie est naturel, et qu'aucun mécanisme plausible ne permet au programme HAARP d'avoir provoqué le séisme du 6 février.

'Le séisme de Turquie est-il naturel? Des voix accusent le HAARP d'avoir créé le nuage lenticulaire vu au-dessus de la Turquie juste avant le "tremblement de terre", "il y a 1 semaine, la Turquie a rejeté l'élargissement de l'OTAN. Il y a eu cet étrange nuage dans le ciel. Typique de HAARP", "HAARP l'arme qui fait aussi des tremblements de terre en Turquie, surveiller le ciel".... avancent des publications partagées au total des centaines de fois depuis le 6 février (1, 2, 3) en français et en espagnol.

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Capture d'écran prise sur Twitter le 21/02/2023
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Capture d'écran prise le 22/03/2023 sur Twitter

 

 

Le 6 février 2023, un séisme de magnitude 7,8, suivi de plus d'une centaine de répliques, a frappé la Turquie et la Syrie, faisant plus de 45.000 morts, selon les bilans officiels au 21 février. Ce séisme, l'une des pires catastrophes survenues dans la région depuis un siècle, a ravagé des régions entières et fait des dizaines de milliers de blessés et de sans-abri, auxquels s'ajoutent de multiples dégâts matériels.

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Un homme passe à côté d'un immeuble effondré à Samandağ, dans le sud de la Turquie, après le séisme qui a frappé la Turquie et la Syrie. ( AFP / BULENT KILIC)

Peu après la catastrophe, des publications ont émergé sur les réseaux sociaux, attribuant le séisme au programme de recherche américain HAARP, comme l'avait déjà expliqué l'AFP dans cet article de vérification.

Qu'est-ce que HAARP ?

Le Programme de recherche sur les aurores actives à haute fréquence, ("High-frequency Active Auroral Research Programe" en anglais, ou HAARP), se concentre sur l'étude des propriétés et du comportement de l'ionosphère, qui, comme l'explique la NASA ici, est la couche supérieure de l'atmosphère terrestre, à la frontière avec l'espace.

Sur son site, HAARP affirme être l'émetteur haute puissance et haute fréquence le plus performant au monde pour étudier l'ionosphère, qui commence à environ 60-80 km d'altitude et s'étend jusqu'à plus de 500 km d'altitude.

"L'objectif des recherches d'HAARP est de mener une étude fondamentale des processus physiques à l'œuvre dans les parties les plus élevées de notre atmosphère", indique le site.

Le programme utilise les ondes radio pour chauffer les électrons dans l'ionosphère, créant ainsi "de petites perturbations qui sont similaires aux types d'interactions qui se produisent dans la nature" mais qui sont plus faciles à étudier pour les scientifiques, est-il expliqué.

Créé en 1990 à l'initiative du Congrès américain, et alors géré conjointement par l'armée de l'air et la marine américaines, le centre avait pour objectif de recherche "de comprendre et d'utiliser le phénomène pour améliorer les systèmes de communication et de surveillance à des fins civiles et de défense".

"Son objectif était d'étudier les propriétés physiques et électriques de l'ionosphère terrestre qui peuvent affecter nos systèmes de communication et de navigation militaires et civils", précise le site d'HAARP.

Le centre a été cédé en 2015 à l'université d'Alaska-Fairbanks et aucun personnel militaire n'est actuellement affecté à la station de recherche, selon les informations fournies par le programme sur son site.

HAARP répond également sur son site à un certain nombre de questions sur son travail et aborde également diverses théories infondées qui entourent la station de recherche depuis des années. L'AFP a par exemple déjà expliqué dans cet article que l'affirmation selon laquelle le programme pouvait modifier le climat était erronée.

Ce nuage inhabituel, un phénomène naturel

Grâce à une recherche d'image inversée sur Google, il est possible de trouver des articles de presse contenant les images du nuage rose et orange relayées avec les publications que nous étudions.

Celui-ci a été filmé en Turquie, le 19 janvier 2023, dans la ville turque de Bursa, comme le rapportaient alors de nombreux médias français (1, 2) et espagnols, qui ont expliqué qu'il s'agit d'un "nuage lenticulaire".

Les nuages lenticulaires , phénomènes météorologiques naturels, portent ce nom en référence à leur forme de lentille incurvée.

Selon l'Atlas international des nuages de l'Organisation météorologique mondiale, ils peuvent "se former dans un flux d'air qui franchit une colline, une montagne isolée ou une chaîne de montagnes; ils peuvent être situés au-dessous, au niveau ou au-dessus du sommet de l'obstacle.".

"Les nuages lenticulaires peuvent surgir naturellement des montagnes, comme c'est le cas à Bursa. HAARP ne peut pas provoquer ça, personne ne peut", a expliqué à l'AFP le 10 février 2023 Annemarie Hoogendoorn, porte-parole de l'Institut météorologique royal des Pays-Bas.

La ville de Bursa est située dans une zone accidentée , à environ 36 kilomètres de la montagne Ulu Dag et à près de 900 kilomètres de la zone touchée par le tremblement de terre.

Influencer la météo

Bien qu'il existe des recherches pour tenter d'influencer la météo, il s'agit de projets à petite échelle, tels que l'ensemencement des nuages pour générer de la pluie ou de la neige, qui a été testé dans plusieurs pays comme la Chine , le Mexique , les États-Unis et les Emirats Arabes Unis .

Des études basées sur la géo-ingénierie ont également été menées pour contrer l'impact du changement climatique, en utilisant par exemple des panneaux solaires qui réfléchissent la lumière du Soleil loin de la Terre pour empêcher le réchauffement climatique.

