"Voilà ce que nous laissons subir à nos enfants" : attention à ce visuel trompeur sur le port du masque
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- Publié le 10 février 2021 à 12:10
- Lecture : 7 min
- Par : AFP France
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Publié par le "collectif citoyen" RSA, ce visuel, partagé sur des dizaines de pages Facebook, liste une série d'effets secondaires qui seraient provoqués par le port du masque chez les enfants : 53,3% seraient sujets à des "maux de tête", 49,5% ressentiraient "moins de bonheur", 38% souffriraient de "troubles de l'apprentissage" et 26,4% de "vertiges".
Selon le visuel, ces statistiques proviennent d'"études" ("studies") menées en Allemagne auprès de 25.930 enfants.
Sans citer de source, la publication affirme également que "le masque réduit l'apport en oxygène et augmente le CO2".
Que dit "l'étude" allemande?
Présentés comme une "étude" sur le post Facebook, ces travaux universitaires sont en réalité au stade de la "pré-publication" : ils n'ont pas fait pas l'objet d'un examen par des pairs – étape essentielle de validation dans le monde scientifique – et ne sauraient dès lors être "considérés comme conclusifs", comme l'indique un avertissement en haut de la première page.
C'est en se fondant sur les réponses à un questionnaire qu'ils ont établi et mis en ligne pendant six jours que cinq chercheurs de l'université Witten/Herdecke ont listé une série de 24 troubles relevés – sur la foi de simples déclarations – par des parents sur leurs enfants.
Les résultats recueillis auprès de 17.854 parents sont retranscrits fidèlement par le post Facebook.
Pour autant, le post Facebook ne fait aucune mention des biais relevés par les chercheurs eux-mêmes, qui observent notamment que le questionnaire a été notamment relayé dans des forums "qui critiquent par principe les mesures de protection anti-corona prises par le gouvernement", au risque d'influer sur les réponses.
"Il est très important pour nous que nos résultats ne conduisent pas les parents à développer une opinion fondamentalement négative sur le port du masque chez les enfants", soulignent les chercheurs, qui admettent que les enfants souffrant du port du masque demeurent un phénomène "relativement limité et non-représentatif".
Autant de réserves non reprises dans le visuel viral sur Facebook.
Que sait-on de l'impact sanitaire du masque chez les enfants?
C'est le 29 octobre, au lendemain de l'annonce du deuxième confinement, que le gouvernement a décidé de rendre obligatoire le port du masque en primaire dès l'âge de 6 ans, contre 11 ans auparavant. Face à la diffusion de variants plus contagieux, le protocole a encore été durci lundi 8 février et seuls les masques de catégorie 1 peuvent être désormais portés à l'intérieur des établissements scolaires.
Fraîchement accueillie à l'époque par les syndicats enseignants, le port obligatoire du masque à l'école n'a pas été appliqué assez longtemps en évaluer l'éventuel impact sanitaire, a affirmé le 8 février à l'AFP le Pr Romain Basmaci, urgentiste en pédiatrie à l'Hôpital Louis-Mourier de Colombes (Hauts-de-Seine) et secrétaire général de la Société française de pédiatrie (SFP).
"Les données ne sont pas assez solides pour pouvoir trancher", précise-t-il, tout en assurant ne pas avoir eu, à ce stade, de remontées d'informations significatives sur des effets sanitaires liés au port du masque.
"Autant on a vu (pendant les confinements, ndlr) une augmentation des signalements, des maltraitances, des troubles psychiatriques etc., autant on n'a pas vu augmenter des consultations pour des problèmes liés au masque", ajoute-il, indiquant toutefois que "ça ne veut pas dire que ça existe ou que ça n'existe pas".
Selon une foire aux questions actualisée le 18 août 2020, l'équivalent américain de la SFP, l'American Academy of Pediatrics, se montre plus affirmatif : le port du masque n'altérerait pas la capacité des enfants "à se concentrer ou à apprendre à l'école" et n'affecterait pas leur développement pulmonaire ou leur système immunitaire.
