Non, cet article du Parisien de 2013 n'explique pas que le nouveau coronavirus a été "fabriqué" par des chercheurs chinois
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 13 avril 2020 à 17:30
- Lecture : 4 min
- Par : Rémi BANET
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"Ceci vient d'une source sûre. Les pagolins [sic] ont bon dos sur le sujet, c'est un virus fabriqués [sic] depuis 2013, on se fout de nous", écrit l'auteure de l'une de ces publications.
Pour autant, l'article du Parisien (disponible ici), titré "Un virus inquiétant créé en Chine", n'a aucun rapport avec le nouveau coronavirus, détecté pour la première fois en Chine il y a quelques mois, ni avec les autres virus de la famille des coronavirus, comme le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV).
"Alors que la Chine se débat avec une nouvelle énième épidémie de grippe aviaire, une équipe de chercheurs de l'université agricole du Gansu a donné naissance à un nouveau virus, mélangeant des gènes de H5N1 et de H1N1", indique l'article du Parisien de mai 2013.
L'AFP avait également consacré un long article à la création de ce virus hybride de la grippe aviaire par une équipe de l'Académie des sciences agricoles chinoise et de l'Université agricole du Gansu.
Ces chercheurs étaient parvenus à la conclusion que "le si redoutable virus H5N1 n'aurait donc besoin que d'une simple mutation génétique pour être en mesure de se communiquer d'un mammifère à un autre", indiquait la dépêche AFP du 3 mai 2013.
Des biologistes cités par l'AFP s'étaient alors vivement alarmés de ces travaux. "Si quelqu'un commettait une erreur, ou qu'il y avait une fuite ou quelque chose de ce genre, le virus pourrait contaminer les gens et provoquer entre 100.000 et 100 millions de morts", expliquait le virologue Simon Wain-Hobson, de l'institut Pasteur.
Toutefois, ces travaux chinois n'ont aucun lien avec le nouveau coronavirus ou les autres coronavirus, qui "forment une famille comptant un grand nombre de virus qui peuvent provoquer des maladies très diverses chez l’homme", selon la définition de l'Organisation mondiale de la Santé.
Les deux virus cités dans l'article du Parisien de 2013, le H5N1 et le H1N1, sont des virus de la grippe. Ils appartiennent à une autre famille de virus, génétiquement différents, les myxovirus, comme nous l'expliquions dans ce fact-check.
"Deux virus aussi différents qu'un ver de terre l'est de l'être humain"
Le Parisien est également revenu sur son article de l'époque, réinterrogeant un expert cité en 2013 : "Il n'y a aucun lien entre le virus hybride H5N1-H1N1 et le SARS-CoV-2 (le nom scientifique du nouveau coronavirus, NDLR). Ces deux virus sont de phyla (des embranchements) différents. Ils sont aussi différents qu'un ver de terre l'est de l'être humain", a déclaré au journal le biologiste américain Richard H. Ebright.
Une tribune publiée en février dans la prestigieuse revue scientifique The Lancet et co-signée par une trentaine scientifiques de différents pays condamnait "les théories complotistes qui suggèrent que le Covid-19 n'a pas d'origine naturelle", expliquant que les nombreuses analyses des génomes de ce virus concluent bien à une "origine naturelle".
"We stand together to strongly condemn conspiracy theories suggesting that COVID-19 does not have a natural origin"
NEW: Statement in support of scientists, public health & medical professionals of China combatting#COVID19
— The Lancet (@TheLancet) February 19, 2020
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Le nouveau coronavirus est sans doute né chez la chauve-souris, mais les scientifiques pensent qu'il est passé par une autre espèce avant de se transmettre à l'homme. Des chercheurs chinois ont affirmé que cet animal intermédiaire pourrait être le pangolin, petit mammifère à écailles menacé d'extinction mais sans certitude.
A début juin 2021, il n’y a pas de preuves d'une manipulation ou d’une fabrication qui aient été mises au jour et ces théories restent très improbables, soulignent régulièrement scientifiques et autorités.
L’hypothèse d’un virus naturel (prélevé dans la nature par exemple) mais échappé d’un laboratoire ne peut en revanche théoriquement être exclue à 100%, comme l’ont expliqué notamment les services de renseignements américains plusieurs fois.
Les experts de l'OMS, missionnés du 14 janvier au 9 février 2021 en Chine, où sont apparus les premiers cas de la maladie en décembre 2019 selon Pékin, ont pour autant estimé que l'hypothèse d'une fuite d'un laboratoire était la moins probable mais le patron de l'OMS lui-même, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a ensuite réclamé une nouvelle enquête sur cette hypothèse, rejoint par de nombreux pays occidentaux.
Le 14 mai 2021, des scientifiques ont également appelé à examiner sérieusement la possibilité d'un accident de laboratoire dans une lettre publiée par la revue "Science" tout en estimant que les théories d'une origine animale ou accidentelle en laboratoire "restent toutes les deux viables".
Pour en savoir plus sur les enjeux autour des origines du Covid, les différentes théories et les enjeux politiques, à lire "Les origines du Covid : beaucoup d'hypothèses, peu de certitudes" publié le 31 mai 2021.