
Le président sud-africain n’a pas réclamé l’arrestation d’une présentatrice ayant dansé sur l’autoroute
- Publié le 1 octobre 2025 à 15:20
- Lecture : 5 min
- Par : Tendai DUBE, AFP Afrique du Sud
- Traduction et adaptation : Charlotte DURAND , AFP Afrique
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L’animatrice de radio sud-africaine Penny Ntuli, qui exerce sur Radio Jozi FM, et une de ses amies se sont filmées début septembre en train de danser le twerk sur la bande d’arrêt d’urgence d’une autoroute très fréquentée.
La vidéo qu’elles ont publiée sur Facebook a fait rapidement le tour de la toile dans le pays, générant plus de 200.000 mentions "j’aime" et 11.000 commentaires (vidéo archivée ici).
"Cette vidéo parvenue au Président sud-africain Cyril Ramaphosa, ce dernier n'a pas tardé à réagir", prétend sur Facebook une page d’actualités camerounaise (lien archivé ici).
"Dans une déclaration officielle faite lundi, le chef de l'Etat a ordonné l'arrestation immédiate des deux femmes pour un acte irresponsable qui pourrait causer des accidents de circulation, mettant ainsi des vies en danger", assure cette publication datant du 23 septembre.

Cette affirmation provient à l’origine de publications en anglais, qui circulent sur Facebook, Instagram et X depuis le 17 septembre. Ces posts s’appuient sur une vidéo où le président semble expliquer en anglais face caméra, comme dans un discours officiel, être tombé sur ces images de la présentatrice se mettant "à twerker sans aucune gêne, alors que les voitures et les bus passent devant elle".
"J’ordonne l’arrestation immédiate de cette présentatrice", l’entend-on alors ajouter dans la vidéo, reprise par exemple dans cette publication sur X aimée plus de 11.000 fois.
La plupart des publications reprenant cette affirmation en français s’appuient sur une capture d’écran de cette vidéo, censée montrer une prise de parole officielle du président.

Croix rouges rajoutées par la rédaction de l'AFP.
Mais le son de cette vidéo a en réalité été modifié, et M. Ramaphosa n’a jamais demandé l’arrestation des deux jeunes femmes.
Une ancienne vidéo détournée
Grâce à une recherche d’image inversée, AFP Factuel a retrouvé la vidéo d'origine de l’adresse de Cyril Ramaphosa. Il s’agit d’un discours prononcé le 14 juillet 2025, à l’occasion de la création d’une commission chargée d’enquêter sur les liens présumés entre personnel politique et crime organisé en Afrique du Sud (lien archivé ici).
Dans un pays miné par une criminalité incontrôlée et des scandales de corruption à répétition, cette commission, qui a commencé ses auditions le 17 septembre, est chargée de se pencher sur le cas de plusieurs ex-membres du gouvernement (dépêche AFP archivée ici).
Le ministre de la Police Senzo Mchunu - depuis démis de ses fonctions - est ainsi soupçonné d'entretenir des liens avec un homme d'affaires accusé de corruption et tentative de meurtre, et d'avoir contribué à enterrer plus de 100 enquêtes criminelles.
Les images de la vidéo du 14 juillet où le président Ramaphosa annonçait la création de cette commission sont bien celles reprises récemment sur les réseaux sociaux, où on l’entendrait ordonner l’arrestation de la présentatrice radio.
Il y porte en effet exactement la même tenue, à savoir un costume noir, une cravate rouge rayée et une décoration blanche. On remarque aussi que le cadre est le même, en plus resserré : on y retrouve à sa droite le drapeau de l’Afrique du Sud, et derrière lui un détail du décor.

du président Ramaphosa (à droite) / Encadrés orange et verts rajoutés par la rédaction de l'AFP.
Dans la vidéo d'origine, Cyril Ramaphosa ne fait aucune allusion à la danse de Penny Ntuli sur l’autoroute, d'autant qu'elle a été publiée bien avant cet incident.
Son modifié par IA
Cela signifie que le son a très probablement été modifié, et que de l’Intelligence Artificielle (IA) a potentiellement été utilisée pour faire coller le mouvement des lèvres aux paroles créées, même si quelques incohérences visuelles sont encore identifiables.
AFP Factuel a extrait l’audio de la vidéo modifiée et l’a analysé à l’aide de l’outil de vérification InVID-WeVerify, co-développé par l'AFP.
L’outil indique qu’il y a 99% de chance que l’audio ait en effet été généré par IA.

Contacté par l’AFP, le porte-parole de la présidence sud-africaine, Athi Geleba, a confirmé que la vidéo avait été trafiquée.
"Le président n’a jamais tenu un tel discours", ses paroles ont été "générées par IA", a-t-il affirmé le 23 septembre à l’AFP.
Mise en garde des autorités routières
Si le président Ramaphosa ne s’est pas mêlé de l’affaire du twerk sur l’autoroute, le comportement des deux jeunes femmes a cependant fait réagir l’autorité chargée de la gestion du trafic, la Road Traffic Management Corporation (RTMC).
"La RTMC est stupéfaite par ce comportement sur nos routes nationales. En vertu de la NRTA [loi nationale sur la circulation routière, NDLR], il est interdit aux piétons de circuler sur les autoroutes et ceci est illégal", s’est indigné l’organisation dans un message publié sur Facebook le 9 septembre 2025 (lien archivé ici).
"Les créateurs de contenu ne devraient pas risquer leur vie pour des ‘Likes’", estime-t-elle.
La présentatrice Penny Ntuli a tenté d'expliquer dans une nouvelle vidéo publiée sur TikTok le contexte de sa danse sur l’autoroute, après l'avalanche de réactions négatives en ligne qu'a suscité sa publication précédente (archivée ici).
Elle et son amie, dont le nom n'a pas été divulgué, s'étaient arrêtées pour faire une pause et admirer le magnifique paysage. Elles ont fini par danser pour s'amuser, explique la présentatrice dans une vidéo en zoulou, et “cela n'avait pas pour but de blesser qui que ce soit”.
La mise en garde de la RTMC n'est pourtant pas sans fondement : selon leur rapport annuel 2023/2024, les piétons représentent 43% des décès sur la route en Afrique du Sud (rapport en anglais archivé ici, voir p.42).