Le port du masque réduit-il l'apport en oxygène ?
Pour justifier leur rejet du masque chez les enfants, le collectif RSA affirme sans réserves que "le masque réduit l'apport en oxygène et augmente le CO2".
Cette théorie très répandue, selon laquelle le port du masque diminuerait la quantité d’oxygène dont nous avons besoin pour vivre, voire provoquerait de l’hypoxie, c’est-à-dire un "manque d’oxygène au niveau des organes et des tissus", selon la définition de ce "manuel du secouriste ambulancier" disponible sur le site du Service Public fédéral belge, a déjà été fact-checkée par l’AFP.
Dans sa rubrique "En finir avec les idées reçues", l’Organisation Mondiale de la Santé explique que le masque n’est pas dangereux pour la santé, s’il est porté correctement :
"L’utilisation prolongée de masques médicaux peut être inconfortable, mais elle n’entraîne ni intoxication au CO2 ni manque d’oxygène."
Interrogé par l’AFP en mai 2020 pour l’article mentionné ci-dessus, Claudio Méndez, professeur de santé publique à l'université australe du Chili, excluait que l'utilisation d'un masque puisse générer une hypoxie, tant que le matériau permet à l'air de passer. "Jusqu'à présent, les masques N95 (équivalents des FFP2, ndlr) - ou les masques en tissu - ont été testés pour ne pas altérer les fonctions physiologiques des personnes", avait-il expliqué.
Les masques FFP2 utilisés par les professionnels de santé "ne sont généralement pas portés plus de sept heures". "C'est encore moins pour les masques chirurgicaux. Aucun de ces deux cas n'est susceptible de générer une hypoxie", avait insisté le Pr Méndez.
Yves Coppieters, médecin épidémiologiste et professeur de santé publique à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), expliquait également à l’AFP en juillet qu’un masque ne pose aucun problème de manque d’oxygène pour les personnes en bonne santé : "Le masque n’est pas un circuit clos, il laisse passer l’oxygène", avait-il insisté. "Il peut éventuellement gêner la respiration d’une personne avec des problèmes cardiaques ou respiratoire ou en cas de grand effort. Il peut aussi y avoir une sensation d’inconfort qui provoque une impression d’étouffer, mais c’est psychologique."
Le masque n’entraîne pas d’intoxication du sang due au CO2
Le port du masque, qui n’entraîne pas de manque d’oxygène, n’empêche pas non plus d’évacuer le dioxyde de carbone, contrairement à ce qu’affirme cette publication, selon laquelle le masque "acidifie" le sang "à cause du CO2 réinjecté".
"L’intoxication au CO2 acidifie effectivement le sang, mais le port du masque n’engendre absolument pas cette complication", expliquait en septembre à l'AFP Jean-Luc Gala, chef de clinique à la clinique universitaire Saint-Luc à Bruxelles et spécialiste des maladies infectieuses.
"Le CO2 est un gaz très volatil qui passe très facilement à travers le masque", avait confirmé à l'AFP Nathan Clumeck, membre de l'Académie royale de médecine de Belgique et spécialiste des maladies infectieuses.
Une petite accumulation de CO2 ne provoquerait d’ailleurs pas de problèmes de santé, d’après le professeur Vinita Dubey, médecin hygiéniste à l'agence de santé publique de Toronto au Canada, interrogée en juin dans un autre article de l’AFP.
"En général, un masque en tissu ne serre pas complètement le visage. L'air peut encore circuler autour du masque et à travers ses trous. L'utilisation prolongée du masque de protection, y compris le N95 - équivalent du FFP2 en France, ndlr-, n'a pas été reliée à des cas d'empoisonnement au dioxyde de carbone chez les personnes en bonne santé. Si du CO2 s'accumule dans le masque, c'est dans de petites quantités tolérables", expliquait-elle.
Pour Yves Coppieters, "il faut être conscient que ce genre de masque est porté par des spécialistes de santé toute la journée et qu’il n’ont pas d’infections secondaires ni de problèmes de santé".