Attention à ces propos trompeurs du "fondateur de Greenpeace" sur le CO2 et le changement climatique

Le réchauffement climatique causé par les émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine, dont le CO2, fait aujourd'hui l'objet d'un consensus scientifique. Pourtant, une ancienne vidéo dans laquelle Patrick Moore, présenté comme "fondateur de Greenpeace", assure que le CO2 est "essentiel pour la planète", et que le "changement climatique est une pure invention" a été largement partagée sur les réseaux sociaux francophones. Ces propos sont trompeurs, comme l'ont de nombreuses fois expliqué des scientifiques à l'AFP. Les effets positifs du CO2 ne permettent pas de compenser les effets négatifs des émissions causées par l'activité industrielle, qui mènent au réchauffement du climat, dont certaines conséquences sont d'ores et déjà observables. Par ailleurs, l'ONG Greenpeace, qui avait déjà par le passé assuré ne plus avoir de liens avec Patrick Moore et dénoncé certains de ses propos trompeurs ne reflétant pas les vues de Greenpeace, a confirmé ne pas s'associer à de tels propos.

"Arnaque climatique - Co2 - Voici le fondateur de Greenpeace, le Dr Patrick Moore, quelqu'un qui se soucie clairement de la planète. 'L'avenir montrera que cette hystérie autour du changement climatique est une pure invention. Le CO2 est le nutriment le plus essentiel de la planète. Sans cela, ce serait une planète morte'. C'est une grosse arnaque que de vous taxer davantage et de provoquer 'l'équité mondiale' et le communisme mondial", assure la description d'une publication sur X partagée plus de 1.000 fois depuis le 18 février. 

Elle diffuse une vidéo sous-titrée en français dans laquelle Patrick Moore affirme : "L'une de mes missions est de renverser l'idée que le dioxyde de carbone est polluant et dangereux alors qu'en fait, c'est le nutriment le plus important pour toute vie sur Terre, et sans lui, ce serait une planète morte. Donc je dis non seulement que le dioxyde de carbone est bon, est essentiel, et c'est une bonne chose que nous mettions plus de dioxyde de carbone dans l'atmosphère". 

"Je suis fermement convaincu que l'avenir montrera que toute cette hystérie sur le changement climatique climatique était une pure invention", ajoute-t-il ensuite.

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Capture d'écran prise sur X, le 28/02/2024

La même vidéo a aussi été diffusée par plusieurs comptes sur la plateforme de partage de vidéos Odysee et sur des sites en français (comme ici ou ) en février 2024, et elle circule en ligne en anglais depuis plusieurs années.

Elle avait ainsi été publiée dès le 16 octobre 2015 sur la chaîne YouTube d'"Energy Live News", qui se présente comme un média "non partisan sur les actualités liées à l'énergie", où elle a été vue près de 50.000 fois depuis.

Mais les propos qui y sont véhiculés sont trompeurs et vont à l'encontre du consensus scientifique sur le changement climatique, comme l'ont déjà expliqué maintes fois des climatologues à l'AFP. 

Plus de liens entre Patrick Moore et Greenpeace

Patrick Moore est présenté comme le ou l'un des "fondateurs" de l'ONG Greenpeace. Pourtant, dès 2010, l'ONG avait publié un communiqué (archivé ici) réfutant ces propos, indiquant que s'il a en effet "joué un rôle important au sein de Greenpeace Canada pendant plusieurs années, il n'a pas fondé Greenpeace".

Selon le même communiqué de l'organisation, il aurait en fait rejoint cette dernière en 1971, un an après sa création.

Greenpeace avait également souligné dans le communiqué que "Patrick Moore ne représente pas Greenpeace", dénonçant ses liens avec des "industries polluantes", le nucléaire et certaines de ses prises de parole "anti-écologie". 

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Capture d'écran du communiqué de Greenpeace sur Patrick Moore, prise le 28/02/2024

Contacté par l'AFP le 29 février 2024, un représentant de Greenpeace a confirmé à l'AFP que "ce communiqué est toujours d'actualité", et que les propos de Patrick Moore ne représentent pas la position de l'organisation.

Comme l'indique le média DeSmog (lien archivé ici), spécialisé dans les sujets sur le climat et l'environnement et en particulier la lutte contre la désinformation dans ce domaine, Patrick Moore a également fait partie des représentants (lien archivé ici) de la "CO2 Coalition" qui dit vouloir documenter "la contribution importante du dioxyde de carbone à nos vies et à l'économie", et dont plusieurs affirmations erronées ont été vérifiées par des médias, dont l'AFP comme ici et 

L'AFP avait déjà vérifié d'autres propos trompeurs de Patrick Moore sur le climat, comme ici en anglais sur les statistiques des décès liés à la chaleur censés montrer que la Terre ne se réchauffe pas, là encore en anglais sur des données liées à la biodiversité qui montreraient que certaines espèces dont les baleines ou les koalas ne seraient pas en danger, ou encore là en français sur la couverture de neige dans l'hémisphère nord, qui prouverait que le CO2 n'a pas augmenté.

