Une vidéo filmée à Gaza ? Non, une manifestation à Washington avec des sacs mortuaires symboliques

La guerre entre le Hamas et Israël a fait des milliers de victimes civiles depuis l'attaque contre Israël lancée par le Hamas le 7 octobre et les bombardements israéliens déclenchés en représailles à Gaza. Dans ce contexte, une vidéo montrant un alignement de linceuls blancs est présentée comme des "cadavres de Palestiniens dans les rues de Gaza" "en raison des capacités saturées des hôpitaux". Mais cette vidéo a été sortie de son contexte et montre de faux sacs mortuaires symboliquement disposés lors d'une manifestation à Washington DC le 4 novembre 2023 pour demander un "cessez-le-feu" à Gaza, comme le permettent de confirmer des images du même événement prises par l'AFP.

Le 7 octobre, plus de 1.400 personnes ont été tuées sur le territoire israélien par les hommes du Hamas, en majorité des civils fauchés par balles, brûlés vifs ou morts de mutilations, selon les autorités israéliennes. Environ 1.500 combattants du Hamas ont été tués dans la contre-offensive ayant permis à Israël de reprendre le contrôle des zones attaquées, selon l'armée israélienne. Le Hamas a enlevé plus de 200 otages parmi lesquels des étrangers de plus de vingt pays, retenus à Gaza.

Le Hamas a affirmé de son côté le 6 novembre qu'au moins 10.000 personnes - majoritairement des civils, dont près de la moitié d'enfants - ont été tuées dans les bombardements israéliens en représailles et les combats au sol dans la bande de Gaza. Des quartiers entiers y ont été rasés et se retrouvent sans eau, sans nourriture ni électricité, après le siège imposé par Israël le 9 octobre au territoire, déjà soumis à un blocus terrestre, maritime et aérien depuis que le Hamas y a pris le pouvoir en 2007.

Au moins 1,5 million de Palestiniens de Gaza ont été déplacés depuis le début de la guerre, selon l'ONU.

Dans ce contexte et alors que partisans et soutiens des deux camps opposés se livrent à une guerre informationnelle particulièrement virulente sur les réseaux sociaux, de nombreuses fausses informations sont partagées, parmi lesquelles des vidéos sorties de leur contexte.

C'est le cas d'un extrait publié le 6 novembre et montrant des sacs mortuaires blancs, ressemblant aux linceuls blancs utilisés pour recouvrir les corps dans la religion musulmane, devant lesquels figurent des photos . "Les corps des martyrs, femmes et enfants palestiniens à #Gaza dans les rues en raison des capacités saturées des hôpitaux", assure la légende de publications (1, 2, 3) sur X (ex-Twitter) relayant ces images.

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Capture d'écran prise sur X (ex-Twitter le 07/11/2023)
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Capture d'écran prise sur X (ex-Twitter le 07/11/2023)

 

 

Mais ces images n'ont pas été filmées à Gaza et ne montrent pas de vrais cadavres.

Sur les images partagées sur X en français figurent un nom d'utilisateur Tik Tok, @maryannamustafa711, qui permet de retrouver la vidéo en meilleure qualité et sans l'inscription "Tasnim news". L'utilisatrice indique en légende "Washington" et la date 4 novembre 2023.

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Capture d'écran prise sur Tik Tok le 07/11/2023

L'utilisatrice a ajouté un son, comme le permet de faire Tik Tok, d'une autre vidéo montrant un petit garçon en train de hurler aux images qui circulent sur X et montrent les sacs mortuaires.

Il est indiqué que la vidéo a été publiée "il y a 2 jours". Grâce à l'outil "timestamp"de Bellingcat, il est possible de déterminer que la vidéo a été publiée précisément à 18h59 heure de Washington (23h59 GMT).

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Capture d'écran de l'outil Timestamp de Bellingcat prise le 07/11/2023

Une manifestation à Washington

Le même jour, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées dans la capitale fédérale américaine, appelant à un "cessez-le-feu" immédiat dans la bande de Gaza.

Le flyer de la manifestation est encore disponible et indique que la marche devait débuter le 4 novembre à 14 heures, sur la Freedom Plaza (archive ici).

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L'administration du président Joe Biden a manifesté son soutien sans faille à son allié israélien à la suite de l'attaque sanglante du Hamas le 7 octobre et a rejeté les appels à un "cessez-le-feu", appelant plutôt à des "pauses humanitaires".

Fustigeant la politique américaine de soutien à Israël, des milliers de manifestants ont brandi des drapeaux palestiniens, nombre d'entre eux portant le traditionnel keffieh, et ont demandé à "mettre fin tout de suite au siège de Gaza", comme l'a relaté une correspondante de l'AFP qui a couvert la manifestation dans cette dépêche (archivée ici).

Lors de cette manifestation, "des dizaines de petits sacs mortuaires blancs portant les noms d'enfants tués par des frappes israéliennes bordaient la rue et des manifestants brandissaient des pancartes appelant à un cessez-le-feu immédiat", a rapporté le même jour l'agence de presse AP (archive ici).

Une photo de l'article montre un gigantesque sac mortuaire blanc taché de faux sang avec l'inscription "humanity!", puis, devant, une série de petits sacs mortuaires blancs, eux aussi tachetés de faux sang, "représentant les corps des personnes tuées à Gaza" selon la légende.

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Capture d'écran de l'article d'AP prise le 07/11/2023

La photographe de l'AFP à Washington Stefani Reynolds était présente à cet événement et a publié trois photos montrant la même mise en scène.

La légende des photos indique que "des manifestants passent devant des imitations de sacs mortuaires alors qu'ils se rassemblent sur la Freedom Plaza lors d'une manifestation de soutien aux Palestiniens à Washington DC, le 4 novembre 2023".

