Un nouveau-né à Nantes, le 7 juillet 2018 ( AFP / LOIC VENANCE)

Attention à ces affirmations trompeuses sur la fécondité des immigrés en France

  • Publié le 19 janvier 2024 à 12:10
  • Mis à jour le 19 janvier 2024 à 16:35
  • Lecture : 9 min
  • Par : Julie PACOREL, AFP France
La France a connu en 2023 un niveau de naissances au plus bas depuis la Seconde guerre mondiale, selon le dernier bilan démographique de l'Insee. Des personnalités d'extrême droite ont profité de ces chiffres pour mettre en concurrence la fécondité des femmes nées en France, qui baisse, avec celle de femmes immigrées qui, selon eux, augmente. Certains y voient l'accomplissement du "grand remplacement", une thèse popularisée notamment par Eric Zemmour. Mais ce tableau est trompeur. Car si la part des naissances de parents immigrés augmente en effet en France et que les femmes venant de pays hors UE font en moyenne plus d'enfants que les femmes nées en France, les femmes nées à l'étranger ne font pas "de plus en plus d'enfants". De plus, l'écart de fécondité entre immigrées et non-immigrées tend à se réduire. 

"D'un côté, notre peuple, où beaucoup se laissent aller à ne plus rien espérer, et ne font presque plus d'enfants. De l'autre, une population immigrée de plus en plus massive, qui fait de plus en plus d'enfants. C'est simple, le Remplacement : ce sont deux courbes qui se croisent": sur Facebook le 15 janvier, Eric Zemmour partageait son avis sur la baisse historique de la natalité en France. 

Eric Zemmour a médiatisé ces dernières années la théorie du "grand remplacement" (archive) des populations européennes par des immigrés extra-européens, une thèse aux relents complotistes popularisée par l'écrivain d'extrême-droite Renaud Camus.

Comme un autre homme politique, le souverainiste Eric Dupont-Aignan, il partage une tribune du Figaro (archive) à l'appui de ses propos.

Le site d'extrême-droite Boulevard Voltaire partage la même inquiétude: "Natalité en berne : la France sur la voie du grand remplacement ?".

Sur X, des internautes assurent aussi qu'"en 2050, 50% des naissances en France seront d'origine et de culture immigrée". Une affirmation déjà brandie par Marion Maréchal en 2021.

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Capture d'écran de X le 18 janvier 2024

Ces propos trouvent leur origine dans le dernier bilan démographique de l'Insee (archive), qui fait état d'une chute de la fécondité en France, où l'indicateur conjoncturel de fécondité s'établit à 1,68 enfant par femme, un plus bas historique depuis la Seconde guerre mondiale. 

L'indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) mesure le nombre d'enfants qu'aurait une femme tout au long de sa vie, si les taux de fécondité observés l'année considérée à chaque âge demeuraient inchangés, explique l'Insee sur son site internet.

La descente actuelle de la courbe des naissances a débuté en 2015, et s'explique notamment par la diminution du nombre de femmes de 20 à 40 ans, en âge de procréer selon les critères de l'Insee. Elles n'étaient que 8,43 millions en 2022 en France, près de 300.000 de moins que dix ans plus tôt, toujours selon l'Insee. 

Les femmes nées à l'étranger ont un ICF plus fort que celles nées en France, mais pas en augmentation

Contrairement à ce qu'affirme Eric Zemmour, on ne peut pas dire que "la population immigrée" fait "de plus en plus d'enfants". Dans une interview à CNews en septembre 2023, le président de Reconquête avait déjà affirmé que "les femmes maghrébines et africaines font entre 3 et 4 enfants par femme, alors que la moyenne en France est de 1,68", des affirmations démenties par des experts cités par l'AFP Factuel

L'Insee nous rappelle qu'un "immigré" selon la définition retenue par l'institut national, est "une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. Les personnes nées Françaises à l’étranger et vivant en France ne sont donc pas des immigrés. Certains immigrés ont pu devenir Français, les autres restant étrangers. Un individu continue à être immigré même s’il acquiert la nationalité française". 

