Attention à ces publications établissant un lien entre un additif donné à des vaches au Danemark et leur mauvaise santé
- Publié le 9 décembre 2025 à 16:20
- Lecture : 7 min
- Par : Manon JACOB, AFP Etats-Unis
- Traduction et adaptation : Gaëlle GEOFFROY , AFP France
Un additif baptisé Bovaer, ajouté dans la nourriture, des vaches permet de réduire leurs émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre qui participe au réchauffement climatique. L'accusant depuis plusieurs mois d'être toxique pour l'Homme, de nombreux internautes assurent aussi désormais qu'il "tue les vaches" au Danemark où, affirment-ils, son usage serait "obligatoire". Mais si des éleveurs danois ont bien fait état de problèmes de santé de certaines vaches laitières après son ingestion, aucun lien de causalité n'est à ce jour établi, et l'enquête des autorités sanitaires danoises se poursuit. En outre, les éleveurs n'ont pas d'obligation légale d'utiliser cet additif.
Des initiatives publiques et privées étudient des moyens de limiter les émissions de méthane des bovins, qui contribuent au réchauffement climatique mondial (lien archivé ici). Parmi elles, celle du conglomérat néerlandais dsm-firmenich qui a développé une molécule de synthèse, vendue sous le nom commercial "Bovaer10". Ajoutée en infimes quantités à la nourriture des vaches, elle inhibe la production de méthane lors de la digestion.
L'additif Bovaer est à l'heure actuelle autorisé dans quelque 70 pays, dont 25 où il est ingéré quotidiennement par un total de quelque 500.000 vaches (lien archivé ici). Mais il est aussi au coeur de vives critiques qui s'expriment massivement sur les réseaux sociaux. Certains accusent le lait de vaches l'ayant ingéré de provoquer cancers et infertilité chez l'Homme, une allégation infondée à ce jour, comme l'AFP l'avait expliqué dans un article de vérification publié en novembre 2024.
Un an plus tard, des vidéos virales sur les réseaux sociaux relaient des témoignages - authentifiés par l'AFP - d'agriculteurs danois évoquant des problèmes de santé de leurs vaches apparus selon eux après ingestion de l'additif (lien archivé ici).
Sur X ou Facebook, certains comptes affirment que son usage aurait été rendu obligatoire, "sous peine d'amendes lourdes", par les autorités danoises - ce qui, nous le verrons, est faux.
De nombreux posts assurent aussi que Bovaer "tue les vaches" - une allégation sans fondement en l'état actuel des connaissances scientifiques. Cette publication, diffusée sur X le 6 novembre 2025, intègre par exemple une vidéo sous-titrée en anglais d'une agricultrice danoise expliquant que l'additif a tué l'une de ses vaches, dont le cadavre est transporté par un tracteur.
Ces posts et vidéos sont souvent relayés par des comptes pourvoyeurs habituels de désinformation, et leur viralité est amplifiée par des comptes climato-sceptiques.
Au total, ils cumulent des dizaines de milliers de partages sur plusieurs réseaux sociaux et dans plusieurs langues, par exemple en français, anglais, ou bien encore croate.
Pas d'obligation
Bovaer contient du 3-nitrooxypropanol (3NOP), une molécule qui bloque les enzymes responsables de la production de méthane dans l'estomac de la vache, réduisant ainsi ses émissions d'environ 25%, avant de se désagréger rapidement, avaient expliqué des experts interrogés en novembre 2024 par l'AFP (lien archivé ici).
L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui a autorisé l'additif dans l'Union européenne en 2021, a fondé sa décision sur les travaux d'un panel d'experts ayant conclu à son innocuité (lien archivé ici).
Mais au Danemark, plusieurs éleveurs ont ces derniers mois rapporté avoir constaté des problèmes de santé de leur bétail après avoir introduit Bovaer dans leur alimentation dans le sillage d'une nouvelle réglementation entrée en vigueur au 1er octobre.
Début 2025, le gouvernement a requis que les éleveurs utilisent soit des quantités plus importantes de lipides dans la nourriture de leurs vaches (il a été prouvé que l'ajout de lipides inhibe la production de méthane), soit administrent Bovaer pendant 80 jours, avec comme date butoir le 1er octobre pour les supplémentations en Bovaer (lien archivé ici).
Contrairement à ce qu'affirment des posts viraux, les éleveurs danois conservent ainsi le choix d'utiliser l'additif ou les lipides, souligne Ermias Kebreab, doyen associé au College of Agricultural and Environmental Sciences de l'Université de Californie à Davis (UC Davis). Etant entendu que "Bovaer est bien plus facile à utiliser", a-t-il précisé auprès de l'AFP le 21 novembre 2025 (lien archivé ici).
Aucun pays n'a à ce jour rendu l'usage de l'additif obligatoire.
Interrogée par l'AFP sur la situation danoise, l'EFSA a renvoyé à l'autorisation délivrée en 2021. "Nos experts ont conclu que Bovaer10 était sans danger pour les vaches laitières au niveau maximum recommandé, et ne présentait pas de problèmes de sécurité pour les consommateurs et l'environnement", a commenté un porte-parole auprès de l'AFP le 26 novembre 2025.
Principe de précaution
A ce jour, aucun lien de causalité n'a été établi entre l'ingestion de Bovaer et les problèmes rapportés par certains éleveurs danois.
