Vaccination anti-Covid: non, le Royaume-Uni ne connaît pas une forte hausse des contaminations et de la mortalité
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- Publié le 08 avril 2021 à 14:05
- Lecture : 13 min
- Par : Françoise KADRI, AFP France
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La publication relayée au moins 300 fois sur Facebook depuis le 3 avril selon l'outil de mesure Crowdtangle, et par le site Riposte Laïque qui revendique plus de 9.500 vues, assure fournir "les résultats réels de la vaccination anti-Covid-19 au 29 mars" qui démontreraient "le contraire" des informations données par "les médias" sur le fait que "les résultats des vaccinations sont excellents" et "auraient fait disparaître l'épidémie en Grande-Bretagne" et en Ecosse.
Le texte est signé par le docteur Gérard Delépine qui, avec son épouse Nicole - dont des affirmations erronées ont été récemment démystifiées par l'AFP Factuel - fait l'objet d'une plainte du conseil de l'ordre des médecins depuis décembre dernier, comme l'écrivait ici l'AFP. Le couple s'est fait connaître en France en s'opposant aux mesures de confinement, au port du masque, et pour avoir défendu l'utilisation de l'hydroxychloroquine, un anti-paludéen, que l'OMS (Organisation mondiale de la santé) a déconseillé début mars d'utiliser comme traitement préventif contre le Covid-19.
Une hausse des infections et de la mortalité au Royaume-Uni depuis le lancement de la vaccination ? FAUX
Dans son argumentaire, le docteur Delépine, un chirurgien orthopédique à la retraite, affirme qu'"après la vaccination, les contaminations et la mortalité ont fortement augmenté" en Grande-Bretagne.
S'il est vrai que le Royaume Uni est le pays le plus endeuillé d'Europe depuis le début de l'épidémie de Covid-19 avec près de 127.000 décès au 7 avril 2021, le rythme à la fois des contaminations et des décès s'est fortement réduit ces dernières semaines et les autorités en ont amplement attribué le mérite à la campagne de vaccination qui a démarré le 9 décembre 2020.
Le Premier ministre Boris Johnson a souligné le 7 avril, lors d'une conférence de presse, l'impact de la vaccination massive au Royaume-Uni où 47% de la population a déjà reçu une première dose. "Il est clair que la baisse du nombre de morts (et) du nombre d'hospitalisations est alimentée, soutenue, et la rapidité de cette baisse est aidée par le développement de la vaccination", a-t-il déclaré, selon le bureau de l'AFP à Londres.
Le rythme s'est réduit de moitié pour le nombre de décès sur une semaine avec 212 morts enregistrés sur les 7 derniers jours au 7 avril contre près du double une semaine plus tôt et 40 fois plus de décès au moment du pic de l'épidémie (8.739 morts sur la semaine du 17 au 23 janvier).
La baisse a été tout aussi spectaculaire pour les contaminations avec un recul à 22.793 nouveaux cas de Covid-19 sur la semaine écoulée, en baisse de 34% par rapport à la semaine précédente mais surtout un rythme 20 fois inférieur à celui de la période du dernier pic (417.620 nouveaux cas dans la semaine du 3 au 9 janvier).
Chris Witty, médecin chef pour l'Angleterre, qui s'est exprimé devant les médias le 5 avril, a confirmé que "les vaccins sont très hautement efficaces", en fournissant des éléments chiffrés, selon les journalistes de l'AFP basés à Londres.
Sur la base des "quatre nations du Royaume-Uni" dont l'Ecosse, Chris Witty a fait état, grâce à l'injection d'une première dose, d'une "réduction significative du nombre de personnes atteintes d'une maladie (Covid-19) symptomatique, estimée à environ 60%" et "pour les personnes hospitalisées pour des formes plus sévères, (on a) une réduction d'environ 80%".
L'autorité de santé publique anglaise Public Health England a en outre estimé dans une analyse publiée fin mars que "le programme de vaccination (entamé le 9 décembre) avait évité 6.100 décès dans la catégorie des 70 ans et plus, jusqu'à la fin février".
