Photo d'Armel Sayo prise le 11 octobre 2014, lorsqu'il était ministre des Sports et de la Jeunesse (AFP / STR)

En Centrafrique, vague de désinformation autour de la disparition d’un chef rebelle

Est-il mort ou vivant ? En Centrafrique, la disparition du chef rebelle franco-centrafricain Armel Sayo a engendré un flot d'informations contradictoires en ligne, dans un pays où l'opacité autour du sort d'opposants politiques constitue un terreau fertile pour la désinformation.

L'ancien ministre et chef du groupe armé CMSPR (Coalition militaire de salut du peuple et de redressement) Armel Sayo a été arrêté en janvier au Cameroun pour son implication présumée dans plusieurs attaques violentes contre les Forces armées centrafricaines.

Extradé vers la Centrafrique en mai, l'opposant au gouvernement de Faustin Archange Touadéra était depuis emprisonné dans la prison militaire de haute sécurité du camp Roux, à Bangui. 

Mais il y a une quinzaine de jours, il a été extrait de sa cellule de prison et sa famille n'a plus de nouvelles. Son avocat n'a pas pu lui rendre visite dans l'établissement pénitentiaire où il est censé être détenu. 

En Centrafrique, où le régime au pouvoir "réprime la société civile, les médias et les partis politiques d'opposition" selon Human Rights Watch, ce silence radio inquiète (lien archivé ici). 

"La famille est en détresse (...) nous voulons juste qu'on nous dise la vérité", a déclaré le 22 juillet à l'AFP Théodore Sayo, grand frère du chef rebelle.

D'autant que l'opinion publique s'est aussi saisie de son sort, et que de nombreux contenus en ligne affirment tout et son contraire. 

Vidéos générées par IA

L'inquiétude de ses proches a été renforcée par la diffusion le 17 juillet d'une vidéo montrant le corps d'un homme gisant dans une flaque de sang. Plusieurs internautes affirment qu'il s'agit d'Armel Sayo et dénoncent un possible "assassinat" (lien archivé ici). 

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Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 25 juillet 2025 / Sang flouté par la rédaction de l'AFP

A l'inverse, certains prétendent dévoiler des preuves de vie. Une version grossièrement truquée de cette vidéo circule sur WhatsApp et montrerait Armel Sayo se redresser, sourire et saluer la caméra. Problème : sur ces images, il a trois bras et apparaît clairement le logo du logiciel d'intelligence artificielle PixVerse.

Une autre séquence largement partagée montre en plan large un homme en treillis présenté comme Sayo et lui ressemblant, tenant la Une du 18 juillet d'un journal centrafricain. "Armel Sayo est bien vivant", avancent certains, "grossier montage", soutiennent d'autres (lien archivé ici). 

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Captures d'écran de publications sur X (à gauche) et sur Facebook (à droite), réalisées le 25 juillet 2025

Difficile d'affirmer catégoriquement que l'intelligence artificielle est à l'origine de cette vidéo, car elles "sont de mieux en mieux réalisées", pointe Victor Baissait, spécialiste des images générées par IA. Il note cependant quelques indices suspects : "une image étrangement propre", un "zoom caractéristique de l'IA" ou encore un personnage "quasi inexpressif".

Selon le média local Radio Ndeke Luka, les photos et vidéos de l’homme à terre et ensanglanté sont authentiques, sans que cela ne prouve qu'il s'agisse bien d'Armel Sayo. En ce qui concerne la vidéo de l'homme tenant la Une d'un journal centrafricain, ils avancent eux aussi l'hypothèse du recours à l'IA, outils de détection à l'appui (lien archivé ici). 

Devant l'ampleur qu'a pris le dossier, les autorités centrafricaines ont tenté de rassurer. "M. Sayo est bien portant", a ainsi affirmé le 24 juillet le procureur de la République centrafricain Guy Damanguere, assurant qu'"Armel Sayo est détenu à Bangui" et qu'il l'a "rencontré jeudi dernier". 

Le gouvernement n'a pas donné de justification à sa sortie de cellule, mais a évoqué de nouvelles accusations contre lui. "Des documents compromettants" qui "retracent des plans d’attaque" de Bangui auraient été retrouvés sur son téléphone portable après une fouille effectuée au début du mois, a affirmé le ministre chargé de la communication Maxime Balalou lors d'une conférence de presse. 

