
Cette vidéo d'un homme agressé a été filmée à Almeria, et non à Torre Pacheco
- Publié le 30 juillet 2025 à 15:35
- Lecture : 9 min
- Par : Lucia Diaz, Cristina ALONSO, Sonia GONZALEZ, AFP Espagne
- Traduction et adaptation : Cintia NABI CABRAL , AFP France
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"VOICI LA VIDÉO QUI A EMBRASÉ L'ESPAGNE : des jeunes nord-africains ont TABASSÉ un vieil homme de 68 ans alors qu'il se rendait au cimetière de Torre Pache [sic]. Des groupes de jeunes ont tabassé des arabes dans les rues dans le sud de l'Espagne en guise de vengeance", peut-on lire dans la description d'une vidéo (attention images difficiles) publiée sur X le 13 juillet 2025, partagée plus de 1.400 fois et aimée par plus de 2.500 internautes.
Sur cette séquence de 28 secondes, on aperçoit un homme âgé à terre, pieds nus et le visage en sang, agressé par un individu. Les images floues, et visiblement filmées de nuit par une tierce personne restée debout, captent une scène violente. On entend un homme crier en espagnol : "Tu dois nous parler avec éducation. Parles avec éducation ! D'accord ? Regarde, je ne t'en mets pas une autre parce que sinon je te tue". Au sol, l'homme âgé s'accroupit et gémit.
Des vidéos similaires circulent également sur X et Dailymotion, et dans plusieurs langues, notamment en allemand, espagnol, néerlandais, portugais et russe.
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En parallèle, des violences ont secoué la ville de Torre Pacheco, dans le sud-est de l'Espagne, après l'agression, le 9 juillet, d'un retraité de 68 ans, qui a affirmé avoir été attaqué sans motif apparent par trois jeunes d'origine maghrébine (lien archivé ici).
Mais attention : cette vidéo virale ne montre pas le retraité de 68 ans agressé à Torre Pacheco, mais un homme sans-abri agressé à Almeria le 20 mai dernier.
Domingo, la victime de Torre Pacheco
Contactée par l'AFP, la mairie de Torre Pacheco a précisé, le 14 juillet, que la vidéo devenue virale ne correspondait pas à l'affaire "qui a déclenché les altercations que nous subissons".
Dans une interview accordée au journal El Español, la victime - un homme prénommé "Domingo" - a affirmé que la personne figurant dans la vidéo n'était pas lui : "'Ils ont publié une vidéo d'un passage à tabac sur un homme qui n'est pas moi', insiste-t-il, visiblement agacé par l'utilisation de son identité" (lien archivé ici).
"Domingo ne cherche pas à déposer davantage de plaintes : tout ce qu'il souhaite, c'est que son agresseur soit arrêté et qu'il explique pourquoi il lui a infligé de telles blessures au visage", peut-on lire dans le même article.

Une capture d'écran issue de la vidéo virale y est également publiée, accompagnée de la légende suivante : "Image extraite de la vidéo virale d'une agression contre un vieil homme, qui n'a aucun lien avec celle subie par Domingo".
Nous avons donc cherché à savoir qui est l'homme apparaissant dans ces images virales.
José Moya, l'homme agressé à Almeria
Le premier exemple de ces images, que l'AFP a pu trouver via une recherche d'image inversée, est cette vidéo Instagram datant du 10 juillet 2025. Elle a été mise en ligne par un compte affilié à José Ángel Antelo, responsable du marketing numérique de la formation d'extrême droite Vox, troisième force au Parlement espagnol, connu pour ses prises de position hostiles envers les immigrés (liens archivés ici et ici).
Dans la description de cette publication, il est affirmé que l'homme visible sur la séquence est l'utilisateur "@josemoya6422" (lien archivé ici).

En cliquant sur le pseudo mentionné, on découvre une vidéo publiée le 12 juillet, dans laquelle un homme âgé affirme être la personne apparaissant dans la vidéo virale. Il y montre les vêtements qu'il portait lors de l'agression : un haut gris et un jeans foncé.
Dans la description de cette publication, on peut lire en espagnol : "#justice ICI TOUTES LES PREUVES QUE LA VICTIME DE LA VIDÉO DIFFUSÉE QUE CERTAINS PENSENT ÊTRE CELLE DE LA PERSONNE ÂGÉE DE TORRE PACHECO, C'EST MOI !! Ce sont deux agressions différentes, et celui de la vidéo publiée sur le compte @espdespierta, c'est moi !! JUSTICE POUR MOI, POUR LA PERSONNE ÂGÉE ET POUR TOUTES LES VICTIMES DE CETTE SÉRIE D'AGRESSIONS QUI COÛTENT DES VIES".