En ce qui concerne l'Ecosse, la Première ministre Nicola Sturgeon a déclaré le 30 mars que le pays est descendu "à une moyenne de 579 nouveaux cas quotidiens, soit les trois quarts de moins (75%) que début janvier" et que pour les décès, "la baisse est encore plus forte", à 80%, "ce qui est vraisemblablement dû à l'effet du programme de vaccination". Elle a souligné aussi que les études menées en Ecosse sur les données réelles "montrent que la vaccination, outre le fait qu'elle réduit les contaminations et les morts, peut aussi significativement abaisser la transmission du virus".
Trois fois moins de mortalité en Grande-Bretagne qu'en Suède
Dans son article, le docteur Delépine affirme par ailleurs que "la comparaison avec la Suède non confinée et très peu vaccinée est éloquente", en dénombrant entre le démarrage de la vaccination britannique début décembre et le 29 mars 2021, un total de "919 morts par million d’habitants pour la Grande-Bretagne et de 537 morts par million d’habitants en Suède".
L'ordre de grandeur est juste, mais pour mesurer l'effet de la vaccination tout dépend d'où on fait partir les courbes car, comme l'expliquait le 29 mars par mail à l'AFP le docteur Michel Cogné, immunologue de l'université de Limoges, "le vaccin met plusieurs semaines à agir !" et "n'immunise pas à la sortie du centre de vaccination".
En outre, selon les observateurs, il n'est pas très pertinent de comparer la propagation du virus dans une Grande-Bretagne densément peuplée et très urbanisée, à la Suède où l'habitat est plus espacé et qui peut compter sur une grande discipline de sa population.
Par rapport à ses voisins immédiats, le bilan de la gestion de l'épidémie en Suède est mitigé: on arrive, selon des chiffres recensés par le service infographie de l'AFP, à une moyenne de 605 morts pour 1 million d'habitants entre le 9 décembre, début de la vaccination au Royaume-Uni, et le 29 mars, contre trois fois moins au Danemark (261) et à peu près dix fois moins en Finlande (70 morts pour 1 million) et Norvège (55 morts), sur la même période. Des pays qui ont tous imposé des mesures plus strictes que la Suède.
Stockholm a basé sa stratégie sur la responsabilité individuelle et des recommandations plutôt que sur des mesures coercitives, dont voici le résumé sur le site de l'agence de santé suédoise. Pour l'essentiel: elle préconise de limiter les interactions sociales à un cercle restreint et de respecter les gestes barrières.
Néanmoins, si la Suède n'a jamais été confinée, le pays a progressivement adopté des mesures sanitaires de plus en plus restrictives (télétravail et enseignement à distance massifs, limitation des rassemblements, bars et restaurants fermés le soir etc...) qui viennent d'être prolongées fin mars en raison de l'apparition d'une troisième vague.
Le taux d'incidence de la Suède est désormais dans le top 10 européen: le 6 avril, on avait 382 nouveaux cas de Covid-19 sur les sept derniers jours pour 100.000 habitants (en hausse de 1% d'une semaine à l'autre) alors qu'en Grande-Bretagne, le taux d'incidence était en recul de 34% avec seulement 34 nouveaux cas pour 100.000 habitants.
Si l'on prend la dernière semaine écoulée, le taux de mortalité était trois fois plus élevé en Suède au 6 avril qu'en Grande-Bretagne avec 1,02 morts pour 100.000 habitants contre 0,31 mort pour 100.000 habitants.
Depuis la mi-mars, les entrées en soins intensifs en Suède sont reparties à la hausse: on dénombrait 357 personnes dans ces services le 6 avril, soit le chiffre le plus élevé depuis la mi-janvier, selon le dernier bilan des autorités sanitaires. Selon le Conseil national de la santé et du bien-être (Socialstyrelsen) joint par le bureau de l'AFP à Stockholm, 81% des lits de soins intensifs étaient occupés au 5 avril en Suède.