En réponse à leurs inquiétudes, l'agence vétérinaire et de sécurité alimentaire danoise a annoncé le 22 novembre 2025 qu'elle surveillait la situation en lien avec le ministère de l'Agriculture et une société indépendante danoise de recherche, SEGES Innovation, et qu'elle pourrait ajuster les modèles de nourrissage des vaches envisagés pour 2026 (liens archivés ici et ici). En attendant, si l'une d'elles présente des symptômes, l'éleveur peut cesser d'utiliser Bovaer et déclarer le cas sur une plateforme gouvernementale.
Parallèlement, un sondage a été lancé fin octobre 2025 par SEGES Innovation auprès des 1.641 élevages conventionnels de plus de 50 vaches laitières concernés par la réglementation Bovaer. La société avait reçu au 17 novembre des réponses de 644 d'entre eux (lien archivé ici). Sur ces 644 réponses, 419 rapportaient une baisse de la quantité de nourriture ingérée, 434 une baisse de la production de lait, et 376 les deux. Du côté des symptômes physiques, parmi ces 644 réponses, "410 élevages rapportent une incidence accrue de désordres digestifs et métaboliques", dont, entre autres, une "activité de rumination réduite, des symptômes d'empoisonnement, de la diarrhée", selon la société.
SEGES Innovation souligne toutefois la difficulté d'analyser ces chiffres, qui "ne reflètent pas la situation générale des éleveurs laitiers", car ceux rencontrant des problèmes ont une propension supérieure à répondre au sondage. Egalement parce qu'il n'est pas établi si les modifications dans les habitudes des vaches et les symptômes constatés sont provoqués par Bovaer, ou par d'autres facteurs. "Dans environ la moitié des troupeaux où des problèmes sont rapportés, d'autres modifications ont été réalisées en parallèle de l'introduction de Bovaer, par exemple des changements saisonniers dans les rations" de nourriture, note SEGES Innovation.
"Bovaer doit être mélangé soigneusement et uniformément dans la nourriture pour éviter de surdoser et assurer son efficacité", a rappelé en outre Lars Arne Hjort Nielsen, responsable Production du bétail chez SEGES Innovation, auprès de l'AFP le 25 novembre (lien archivé ici). Le site de dsm-firmenich évoque un dosage d'un quart de cuillère à café par jour.
SEGES Innovation va maintenant réaliser des analyses complémentaires avec l'université danoise d'Aarhus.
En Norvège, la principale entreprise de collecte, transformation et redistribution laitière, Norsk melkeråvare, filiale de la plus grande coopérative laitière Tine, a annoncé le 12 novembre 2025 suspendre "par mesure de précaution" l'usage du Bovaer en attendant davantage d'informations (lien archivé ici). "A ce jour, aucun effet négatif documenté n'a été constaté en lien avec l'utilisation de Bovaer en Norvège", a noté le directeur de l'entreprise, Johnny Ødegård, cité dans un communiqué.
Plus d'une centaine d'études
D'après dsm-firmenich, aucun autre pays n'a pour l'heure fait état de problèmes. "Bovaer a été utilisé avec succès au cours des neuf premiers mois de l'année au Danemark par 400 éleveurs laitiers, sans avoir jamais été identifié comme contribuant à des problèmes de santé des vaches", a assuré un porte-parole à l'AFP le 27 novembre.
Bovaer est "l'additif le plus étudié avec plus de 100 études publiées", et les résultats n'ont montré aucun impact négatif significatif sur la santé des vaches, rappelle Ermias Kebreab, de l'Université de Californie.
Certaines études, comme ces travaux américains indépendants publiés en mai 2025, ont rapporté une baisse des quantités d'alimentation ingérées et de la production de lait chez les vaches consommant Bovaer (liens archivés ici). Toutefois ces changements "ne semblent pas assez importants pour refléter ou engendrer d'autres problèmes de santé, au moins pour la vache moyenne", a commenté auprès de l'AFP le 4 décembre 2025 Charles Nicholson, professeur à la Penn State University, qui a participé à cette étude américaine (lien archivé ici).
Luiz Ferraretto, professeur associé en nutrition des ruminants à l'Université de Wisconsin Madison et co-auteur de l'étude, confirme que "le 3-NOP a été testé de manière extensive à travers le monde" et qu'"aucune inquiétude à propos de réductions majeures de la productivité quotidienne des vaches ou de leur santé n'a été soulevée", a-t-il écrit à l'AFP le 5 décembre (lien archivé ici).
Une autre étude, publiée en 2024 et financée, elle, par dsm-firmenich et un programme économique régional de provinces du Nord des Pays-Bas, a montré l'effet opposé, avec une hausse de la production de lait (lien archivé ici).
Un de ses co-auteurs, Jan Dijkstra, professeur associé en nutrition des ruminants à l'université néerlandaise de Wageningen (lien archivé ici), a indiqué le 21 novembre à l'AFP qu'à l'heure actuelle, la littérature scientifique n'apporte "aucune indication, ou mécanisme", qui expliquerait comment le 3-NOP pourrait causer des problèmes comme des dermatoses ou des mastites (inflammation des tissus du pis), voire la mort.
En janvier 2025, face aux critiques et aux rumeurs persistantes, dsm-firmenich avait déjà publié un communiqué démentant des "informations erronées" circulant sur les réseaux sociaux : l'additif "n'entre jamais dans le lait ou la viande et n'atteint donc pas les consommateurs", le lait produit par des vaches l'ayant reçu "peut être consommé sans danger", et Bovaer "ne nuit pas aux animaux et n'a pas d'impact négatif sur leur santé, leur productivité ou la qualité du lait", avait fait valoir le groupe (lien archivé ici).
Alors que Bill Gates est la cible régulière d'adeptes de théories du complot, il avait aussi démenti tout investissement dans le développement de l'additif.
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