Comme indiqué dans l'article de DeSmog, malgré le fait qu'il diffuse régulièrement des assertions allant à l'encontre du consensus scientifique sur le climat, Patrick Moore, présentant comme "fondateur de Greenpeace", est resté régulièrement invité de médias notamment conservateurs américains ces dernières années.

Les émissions de CO2 d'origine humaine, cause du réchauffement climatique

Le CO2 est un gaz dit "naturel" participant entre autres au fonctionnement de notre organisme. Il n'est pas considéré comme un polluant et n'est pas dangereux en tant que tel, mais lorsque sa concentration dans l'atmosphère est élevée, il contribue au réchauffement de la planète au même titre que le méthane ou le protoxyde d'azote qui sont, eux aussi, des gaz à effet de serre (GES).

L'impact sur les végétaux d'un apport plus important de dioxyde de carbone (CO2) a été largement mesuré par les scientifiques, notamment via l'étude d'un processus clé : la photosynthèse.

"C'est une réaction chimique qui permet aux plantes d'utiliser l'énergie lumineuse du soleil pour convertir le CO2 en sucre (glucose)", expliquait déjà à l'AFP début février Antoine Martin, chercheur CNRS à l'Institut des sciences des plantes à Montpellier. "Plus il y a de CO2, plus il y a de sucre et donc de croissance [pour la plante]", développait le scientifique. 

Grâce à ce processus, les plantes fixent le carbone de l'air dans leurs feuilles, leurs tiges et leurs racines, créant ainsi des puits de carbone naturels où le carbone est stocké. L'augmentation des niveaux de CO2 dans l'atmosphère peut donc bien, dans une certaine mesure, stimuler la croissance des plantes.

Néanmoins, "il y a tout un ensemble d'effets directs et indirects qui viennent contrebalancer cet effet positif du CO2", nuançait Antoine Martin.

Et se concentrer sur "l'effet à court terme de l'amélioration de la croissance des plantes grâce à une concentration plus élevée de CO2", c'est mettre de côté un élément centralrésumait aussi en décembre 2022 Ranga Myneni, professeur au Département de la terre et de l'environnement de l'Université de Boston.

Car "le CO2 est un gaz à effet de serre, il provoque un changement climatique dont les effets incluent le réchauffement climatique, la fonte des glaces, l'élévation du niveau de la mer, etc.", rappelait-il, ajoutant que des études récentes ont par ailleurs révélé "un ralentissement du verdissement et un renforcement des tendances au brunissement, en particulier au cours des deux dernières décennies".

C'est le cas d'une étude publiée en 2020 dans la revue "Science" qui conclut, à l'aide de données satellitaires, que l'effet de fertilisation par le CO2 a diminué à l'échelle mondiale entre 1982 et 2015, ce qui s'explique par exemple par le manque de nutriments et la diminution de la disponibilité de l'eau du sol.

Une autre étude de 2021 publiée dans "Biogeosciences" constate également, à l'aide de données satellites, que l'augmentation de la surface foliaire mondiale ralentit.

La concentration de CO2 est traditionnellement mesurée en "partie par million" ou ppm, un indicateur qui permet de calculer son taux de concentration dans l'air et plus globalement dans l'environnement. Comme son nom l'indique, le ppm permet de savoir combien de molécules de CO2 on trouve sur un million de molécules d'air.

La concentration de CO2 est passée de 282 ppm en 1800 à plus de 420 ppm en 2023 selon la NASA, l'agence fédérale chargée du programme spatial civil américain (lien archivé ici).

Les données de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), agence américaine responsable de l'étude de l'océan et de l'atmosphère (archivées ici) montrent également comment le CO2 atmosphérique a augmenté parallèlement à la hausse des émissions d'origine humaine.

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Graphique montrant l'évolution de la concentration de CO2 avec et sans l'influence d'El Nino et La Nina, ainsi que la concentration de CO2 projeté en 2024 par rapport aux trois scénarios du Giec visant à limiter le réchauffement à 1,5°C (AFP / Julia Han JANICKI, Anibal MAIZ CACERES, Kevin TRUBLET)

Le réchauffement climatique fait l'objet d'un consensus scientifique

Contrairement à ce que prétend Patrick Moore, il existe bien un consensus scientifique sur l'origine humaine du réchauffement climatique, c'est-à-dire un avis partagé par l'immense majorité des scientifiques sur la base des résultats de milliers d'études sur le sujet, comme expliqué dans cette fiche récapitulative créée par l'AFP.

Des scientifiques ont dès les années 70 évoqué un réchauffement climatique en lien avec l'augmentation des concentrations de CO2 dans l'atmosphère provoquées par les activités humaines, comme détaillé sur le site spécialisé Carbon Brief (lien archivé ici).