Faux communiqués

Au vu de la double nationalité du détenu, l'affaire est remontée jusqu'au ministère français des Affaires étrangères. "Le président Touadéra m'a personnellement assuré que Monsieur Armel Sayo est vivant", a indiqué à l’AFP Bruno Foucher, ambassadeur de France à Bangui. 

"J’ai émis une demande de visite consulaire, donc on le verra dans la semaine", avait-il affirmé à l'AFP le 22 juillet. Aucune visite consulaire n'a toutefois eu lieu entre temps, ont indiqué ses services à l'AFP le jour de publication de cet article, soit une semaine plus tard.

Toutes ces déclarations n’ont pas suffit à ralentir la propagation de la désinformation. 

Circulent ainsi pêle-mêle sur la toile un télégramme douteux du président camerounais Paul Biya, dans lequel il demanderait des clarifications sur l'état de santé du détenu, ou encore un communiqué attribué à la "famille Sayo", dans lequel elle dénoncerait des "arrestations arbitraires" et exigerait des "explications" (liens archivés ici et ici). 

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Captures d'écran prises sur Facebook du prétendu communiqué de la famille Sayo (à gauche) et du prétendu télégramme du président Paul Biya (à droite)

Ce dernier est un faux, a assuré le grand frère de M. Sayo à l'AFP. La famille, encore dans le flou concernant "l'état" d'Armel, s'est bien gardée de toute "communication sur les réseaux", explique-t-il.

Peinant à démêler le vrai du faux, Elvis Dengossin Matima - beau-frère d’Armel Sayo et mari de sa soeur, elle aussi arrêtée - vient d'écrire une lettre au président français Emmanuel Macron pour l'interpeller sur la situation de sa famille. 

"On n'est pas rassurés du tout (...) On a demandé des preuves, mais ils ont du mal à les fournir", déplore-t-il. 

Si Armel "est torturé et encore en vie, qu'on nous laisse lui apporter à manger et des médicaments", ajoute son frère Théodore Sayo, "S'il est réellement mort, qu'on nous remette simplement son corps, qu'on puisse l'enterrer dignement".

Troisième mandat

La Centrafrique, pays d'Afrique centrale parmi les plus pauvres au monde, est meurtrie par une succession de crises depuis son indépendance de la France en 1960 et peine à se relever des troubles survenus lors de l'élection présidentielle de décembre 2020, quand des éléments de la Coalition des Patriotes pour le Changement avait tenté de marcher sur Bangui pour renverser le pouvoir.

Le 26 juillet, le président Faustin Archange Touadéra a annoncé sa candidature à l'élection présidentielle prévue en décembre, pour briguer un troisième mandat consécutif. Ses opposants l'accusent de vouloir rester président à vie depuis l'adoption de la nouvelle constitution par référendum, en 2023, qui l'autorise à se présenter pour un nouveau mandat (dépêche AFP archivée ici). 

En avril dernier, quelque 500 personnes avaient manifesté pour dénoncer leurs conditions de vie précaires et dissuader le président Touadéra de prétendre à un troisième mandat. Selon les organisateurs, c'était la première fois depuis 20 ou 25 ans qu'une manifestation d'opposition avait lieu à Bangui (dépêche AFP archivée ici). 

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Manifestation contre un troisième mandat du président centrafricain Faustin Archange Touadéra, à Bangui, le 4 avril 2025. (AFP / ANNELA NIAMOLO)

Fin mai, des militants du parti au pouvoir ont empêché la tenu dans la capitale d'un rassemblement d'opposants au régime pour dénoncer les difficiles conditions de vie des Centrafricains et la mauvaise gouvernance des autorités. Une vive tension a opposé les partisans du parti présidentiel, le Mouvement Cœurs Unis (MCU), à ceux du Bloc Républicain pour la Défense de la Constitution (BRDC). 

Policiers, gendarmes et forces de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca) se sont interposés entre les militants. Les tensions entre le pouvoir et l'opposition s'intensifient à l'approche des élections municipales en août, puis des législatives et de la présidentielle en décembre.

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