Cette image d'un navire en feu n'a rien à voir avec les attaques houthies en mer Rouge
- Publié le 19 janvier 2024 à 11:22
- Lecture : 6 min
- Par : Roxana ROMERO, AFP Etats-Unis, AFP France
- Traduction et adaptation : Théo MARIE-COURTOIS
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"URGENT : Cargo américain vient d’être touché de plein fouet par un missile au large des côtes du Yémen, selon Ambrey, une société britannique de risques maritimes, un incendie majeur s'est déclaré à bord du vraquier battant pavillon des Îles Marshall", indique une publication sur X accompagnant la vidéo d'un navire en feu prise depuis les airs. Ce message a été partagé plus de 800 fois depuis le 15 janvier.
Des publications similaires ont été diffusées sur X (comme ici et ici), Facebook et TikTok. La séquence circule également en espagnol, anglais, arabe et allemand.
Lundi 15 janvier, un cargo américain a été touché par un missile tiré par les Houthis au large de la ville yéménite d'Aden, au lendemain d'une attaque ayant ciblé un destroyer américain en mer Rouge, imputée par Washington aux rebelles du Yémen.
Des "Houthis soutenus par l'Iran ont tiré un missile balistique antinavire (...) et ont touché le M/V Gibraltar Eagle, un cargo battant pavillon des Îles Marshall", appartenant à un armateur américain, a indiqué le Commandement militaire américain au Moyen-Orient (Centcom) en précisant qu'il n'y a pas eu de blessés "ni de dommages significatifs" (lien archivé ici).
L'incident avait été rapporté plus tôt par l'agence de sécurité maritime britannique (UKMTO), qui avait fait état d'un navire "touché depuis le haut par un missile" au sud-est de la ville d'Aden, dans le sud du Yémen (lien archivé ici).
Les rebelles Houthis, soutenus par l'Iran et qui contrôlent une grande partie du Yémen, ont attaqué à de multiples reprises des navires civils et militaires en mer Rouge ces dernier mois. Ils accusent ces navires d'être proches d'Israël et justifient les bombardements comme des moyens de "soutien" aux Palestiniens de la bande de Gaza, cette dernière étant bombardée par Israël, qui est un allié des Etats-Unis.
Cependant, ces faits n'ont rien à voir avec la vidéo virale sur les réseaux sociaux.
Incendie au large du Sri Lanka
Une recherche par image inversée réalisée avec des captures d'écran de moments-clés nous conduit à une vidéo publiée sur la chaîne YouTube officielle de l'armée de l'air srilankaise le 25 mai 2021 (lien archivé ici).
On repère la même scène à la trentième seconde même si l'extrait partagé sur les réseaux sociaux a vraisemblablement été inversé.
"Dernières images vidéo du navire 'X-PRESS PEARL' qui est actuellement en flammes. Les images ont été capturées par [l'hélicoptère] Bell 212 de l'armée de l'air du Sri Lanka", est-il écrit en légende de la vidéo YouTube.
Le 20 mai 2021, le X-Press Pearl, un porte-conteneurs chargé de produits chimiques et de milliers de tonnes de granulés plastiques destinés à l'industrie de l'emballage sri-lankaise, a pris feu, provoquant une catastrophe écologique marine sans précédent (lien archivé ici). Le feu a fait rage pendant 13 jours avant qu'une opération internationale ne parvienne à éteindre le brasier. Le navire a finalement sombré le 2 juin au large de Colombo.
Le gouvernement du Sri Lanka y a vu le pire désastre écologique marin de l'histoire du pays. Des cadavres de dauphins, de baleines et de tortues s'étaient échoués en masse sur les plages et la pollution avait affecté 80 km de littoral ainsi que des eaux de pêche.
L'AFP avait réalisé en 2021 une vidéo sur cet évènement, reprenant notamment ces images de l'armée de l'air du Sri Lanka.
Ce n'est pas la première fois que des images de ce spectaculaire incendie sont détournées. En décembre, elles avaient déjà été utilisées par certains internautes pour illustrer l'attaque par les Houthis de plusieurs navires commerciaux en mer Rouge le 3 décembre comme expliqué dans cet article de vérification de l'équipe anglophone de l'AFP.
Une escalade des tensions au Yémen
Le 12 janvier 2024, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont bombardé des cibles militaires houthies au Yémen, faisant au moins cinq morts.
Le président américain Joe Biden avait déclaré que cette opération "défensive" avait été menée en réponse aux attaques des Houthis contre des navires marchands en mer Rouge, une zone cruciale pour le commerce mondial, et avait bénéficié du "soutien" de l'Australie, du Bahreïn, du Canada et des Pays-Bas.
Ces actions ont été menées en réponse aux attaques menées ces dernières semaines par les rebelles contre des navires en mer Rouge, en solidarité avec les Palestiniens de Gaza.
Les Houthis, proches de l'Iran et qui contrôlent une grande partie du Yémen, ont multiplié depuis novembre dernier les attaques de navires qu'ils soupçonnent d'être liés à Israël, par missiles et par drones en mer Rouge, près du détroit stratégique de Bab el-Mandeb séparant la péninsule arabique de l'Afrique.
Les Houthis affirment agir en solidarité avec les Palestiniens de la bande de Gaza qui sont bombardés par Israël, lui-même allié des Etats-Unis.
Ils font partie de l'"axe de la résistance", termes utilisés par l'Iran pour désigner le gouvernement syrien, le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien, des groupes irakiens et les rebelles houthis du Yémen, qui sont proches de l'Iran et opposés à Israël.
Le 13 et le 14 janvier, l'armée américaine a confirmé que d'autres frappes américaines et britanniques avaient été menées sur des positions houthies au Yémen.
En représailles, les Houthis ont annoncé que "tous les intérêts américains et britanniques sont devenus des cibles légitimes des forces armées yéménites".
Ils ont également tiré des missiles sur un cargo américain dans le golfe d'Aden le 15 janvier, et tenté d'attaquer à la roquette un destroyer américain en mer Rouge la veille, selon des responsables militaires américains.
La guerre entre Israël et le Hamas a été déclenchée par une attaque sans précédent du Hamas le 7 octobre dans le sud d'Israël qui a tué 1.140 personnes, en majorité des civils, selon un décompte de l'AFP à partir de chiffres officiels.
Quelque 250 personnes ont été enlevées et emmenées à Gaza durant l'attaque, dont une centaine ont été libérées à la faveur d'une trêve fin novembre. Selon Israël, 132 restent détenues dont 27 seraient mortes.
En représailles, Israël a juré "d'anéantir" le Hamas. Selon le ministère de la Santé du Hamas, 24.620 personnes, en grande majorité des femmes, enfants et adolescents ont été tuées et 61.830 blessées dans les bombardements incessants israéliens et les combats à Gaza.
Les frappes ont rasé des quartiers entiers, provoqué une crise humanitaire majeure et mis hors service plus de la moitié des hôpitaux dans le territoire palestinien, auquel Israël impose un siège total depuis le 9 octobre après un blocus terrestre, aérien et maritime datant de 2007.