Sur son profil, plusieurs publications renvoient vers un article du quotidien local La Voz de Almería, daté du 31 mai 2025 et titré "'Pédé, je crache sur tes morts !' : ils battent un sans-abri jusqu'à l'inconscience à Almería", une référence directe à l'incident capturé dans la vidéo décontextualisée (lien archivé ici).
Interrogé par l'AFP, Víctor Navarro, l'auteur de cet article, a confirmé le 15 juillet avoir eu accès à un mandat de détention provisoire concernant deux jeunes Espagnols accusés de l'agression, à partir duquel il a rédigé son texte (lien archivé ici).
Les informations contenues dans La Voz de Almeria, ainsi que dans d'autres médias espagnols - tels que Diario Socialista, Telecinco ou encore Canal Sur - ont permis à l'AFP de confirmer l'identité de la victime : il s'agirait de José Moya, un homme de 71 ans, sans-abri au moment où il avait été agressé à l'aube du 20 mai 2025 dans un parc proche d'un hôpital de la capitale d'Almérie par deux hommes lui ayant demandé des cigarettes (liens archivés ici, ici et ici).
Selon La Voz de Almeria, alors qu'il dînait à l'endroit où il passe habituellement la nuit, José Moya a été attaqué "par deux individus [...] en raison de son orientation sexuelle et de sa situation d'indigence".
"Ils ont commencé à me jeter des pierres, du sable et à me donner à coups de pied. Ils m'ont cassé trois côtes, blessé à la tête, au sourcil et à l'oreille aussi. [...] Ils m'ont laissé à moitié mort", a déclaré la victime dans une interview diffusée le 14 juillet par l'émission Hoy en Dia sur Canal Sur (lien archivé ici).

José Moya affirme également n'avoir appris l'existence d'une vidéo de l'agression qu'après qu'elle soit devenue virale.
En outre, les forces de l'ordre locales ont formellement démenti tout lien entre les images virales et une agression survenue à Torre Pacheco : "Les faits en question [présentés dans la vidéo virale, NDLR] n'ont aucun rapport avec les incidents récemment survenus dans la localité de Torre-Pacheco", a confirmé la garde civile espagnole à l'AFP le 17 juillet.
Violences racistes
Les violences racistes survenues à Torre Pacheco - une ville où environ 30% des 40.000 habitants sont d'origine étrangère - montrent comment la désinformation en ligne alimente les discours xénophobes et le rejet de l'immigration, un thème qui polarise de plus en plus l'opinion espagnole. L'AFP a d'ailleurs vérifié une autre vidéo décontextualisée à ce sujet.
Deux jours après l'agression de Domingo, le retraité de 68 ans, à Torre Pacheco, sa municipalité, dirigée par le Parti Populaire (PP, droite), a convoqué une manifestation "contre l'insécurité". Initialement prévue comme un rassemblement pacifique, celle-ci a rapidement dégénéré en raison de la participation de groupes d'extrême droite brandissant des slogans hostiles aux immigrés (lien archivé ici).
Et cette mobilisation a elle aussi été instrumentalisée par des campagnes de désinformation. Un faux communiqué officiel, diffusé sur Telegram le 11 juillet, prétendait que la municipalité de Torre Pacheco liait directement l'insécurité à l'immigration. Mais dans son communiqué officiel publié la veille du rassemblement, la ville n'établit à aucun moment un lien entre "les actes criminels récents" et la population migrante (lien archivé ici).
Malgré le déploiement d'imposants renforts policiers, des échauffourées ont suivi pendant plusieurs nuits, faisant quelques blessés légers. Au total, 14 personnes ont été arrêtées, dont trois soupçonnées d'avoir été impliqués dans l'agression du sexagénaire.

À Torre Pacheco, la désinformation a été "à la fois un combustible et une étincelle", a souligné auprès de l'AFP Alexandre López Borrull, professeur de Sciences de l'information et de la Communication à l'Universitat Oberta de Catalunya (Catalgogne) (lien archivé ici).
Le narratif anti-immigrés se développe peu à peu sur la durée, puis "peut aussi faire office de déclencheur" quand survient "un événement concret", dans ce cas précis, l'agression d'un retraité, insiste ce spécialiste de la désinformation en ligne.
Une analyse partagée par Elisa Brey, professeure de Sociologie à l'Université Complutense de Madrid, qui établit une analogie avec les feux de forêts lors des vagues de chaleur: "Il fait chaud, il y a une alerte aux hautes températures et un pyromane arrive et lance une allumette. Eh bien c'est ce qu'il se passe avec la désinformation" (lien archivé ici).