La campagne de vaccination suédoise a par ailleurs pris du retard à cause de retards de livraison, ce qui a obligé le gouvernement à repousser d'au moins deux mois son objectif qui était initialement de vacciner tous les adultes volontaires d'ici fin juin, comme l'indiquait cet article de l'AFP du 1er avril.
Tous les "champions de la vaccination" connaissent une hausse des contaminations et de la mortalité: FAUX
En publiant des courbes pour les Emirats Arabes Unis et pour Israël, le docteur Delépine assure qu'on "assiste à une augmentation forte" à la fois des infections et du nombre de morts dans "tous les pays champions de la vaccination".
L'AFP Factuel a récemment démontré dans cet article que c'est exactement le contraire qui s'est produit et que les campagnes de vaccination sont considérées comme un succès.
A l’inverse de ce qu'affirme le docteur Delépine, le taux d'incidence a continué de fortement baisser en Israël avec 29 cas pour 100.000 habitants sur les sept derniers jours au 6 avril, un niveau proche de celui de la Grande-Bretagne (34), et aux Emirats avec 149 cas pour 100.000 habitants, soit trois fois moins qu'en Suède sur la même période.
Le 23 mars, Farida Al Hosani, porte-parole du système de santé des Emirats arabes unis a indiqué aux médias, ici, que "la surveillance continue des campagnes de vaccination a montré que les vaccins sont efficaces pour prévenir les formes graves de la maladie et pour réduire les taux d'hospitalisation et de décès".
Au 5 avril, les Emirats, considérés comme l'un des pays les plus avancés au monde en termes de vaccination, avaient administré l'équivalent de 87,6 doses pour 100 habitants, ce qui veut dire qu'entre 44% et 88% de la population avait reçu au moins une dose.
En Israël, le champion mondial où 61% de la population a reçu au moins une dose et où 80% des plus de 50 ans sont protégés, les autorités sanitaires ont exprimé la même conviction concernant le caractère déterminant de la vaccination massive pour contrôler l'épidémie.
"L'administration d'une vaccination efficace à la majorité de la population âgée de 16 ans et plus, en quelques semaines, est un élément clé dans la diminution de la létalité et du nombre de morts à laquelle nous assistons actuellement", a indiqué à l’AFP Jérusalem, Anat Danieli Lev, porte-parole du ministère de la Santé, dans un mail reçu par l'AFP le 29 mars.
Dans les deux pays, le taux d'incidence de l'épidémie a fortement diminué au premier trimestre qui a correspondu à la montée en charge de leurs campagnes de vaccination.
Israël est passé de 650 cas nouveaux de Covid-19 pour 100.000 habitants par semaine en janvier, à environ 25 actuellement. Les Emirats ont divisé leur taux presque de moitié (de 260 à 150), selon les chiffres compilés par le service infographie de l'AFP.
Anticorps facilitateurs et évasion immunitaire: PARTIELLEMENT FAUX
Dans son texte, le docteur Delépine s'appuie sur un document de l'Académie de médecine datant du 11 janvier pour juger "les évolutions post-vaccinales inquiétantes" aux Emirats et en Israël. Selon lui, "elles suggèrent que le trop faible taux d'anticorps après la première injection de vaccin aurait favorisé un phénomène d'anticorps facilitants aggravant la mortalité".
Le document de l'Académie de médecine qu'il cite portait sur tout autre chose, en l'occurrence sur l'espacement possible entre deux doses des vaccins à ARN messager des laboratoires Pfizer et Moderna, qui avait fait débat au sein de la communauté médicale, comme l'expliquait ici l'AFP.
Quant aux anticorps facilitants susceptibles d'aggraver l'infection chez les personnes vulnérables, "on n'en a pas vu jusqu'à présent" pour l'épidémie de Covid-19, a indiqué à l'AFP Olivier Schwartz, directeur de l'unité virus et immunité à l'Institut Pasteur, interrogé le 7 avril.