Naomi Oreskes, professeure d'histoire des sciences à Harvard, a été la première à quantifier le consensus sur l'origine anthropique du réchauffement climatique, avec en 2004 une étude sur près plus de 900 articles scientifiques publiés entre 1993 et 2003. "Fait remarquable, aucun des articles n'exprime un désaccord" avec cette origine humaine du réchauffement, y concluait-elle (lien archivé ici).

De nombreux autres travaux ont corroboré ces conclusions, dont une méta-analyse (archivée ici) réalisée par John Cook, chercheur à l'université Monash en Australie, qui en 2016 concluait que 90 à 100% des scientifiques s'accordent sur cette origine, ou une étude de 2013 (archivée ici) plaçant le consensus à 97%, sur la base de près de 12.000 articles publiés entre 1991 et 2011.

Les rapports publiés successivement par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), sont parallèlement devenus la référence sur le sujet. Ils font la synthèse régulière des connaissances de la communauté scientifique internationale en analysant les études publiées. Les anticipations sont affinées au fil des rapports, à mesure, aussi, que les outils d'étude du climat se perfectionnent.

Dès sa première vague de rapports (lien archivé ici), en 1990-1992, le Giec se disait "certain" que "les émissions dues aux activités humaines accroissent sensiblement la concentration atmosphériques de gaz à effet de serre" (dioxyde de carbone ou méthane notamment), ce qui allait "renforcer l'effet de serre", alimentant ainsi un "réchauffement additionnel de la surface de la Terre".

Les rapports suivants n'ont cessé depuis de le confirmer et le préciser. Le Giec en est à son sixième rapport (publié en août 2021). La publication du seul groupe I (2.400 pages), qui a travaillé sur plus de 14.000 études, souligne d'emblée le caractère "sans équivoque" du réchauffement provoqué par "les activités humaines".

La Terre s'était ainsi réchauffée de 1,1°C en 2020 par rapport à la période 1850-1900. Une toute petite partie était liée à la variabilité naturelle du climat (entre -0,23 et +0,23°C), le reste étant provoqué par les activités humaines. Ce réchauffement global devrait avoir atteint 1,5°C dès le début des années 2030.

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Ecart entre les températures mondiale moyenne de chaque jour et la température mondiale à la même date à l'ère préindustrielle (1850-1900), de 1940 à 2023 (AFP / Valentin RAKOVSKY, Anibal MAIZ CACERES)

Le service européen sur le changement climatique de Copernicus (C3S) avait annoncé début janvier (lien archivé ici) que 2023 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée dans le monde avec une température moyenne de 14,98°C, soit 1,48°C de plus que le climat de l'ère pré-industrielle.

Ces températures "dépassent probablement celles de toutes les périodes depuis au moins 100.000 ans", avait souligné Samantha Burgess, cheffe adjointe de Copernicus.

La NASA documente très précisément les niveaux de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, le réchauffement en cours et ses conséquences.

On peut retrouver cette multitude de données sur un site internet dédié (lien archivé ici). Elles montrent notamment que "depuis les débuts de la Révolution industrielle au XVIIIe siècle, les activités humaines ont accru le CO2 présent dans l'atmosphère de 50%", à une concentration de quelque 420 parties par million (ppm) en 2023.

L'une des conséquences déjà observables de ce réchauffement est une augmentation attendue de la fréquence d’événements climatiques dits "extrêmes" tels que les sécheresses ou les précipitations hors normes.

D'ici à l'horizon 2100, le Giec a établi cinq scénarios selon l'ampleur des mesures qui auront été prises - ou pas - pour tenter de réduire ses émissions de gaz à effet de serre.

La palette du réchauffement anticipé va d'un réchauffement moyen de 1,4°C en 2100 par rapport à 1850-1900 si les émissions étaient réduites massivement, à un réchauffement de 4,4°C si elles augmentaient fortement, avec trois projections intermédiaires de 1,8°C, 2,7°C et 3,6°C.

Les scientifiques soulignent en outre que chaque dixième de degré de réchauffement qui pourra être évité compte pour limiter son impact sur les sociétés humaines et la biodiversité.

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Prévisions d'évolution des températures mondiales par rapport à la période 1850-1900, selon les scénarios du Giec (AFP / Aude GENET, Sophie RAMIS)

L'Accord de Paris scellé lors de la COP21 en 2015 a fixé pour objectif de maintenir la hausse de la température moyenne mondiale "bien en dessous de 2°C" par rapport à l'ère pré-industrielle et de tout faire pour "limiter l'augmentation à 1,5°C".

Puis lors de la COP28 à Dubaï, les pays du monde entier ont pour la première fois approuvé le 13 décembre 2023 un compromis historique ouvrant la voie à l'abandon progressif des énergies fossiles causant le réchauffement, malgré les nombreuses concessions faites aux pays riches en pétrole et en gaz. Le texte final appelle à "transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d'une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l'action dans cette décennie cruciale, afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques".

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