Pour catégoriser les naissances en fonction de l'origine des parents, l'Insee retient comme critère leur lieu de naissance (en France, dans l'UE, ou hors UE).

Mais dans son dernier bilan démographique rendu public le 16 janvier, le détail de l'origine des parents n'est pas encore connu. L'Indice conjoncturel de fécondité à 1,68 enfant par femme est donc global, et comprend les naissances de parents nés en France comme les naissances de parents nés à l'étranger.

Une parution récente de l'Insee, en mars 2023 (archive), permet en revanche de connaître la part des naissances de parents nés à l'étranger pour l'année 2021.

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L'indicateur conjoncturel de fécondité des femmes selon leur lieu de naissance en 2021 (Insee)

L'ICF des femmes nées à l'étranger est de 2,3 enfants par femme en 2021, contre 1,7 enfant par femme pour les femmes nées en France à la même date. Les femmes nées à l'étranger donc, en effet, plus d'enfants que les femmes nées en France, mais il est faux de dire que ces femmes font "de plus en plus d'enfants".

Dans un mail à l'AFP Factuel le 17 janvier, l'Insee rappelle que "l’ICF des femmes nées à l’étranger est, quant à lui, relativement stable sur l’ensemble de la période : autour de 2,3 enfants par femme entre 2006 et 2013, puis de 2,4 de 2014 à 2020".

En 2021, remarque l'Insee, "la fécondité des femmes nées en France semble par ailleurs avoir mieux résisté que celle des femmes nées à l’étranger".

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Courbes de l'ICF des femmes résidant en France en fonction de leur origine (Insee)

Sur le graphique ci-dessus, fourni par l'Insee, on voit bien que contrairement aux affirmations d'Eric Zemmour, les courbes ne se croisent pas.

Les situations diffèrent toutefois selon les pays, commente l'Insee: "Ainsi, l’ICF des femmes nées en Afrique hors Maghreb a sensiblement augmenté depuis 2010, tandis que l’ICF des femmes nées au Maghreb, en Turquie et au Moyen-Orient a fortement diminué depuis 2014". 

Plus d'immigrés donc plus de naissances, mais peu d'effet sur la fécondité globale

La tribune du Figaro citée par Eric Zemmour notamment est un article signé Nicolas Pouvreau-Monti, de l'Observatoire de l'immigration et de la démographie. Cet organe est en réalité un think-tank qui se veut "une structure d'étude et d’information relative aux évolutions migratoires et démographiques de la France, destinée aux décideurs ainsi qu’à l’ensemble des citoyens intéressés par ce sujet". 

Dans leur onglet "qui sommes-nous" (archive), l'OID affirme souscrire "à la nécessité de contrôler les flux migratoires pour préserver la cohésion sociale et la soutenabilité des finances publiques, ainsi qu’à l’objectif d’une natalité dynamique". Il est décrit comme "une boite à outils de la droite parlementaire" par l'hebdomadaire Le Point (archive).

"Ce ne sont pas des chercheurs, c’est un think-tank à visée politique. Ils diffusent des points de vue qui leur sont propres", selon Gilles Pison (archive), démographe à l'Ined (Institut national des études démographiques) contacté par l'AFP Factuel le 17 janvier.

Cette tribune met en avant que "depuis l’an 2000, le nombre annuel d’enfants nés sur le territoire et issus de deux parents eux-mêmes nés en France a diminué de 22% ; mais dans le même temps, les naissances issues d’au moins un parent né hors-UE ont augmenté de 40% et celles issues de deux parents nés hors-UE ont augmenté de 72%".  

Le choix de prendre comme point de départ de la comparaison l'an 2000 n'est pas anodin, puisque cette année a été marquée par un record de natalité (archive), avec un bond de 5% des naissances par rapport à 1999, ce qui accentue d'autant plus la baisse vécue depuis pour les parents nés en France. 