Selon le professeur Schwartz, "il y a beaucoup de recherches en cours parce que ce phénomène a été décrit pour l'un des quatre virus de la dengue" (maladie tropicale transmise par un type de moustiques) mais "actuellement cela n'a pas été démontré" pour le virus Sars-CoV-2 qui cause le Covid-19, c'est donc "une hypothèse non fondée scientifiquement" à ce stade.
L'autre risque que le docteur Delépine associe aux campagnes de vaccination massive, c'est la possibilité d'une "évasion immunitaire", appelée aussi parfois "échappée immunitaire", qui correspond à l'émergence potentielle de variants plus virulents et dangereux du virus qui muterait pour s'adapter aux vaccins et échapper aux anticorps.
Ce processus "est théoriquement possible mais l'intérêt de la vaccination c'est qu'à un moment, ça va diminuer fortement la circulation virale, les variants eux-mêmes pourront moins bien se sélectionner et se propager", a expliqué M. Schwartz de l'Institut Pasteur.
Plusieurs spécialistes interrogés par l'AFP Factuel dans un article du 25 mars ici avaient confirmé l'existence d'un tel risque mais avaient appelé à mener des campagnes de vaccination massives et rapides pour l'éviter.
Un arrêt total des campagnes n'empêcherait pas l'apparition de nouveaux variants, dont la plupart sont apparus avant le début de la vaccination. Au contraire, laisser le virus circuler librement favoriserait les mutations du virus et donc le risque d'apparition de variants plus infectieux (plus facilement transmissibles) ou plus dangereux.
Peu de probabilité de "mutations significatives"
"A la différence d'autres virus à ARN, les coronavirus ont un système de correction des erreurs de copie", avait alors expliqué à l’AFP Michel Moutschen, chef du service infectiologie et professeur en immunopathologie à l'Université de Liège, "ce qui rend la probabilité de mutations significatives bien plus faibles que pour le VIH (virus du sida) par exemple".
Par ailleurs, a-t-il ajouté, "il faut bien comprendre que la partie de la protéine spike qui subit ces mutations "d'échappement" est précisément celle que le virus utilise pour infecter nos cellules" : le nombre de mutations permettant l'évasion immunitaire, sans compromettre la virulence du virus, est donc limité.
Le virus "ne peut pas se permettre toutes les fantaisies. C'est comme pour un véhicule : vous pouvez changer à l'infini la couleur des roues, mais vous ne verrez jamais un véhicule avec des roues carrées", avait relevé l'infectiologue belge le 22 mars 2021.
Il avait préconisé par conséquent une accélération et un élargissement des campagnes de vaccination.
"Si vous mettez tous les jours une toute petite quantité d'insecticide sur une fourmilière, vous allez tuer quelques pourcentages des fourmis et ensuite, certaines fourmis vont devenir très résistantes à l'insecticide. Alors que si vous mettez une grosse quantité d'un coup les mutants ne pourront jamais survivre", avait-il expliqué à l'AFP.
"C'est un principe darwinien : si le virus se réplique intensément en présence d'une réponse immunitaire peu efficace, la sélection de mutants résistants se produira", a-t-il ajouté, indiquant que "de nombreux articles" montrent qu'en moyenne, l'immunité conférée par les vaccins est supérieure à celle qui apparaît après une infection naturelle. "Les vaccins sont donc précisément un moyen efficace de réduire cette opportunité pour le virus de développer ses mutations".
C’est ce qu'explique l’OMS sur son site : "Si nous ne maintenons pas des taux suffisants de vaccination, autrement dit 'l’immunité collective', les maladies évitées par la vaccination reviendront" et "en l'absence de vaccination, des maladies devenues rares, comme la coqueluche, la poliomyélite et la rougeole réapparaîtront rapidement".
"Historiquement, peu de virus ont réussi à développer une résistance aux vaccins, à l'exception notable de la grippe saisonnière, qui évolue si rapidement d'elle-même - sans pression vaccinale - qu'elle nécessite un nouveau vaccin chaque année", soulignait un microbiologiste dans un article publié sur le site l'Association américaine pour l'avancement des sciences en janvier 2021.