Des annonces pour récupérer des "bagages perdus" à petit prix ? Attention à ces arnaques

Les signalements de bagages oubliés ralentissent régulièrement les transports en commun français. Depuis la mi-octobre, ils ont "quasiment doublé" dans les gares et aéroports, a déclaré le ministre des Transports le 31 octobre. Surfant sur cette problématique très médiatisée, des messages très partagés sur Facebook affirment que l'aéroport Paris-Charles de Gaulle, en association avec la compagnie Air France, auraient mis en place des "offres" pour récupérer certains de ces bagages, qui contiendraient des "objets divers et d'appareils électroniques presque neufs". Le tout, pour un tarif réduit ("1 euro 95") afin d'attirer des "clients" dans un contexte d'inflation élevée. Mais attention : il s'agit d'arnaques, qui visent à récupérer des données bancaires et personnelles, comme le montrent plusieurs indices sur les publications, et comme l'ont déploré Air France et Aéroports de Paris auprès de l'AFP, appelant les internautes à la vigilance.

Depuis plusieurs semaines, des dizaines d'annonces prétendant que l'aéroport Paris-Charles de Gaulle, communément appelé Roissy, "se décharge de son stock" pour "vendre" des "bagages perdus" au prix de 1,95 euro, circulent sur Facebook. Certains messages précisent même que la "livraison" desdits bagages serait "gratuite dans tout le pays".

Très partagées, ces publications émanent de comptes présentés comme ceux de l'aéroport lui-même (1, 2, 3, 4) ou comme des comptes spécialisés dans la récupération des "bagages perdus" (1, 2, 3, 4) .

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Capture d'écran d'une annonce trompeuse prise sur Facebook, le 31/10/2023
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Capture d'écran d'une annonce trompeuse prise sur Facebook, le 31/10/2023

 

 

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Capture d'écran d'une annonce trompeuse prise sur Facebook, le 31/10/2023
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Capture d'écran d'une annonce trompeuse prise sur Facebook, le 31/10/2023

 

 

Toutes redirigent vers des sites bardés du logo d'Air France, qui, après réponses à un questionnaire et participation à un "jeu", finissent par demander de remplir ses informations personnelles et bancaires.

Des publications semblables redirigeant vers un site se présentant comme celui de l'aéroport de Rome ont aussi circulé, sur le même principe.

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Capture d'écran d'un site trompeur, prise le 31/10/2023

Attention : il s'agit d'arnaques visant à soutirer de l'argent et des informations personnelles. Elles n'ont pas été mises en place par Air France ni par l'aéroport, comme ils l'ont confirmé à l'AFP.

Des sites frauduleux reprenant le logo d'Air France

Si une partie des publications émane de comptes se présentant comme ceux d'un aéroport parisien, plusieurs indices mettent en doute leur authenticité.

D'abord, nous avons pu retrouver certaines des images utilisées dans les messages, datant d'il y a plusieurs années, et qui ont été modifiées pour y ajouter des mentions des prétendues offres.

Une recherche d'image inversée à partir de l'une des images, sur laquelle a été accolé un bandeau indiquant "Air France libère ses entrepôts. l'entreprise liquide ses bagages perdus pour presque rien !", mène par exemple à plusieurs articles de fin décembre 2022, relatant la reprise des activités de la compagnie aérienne américaine Southwest Airlines après une tempête et des problèmes techniques qui avaient bloqué des milliers de vols.

La photo est créditée d'un photographe de l'agence de presse américaine Associated Press (AP).

On peut en effet la retrouver dans la banque de photos de l'agence (lien archivé ici), où sa légende indique : "Une femme marche entre les bagages non réclamés dans la zone des bagages de Southwest Airlines à l'aéroport international de Salt Lake City, le jeudi 29 décembre 2022, à Salt Lake City. Avec des horaires de vols à peu près normaux, Southwest Airlines tente de récupérer ses clients et de réparer les dommages causés à sa réputation après l'annulation de 15.000 vols à l'approche de Noël. Les perturbations ont commencé avec une tempête hivernale et se sont amplifiées lorsque l'ancienne technologie des équipages de Southwest Airlines est tombée en panne. (AP Photo/Rick Bowmer)".

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Capture d'écran d'une annonce trompeuse prise sur Facebook, le 31/10/2023
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Capture d'écran de la photo et de sa légende dans la banque de photos de l'agence AP, prise le 31/10/2023

 

 

L'AFP avait aussi écrit au sujet de cet événement, dans une dépêche reprise ici par le quotidien canadien La Presse (lien archivé ici), qui utilise comme illustration la même photo d'AP.

Nous avons aussi pu retrouver des occurrences antérieures d'autres photos utilisées, sur lesquelles ne figuraient pas les panneaux prétendant que les valises seraient revendues au prix d'1,95 euro, ce qui laisse à penser que les images ont été manipulées.