Un autre exemple en est le travail de la société suisse Climeworks , qui a été pionnière pour capturer le CO2 et l'utiliser dans la culture de légumes. Cependant, la géo-ingénierie est encore marginale et considérée comme risquée par certains scientifiques.

"Aucun mécanisme plausible" pour que HAARP puisse déclencher un séisme

Interrogée par l'AFP le 11 février sur les allégations selon lesquelles le programme HAARP pourrait être à l'origine des tremblements de terre du 6 février, Jessica Matthews, responsable du programme HAARP, a déclaré que ce n'était pas possible.

"Le récent tremblement de terre et les pertes tragiques de vies humaines en Turquie mettent en évidence la destruction que peuvent causer les catastrophes naturelles. Les équipements de recherche du site HAARP ne peuvent pas créer ou amplifier les catastrophes naturelles", a-t-elle déclaré à l'AFP.

Sur la page officielle du projet, il est expliqué que celui-ci ne peut pas contrôler les conditions météorologiques. Les ondes radio émises par l'émetteur HAARP ne sont pas absorbées par la troposphère ou la stratosphère, niveaux de l'atmosphère dont dépend la météo sur Terre. "Comme il n'y a pas d'interaction, il n'y a aucun moyen de contrôler le climat", soulignent leurs chercheurs.

Plusieurs experts indépendants interrogés par l'AFP ont abondé dans ce sens.

Les ondes radio d'HAARP qui chauffent l'ionosphère ont une portée limitée d'environ 100 kilomètres de diamètre, a ainsi expliqué Jeffrey Hughes, professeur d'astronomie à l'Université de Boston le 8 février. "Il n'est pas possible qu'il puisse être utilisé pour créer un effet au sol à l'autre bout du monde", a-t-il dit.

"Les ondes radio peuvent perturber artificiellement la haute atmosphère, mais c'est comparable aux perturbations causées par le soleil. Je n'ai connaissance d'aucune preuve scientifique qu'une onde artificielle puisse provoquer des perturbations plus importantes et avoir un impact sur des conditions sismiques locales", a déclaré à l'AFP le 8 février Toshi Nishimura, géophysicien et enseignant-chercheur au Boston University College of Engineering.

"Il n'existe actuellement pas de technologies permettant de lancer des ondes radio depuis le sol et de toucher une ville précise sur un autre continent. Il ne semble pas possible que des ondes radios puissent avoir un impact sur des conditions sismiques lointaines", a-t-il ajouté.

"Il n'y a aucun mécanisme plausible par lequel un tremblement de terre pourrait être déclenché par un tel dispositif", a renchéri auprès de l'AFP le 8 février Susan Hough, géophysicienne au sein du service géologique du gouvernement américain (USGS), a qualifié ces affirmations de "science-fiction".

"Il n'existe tout simplement aucun mécanisme connu permettant à quelque chose ressemblant de près ou de loin à HAARP d'avoir un quelconque impact sur les tremblements de terre", a également estimé le 8 février David Keith, professeur de physique appliquée à la Harvard School of Engineering and Applied Sciences.

"HAARP n'est pas une arme", a affirmé le 8 février Michael Lockwood, spécialiste de la physique de l'espace à l'université de Reading au Royaume-Uni, qui a travaillé avec des instruments scientifiques similaires.

L'intérêt militaire pour cette technologie a concerné "les communications, et non une quelconque forme d'armement", a-t-il expliqué, estimant que les théories complotistes sur l'utilisation d'HAARP en tant qu'arme pouvaient provenir du fait que le programme a initialement étudié l'utilisation des ondes radio pour communiquer avec les sous-marins nucléaires.

D'où viennent les séismes ?

Les tremblements de terre n'ont rien à voir avec les nuages et l'ionosphère, domaine étudié par le programme HAARP. En réalité, ils sont causés par "des mouvements dans la couche la plus externe de la Terre, appelée 'croûte'", comme l'explique la Nasa.

Les tremblements de terre sont causés par les mouvements des plaques tectoniques, des morceaux de croûte qui recouvrent la planète et se déplacent par des courants de convection, générés dans le manteau terrestre, explique le réseau sismique de Porto Rico.

L'ionosphère, au cœur du projet de recherche d'HAARP, est à des kilomètres du phénomène à l'origine des tremblements de terre, provoqués par les mouvements des plaques tectoniques.

Assemblées à la manière d'un puzzle à la surface de la terre, les plaques tectoniques sont en mouvement constant, se déplaçant de quelques centimètres par an dans des directions différentes. "La croûte, la partie supérieure des plaques, se déforme de façon élastique jusqu'à un point de rupture. Elle casse alors brutalement le long d'une ou plusieurs failles, créant des secousses plus ou moins violentes", provoquant un séisme, explique le musée de sismologie de l'Université de Strasbourg sur son site. Ceux-ci se concentrent pour la plupart sur les bordures de plaques.

La Turquie est située sur une des principales zones sismiques du globe. Elle avait déjà enregistré en 1999 un tremblement de terre sur la faille d'Anatolie du Nord, dans la région septentrionale de Düzce, qui avait causé la mort de plus de 17.000 personnes.

Le 6 février, la terre a tremblé de l'autre côté du pays, près de la frontière syrienne, le long de la faille d'Anatolie de l'Est, provoquant le "pire désastre naturel en un siècle" à toucher un pays de la zone européenne de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Le tremblement de terre du 6 février, qui a dévasté des régions du sud de la Turquie et du nord de la Syrie a donné lieu à la publication de nombreuses allégations erronées et d'images et de vidéos détournées.

L'AFP a vérifié d'autres rumeurs, notamment sur la supposée prédictibilité des séismes.

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