Concernant les autres catégories de parents, "par rapport à l’an 2000, il y a presque un doublement de la part des naissances de deux parents nés à l’étranger. Une explication est notamment que la part de la population immigrée dans la population française est passée de 7 à 10% sur ces vingt années. Il y a plus de personnes immigrées donc plus de naissances", analyse Gilles Pison. 

L'Insee livre la même lecture (archive): "un facteur important qui explique l’augmentation de la part des naissances de parents nés hors UE27 dans les naissances est le fait que la part des personnes résidant en France et nées à l’étranger augmente en France depuis le début des années 2000 et en son sein une part légèrement accrue (archive) des origines non européennes", ajoutant que les immigrés sont "plutôt d'âge actif (des âges auxquels on a aussi des enfants)".

Des chercheurs de l'Ined ont calculé qu'en 2017, toutes populations confondues, la présence des immigrées sur le territoire français ajoutait "un peu plus de 0,1 enfant au taux de fécondité national [de 1,8 à 1,9 enfant par femme en 2017, NDLR]", soit un apport "faible, alors qu’elles contribuent dans le même temps à 19% des naissances". Ceci parce que "les immigrées représentaient seulement 12% des femmes en âge d’avoir des enfants" (archive). 

Pour autant, insiste Gilles Pison, "le différentiel de fécondité entre immigrés et non-immigrés reste à peu près le même".

D'autant qu'à l'Insee, comme à l'Ined, on tend à relativiser l'Indice conjoncturel de fécondité. "Cet indicateur nous permet d'évaluer comment la fécondité évolue d'une année sur l'autre", avait expliqué en janvier 2023 à l'AFP Sylvie Le Minez, cheffe de l’unité des études démographiques et sociales à l’Insee, "mais en fait le vrai juge de paix c'est ce qu'on appelle la descendance finale, c'est le nombre d'enfants que les femmes vont avoir au terme de leur vie féconde, grosso modo à 50 ans". 

La descendance finale des immigrées est de 2,3 enfants par femme

Un point de vue partagé par Gilles Pison, qui estime qu'"il faut regarder la descendance finale des femmes, c’est la mesure qui a le plus de sens car elle prend en compte l’ensemble de leur vie féconde, avant et après la migration, pour une génération de femmes qui ont atteint 50 ans. Là on voit des écarts selon les pays de naissance, mais moins importants au total. Et surtout, avec les années, et les générations, l’écart a tendance a diminuer". 

Si on se réfère aux données de l'étude "trajectoires et origines" de l'Insee, en 2020 (archive), la descendance finale des femmes  résidant en France métropolitaine et âgées de 45 à 60 ans était est de 2,3 enfants par femme. 

Cette étude nous apprend aussi que "la fécondité des descendantes d’immigrés originaires du Maghreb est proche de celle des femmes ni immigrées ni descendantes d’immigrés". 

La descendance finale des femmes immigrées diminue au fil des générations: celles nées entre 1950 et 1954 ont eu en moyenne 2,9 enfants au cours de leur vie, contre 2,3 pour celles nées entre 1970 et 1974. 

Quant à l'affirmation selon laquelle "en 2050, 50 % des naissances en France seront d'origine et de culture immigrée", pour Gilles Pison "Si 'd'origine immigrée' veut dire 'de parents immigrés', c’est très peu probable vu les tendances, il faudrait des flux d’entrées énormes en provenance de pays où la fécondité est très forte. Quant à 'de culture immigré', à quoi fait-on référence ?".

Interrogé par l'AFP en décembre, Patrick Simon, directeur de recherche à l'Institut national d'études démographiques, assure que ces discours sur l'immigration "ont contribué à antagoniser des personnes qui vivent déjà dans la société en faisant d'elles des surnuméraires. Cela rend les immigrés présents encore plus précaires, ce qui n'est pas une bonne chose pour leur intégration".

développe la réponse de Gilles Pison à l'avant-dernier paragraphe
19 janvier 2024 développe la réponse de Gilles Pison à l'avant-dernier paragraphe

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