Par exemple, ci-dessous, on peut retrouver la photo utilisée en 2019 dans un article (archivé ici) du média russe en ligne Lenta, sans les affichettes jaunes qui apparait sur les publications diffusées en 2023.

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Capture d'écran d'une annonce trompeuse prise sur Facebook, le 31/10/2023
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Capture d'écran d'une photo utilisée dans un article du média Lenta, prise le 31/10/2023

 

 

Ensuite, en se rendant sur les profils de ces comptes (comme celui-ci par exemple), on remarque qu'ils semblent tous avoir été créés en octobre 2023, et qu'ils n'ont par ailleurs que quelques dizaines d'abonnés, un détail incohérent puisque Roissy est l'un des aéroports les plus fréquentés du monde.

En outre, les visuels utilisés en guise de photos de profil ne correspondent pas au logo officiel du groupe ADP, l'entreprise qui les aéroports parisiens.

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Capture d'écran d'un profil trompeur, prise sur Facebook, le 31/10/2023
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Capture d'écran de la page Facebook de l'aéroport Charles de Gaulle, prise le 31/10/2023

 

 

Autres éléments douteux : tous les commentaires semblent extrêmement enthousiastes, certains postant des photos de leurs valises prétendument reçues à l'appui. Les réponses de "l'aéroport" sont quant à elles parfois presque familières, se terminant par exemple par un émoji "coeur", une tonalité inattendue.

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Capture d'écran d'un commentaire sous une publication trompeuse, prise sur Facebook, le 31/10/2023

De plus, si le logo de la compagnie aérienne Air France figure bien en haut des sites vers lesquels est redirigé l'internaute, d'autres éléments permettent de mettre en doute leur authenticité.

Les URL (adresse des sites) n'ont rien à voir avec le site officiel de la compagnie aérienne "wws.airfrance.fr" (archivé ici), et se terminent par ".info" au lieu de ".fr".

En entrant le début de ces adresses URL sur Google, nous avons pu retrouver un blog dédié aux voyages, et un autre aux "choses qui rendent la vie plus intéressante", qui n'ont donc rien à voir avec le site officiel d'Air France.

Tout laisse à penser que l'apparence de ces blogs a été manipulée pour y faire apparaître le contenu des arnaques.

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Capture d'écran du site véhiculant une arnaque, prise le 31/10/2023
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Capture d'écran du site véhiculant une arnaque, prise le 31/10/2023

 

 

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Capture d'écran du site d'Air France, prise le 31/10/2023

Après avoir cliqué sur le lien, on est invité à répondre à plusieurs questions (comme par exemple : "Quelle catégorie d'articles souhaitez-vous recevoir ?"), puis à jouer à un petit "jeu" en cliquant sur des cadeaux - que l'on finit invariablement par gagner, après un ou deux échecs.

Mais le message confirmant la prise en compte des réponses n'est pas rédigé avec une grammaire ni une syntaxe correctes, et le début du message reçu pour signaler que la première tentative du jeu est infructueuse est écrit en espagnol.

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Capture d'écran du site de l'arnaque, prise le 31/10/2023
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Capture d'écran du site de l'arnaque, prise le 31/10/2023

 

 

Par ailleurs, il est impossible de cliquer sur certains éléments de la page (comme le menu déroulant en haut à droite), et encore une fois, on retrouve uniquement des commentaires très positifs faisant part de prétendues expériences.

Enfin, une fois le jeu complété, une page s'ouvre pour que l'internaute "remplisse ses informations", comprenant des coordonnées postales, téléphoniques, et demandant de "confirmer avec une carte de crédit".

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Capture d'écran du site de l'arnaque, prise le 31/10/2023

Air France et le groupe ADP déplorent des arnaques

Ces publications n'ont pas été émises par l'aéroport ni par Air France, comme l'ont confirmé les deux entreprises à l'AFP.

"Ce sont des arnaques qui n'ont pas du tout été émises par Air France, et qui usurpent notre identité", a déploré un porte-parole de l'entreprise le 31 octobre auprès de l'AFP, précisant que "les bagages abandonnés sont gérés par l'aéroport et non par la compagnie" et qu'"on ne vend en aucun cas les bagages non restitués".

Ces annonces "sont des arnaques", dont certaines ont d'ores et déjà "été signalées à Meta", la maison-mère de Facebook, afin de supprimer les posts et d'y "répondre" avec du contexte, a confirmé une porte-parole d'ADP auprès de l'AFP le 31 octobre.

Les bagages non restitués "constituent un nombre infimes de cas. La plupart des bagages suivent le passager. Dans certains cas particuliers, par exemple si une correspondance est manquée ou un vol retardé, le bagage peut arriver sur le vol d'après. Dans de rares cas aussi, une étiquette peut être arrachée", précise le porte-parole d'Air France à l'AFP.