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Capture d'écran des photos publiées par l'AFP de la manifestation à Washington le 4 novembre 2023

Sur les photos, plusieurs éléments sont reconnaissables et permettent d'affirmer que la vidéo prétendument tournée à Gaza a été décontextualisée et a bien été filmée lors de cette manifestation.

Dans les publications avec la vidéo relayée sur X, face à l'alignement des faux corps, figurent des photographies filmées dans un ordre bien précis et censées montrer, selon les articles, le visage des victimes de frappes israéliennes. Ces visages apparaissent exactement dans le même ordre sur l'une des photos de Stefani Reynolds, ci-dessous à gauche.

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Photo de l'AFP prise par Stefani Reynolds montrant la manifestation du 4 novembre 2023 à Washington pour demander un "cessez-le-feu" à Gaza. ( AFP / Stefani REYNOLDS)
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Captures d'écran prises le 07/11/2023 de la vidéo relayée en ligne

 

 

"J'ai compté une trentaine de faux corps alignés le long du trottoir de la Freedom Plaza avant qu'ils [les manifestants, NDLR] ne marchent vers la Maison Blanche", a raconté Stefani Reynolds le 7 novembre.

La photographe a également transmis une série de clichés de la manifestation non publiés, comme celui ci-dessous, qui permet de reconnaître d'autres visages figurant sur la vidéo partagée en ligne. On distingue en fond l'énorme sac mortuaire avec les deux premières lettres "hu" du mot humanity.

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Photo de l'AFP prise par Stefani Reynolds montrant la manifestation du 4 novembre 2023 à Washington pour demander un "cessez-le-feu" à Gaza. ( AFP / Stefani REYNOLDS)
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Capture d'écran prise le 07/11/2023 de la vidéo relayée en ligne

 

 

Sur une autre photo de Stefani Reynolds ci-dessous, une photo avec une multitude de visage est aussi reconnaissable.

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Photo de l'AFP prise par Stefani Reynolds montrant la manifestation du 4 novembre 2023 à Washington pour demander un "cessez-le-feu" à Gaza. ( AFP / Stefani REYNOLDS)
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Capture d'écran prise le 07/11/2023 de la vidéo relayée en ligne

 

 

Sur Google Maps, il est possible de se balader virtuellement sur la Freedom Plaza et de retrouver l'endroit exact où étaient alignés les faux corps.

L'emplacement, en capture d'écran sur Google Maps ci-dessous à gauche, colle en tout point avec celui de la vidéo circulant sur les réseaux sociaux, qui permet de confirmer que les images ont bien été prises à cet emplacement à Washington et non à Gaza.

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Capture d'écran prise sur Google Maps le 07/11/2023
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Capture d'écran prise le 07/11/2023 de la vidéo relayée en ligne

 

 

Guerre entre Israël et le Hamas

Si les faux corps ont été placés de manière symbolique lors de la manifestation à Washington, de nombreuses photos de l'AFP ont montré les corps de victimes palestiniennes enveloppés dans des linceuls blancs à Gaza.

C'est par exemple le cas dans cette photo prise le 12 octobre 2023, devant la morgue de l'hôpital d'Al-Chifa, plus grand complexe médical de la bande de Gaza,

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Des personnes portent le corps d'une victime d'une frappe aérienne israélienne tandis que des personnes en deuil se rassemblent devant la morgue de l'hôpital al-Chifa de la ville de Gaza, le 12 octobre 2023. ( AFP / MOHAMMED ABED)

"Chez les musulmans, on lave [le cadavre] , on le couvre avec le linceul", avait expliqué à l'AFP le 17 octobre Moussa Abou Ramadan, professeur de droit musulman et d'islamologie à l'Université de Strasbourg.

Les bilans des victimes du conflit actuel entre Israël et le Hamas ne sont pas vérifiables de façon indépendante et sont régulièrement remis en cause. Le président Joe Biden, puissant soutien historique d'Israël, avait par exemple émis des doutes fin octobre sur les chiffres du Hamas, les États-Unis reconnaissant toutefois que les victimes palestiniennes se comptaient bien "par milliers".

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Des personnes prient près des corps des personnes tuées lors d'une frappe israélienne sur le camp de réfugiés Al-Maghazi à Deir Balah dans le centre de la bande de Gaza, devant l'hôpital al-Quds de la même ville, le 5 novembre 2023. M. Alaloul, qui travaille pour l'agence turque Anadolu, a déclaré à l'AFP que son fils de 13 ans, Ahmed, et son fils de 4 ans, Qais, avaient été tués dans le bombardement, ainsi que son frère. ( AFP / Mahmud HAMS)

Le ministère de la Santé du Hamas a publié le 26 octobre une liste nominative de près de 7.000 Palestiniens tués jusqu'alors dans la guerre, entendant ainsi prouver sa crédibilité, expliquant avoir décidé de publier la liste précise, avec le sexe, l'âge et le numéro d'identité des personnes tuées, pour "révéler les détails et les noms au monde entier afin que soit connue la vérité".

Le 27 octobre, le patron de l'Agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), Philippe Lazzarini, a souligné que les bilans des morts publiés par le ministère de Santé du Hamas dans la bande de Gaza n'avaient "jamais été contestés" lors des conflits précédents. Ces bilans sont d'ailleurs repris par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) dans ses rapports sur la situation dans les Territoires palestiniens.

Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas le 7 octobre, l'AFP a vérifié plusieurs rumeurs et fausses informations utilisant des images décontextualisées pour prétendre que des mises en scène de faux cadavres avaient lieu à Gaza : ici, ici, , ou encore là (archives : 1, 2, 3, 4).

De nombreuses autres fausses informations en lien avec le conflit ont été vérifiées par l'AFP, à retrouver sur le site AFP Factuel.

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