Si un bagage n'est pas récupéré "au bout de 21 jours, il est considéré perdu selon les normes internationales", ajoute-t-il, notant qu'Air France "continue les recherches pendant 90 jours".

"Au bout de ces 90 jours, le bagage est soumis à une destruction par la sécurité. Rien n'est vendu, et sûrement pas à 1 euro 95 sur Facebook", conclut Air France auprès de l'AFP.

Ces arnaques sont "signalées à la plateforme" ainsi que surveillées par "notre service juridique quand la marque Air France est utilisée" indûment, abonde le porte-parole de la compagnie aérienne, appelant aussi les internautes "à la vigilance, pour protéger nos clients contre ces arnaques".

L'AFP enquête régulièrement sur des arnaques circulant sur les réseaux sociaux, comme ici à propos de prétendues photos de chiens abandonnés, ici au sujet de fausses cartes dans les transports en public français ou encore pour obtenir des réductions sur les carburants, à propos de "colis Amazon abandonnés" à récupérer, au sujet de faux accidents de la route, ou là à propos d'un appel au don du sang pour un supposé bébé atteint d'une "leucémie fulgurante".

L'idée et le procédé sont toujours similaires : attirer les internautes aves des contenus attrayants pour les pousser à fournir d'une façon ou d'une autre leurs données personnelles et bancaires, sur le modèle du "phishing".

Parfois, les publications d'origine sont modifiées a posteriori -une fois engrangés nombreux partages et "likes"- pour y ajouter des liens qui incitent à donner de l'argent et/ou fournir des données personnelles.

Des annonces publicitaires trompeuses

Certaines de ces publications sur les bagages abandonnés sont par ailleurs proposées en tant que contenus publicitaires sur Facebook, comme le notait aussi BFMTV dans un article mettant en garde contre ces arnaques (archivé ici).

On peut retrouver au 31 octobre quelques dizaines de ces messages considérés comme publicités encore actives sur la bibliothèque des annonces de Meta, qui liste les contenus publicitaires sur la plateforme, en cherchant des mots clés comme "Paris Charles de Gaulle". D'autres ont été désactivées.

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Capture d'écran d'une recherche réalisée sur la bibliothèque recensant les annonces publicitaires de Meta, le 31/10/2023

Comme déjà relaté dans cette enquête de l'AFP de février 2023 (archivée ici), les réseaux sociaux sociaux sont un terrain fertile pour des arnaques diverses, depuis les fausses publicités de crypto-monnaie jusqu'aux escroqueries "romantiques", en passant par la vente de faux produits ou encore des canulars visant à récupérer les données personnelles.

Dans de nombreux cas, les fraudeurs se font passer pour des représentants de sociétés.

Les réseaux sociaux constituent "un vaste réseau pour les escrocs. La plupart des réseaux sociaux n'examinent pas minutieusement les publicités placées sur leurs sites. Cependant, de nombreux utilisateurs ne le savent pas et accordent toute leur confiance à ces publicités", avait déploré Amy Nofziger (lien archivé), directrice de la branche dédiée au soutien des victimes de fraude de l'ONG américaine AARP auprès de l'AFP en février 2023.

Aux Etats-Unis en particulier, des critiques ont émergé quant à la capacité des plateformes numériques à contrôler la diffusion des publicités frauduleuses, alors qu'elles leur constituent aussi pour elles une source de revenus.

Patricia Schouker (lien archivé ici), chercheuse à l'institut de recherches Payne Institute, basé au Colorado, expliquait par exemple à l'AFP dans le même article que les algorithmes, qui ciblent les contenus en fonction des préférences des internautes, ont ainsi permis à certaines des publicités frauduleuses de viser directement des personnes plus susceptibles de partager ce type de contenus.

Un porte-parole de Meta avait en février 2023 indiqué que l'entreprise "prend au sérieux les menaces d'escroquerie". Il avait aussi souligné que des mesures avaient déjà été prises, notamment en désactivant régulièrement des comptes responsables de "fraudes publicitaires" identifiées et signalées, notamment par des médias de fact-checking.

"Les diffuseurs de ce genre de publicités sont persistants, bien financés et évoluent constamment", avait déploré le porte-parole de Meta.

Le plan Vigipirate et les transports

Le 31 octobre, Clément Beaune a déclaré qu'au total, 100 alertes à la bombe ont visé des aéroports français depuis le 18 octobre, précisant qu'elles ne venaient pas toutes de la même adresse mail.

Outre les alertes à la bombe, "on a quasiment un doublement des signalements des bagages abandonnés dans les gares et les aéroports", a ajouté le ministre.

Le gouvernement avait activé le 13 octobre le niveau "urgence attentat" du dispositif Vigipirate, le plus élevé, à la suite du meurtre de Dominique Bernard, professeur de français dans un lycée d'Arras, poignardé par un ancien élève, fiché pour radicalisation islamiste.

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