Les experts attribuent les inondations catastrophiques récentes au réchauffement climatique et non à l'ensemencement des nuages

Malgré le consensus scientifique quant à l'origine humaine du réchauffement climatique, des théories inondent les réseaux sociaux pour tenter de la nier ou la minimiser. Par exemple, de nombreux internautes affirment que l'ensemencement des nuages,  technique qui consiste à introduire des particules chimiques dans les nuages  pour provoquer des pluies sur de petites zones géographiques, est responsable des inondations qui ont récemment touché de nombreux pays comme l'Espagne ou les Emirats Arabes Unis, plutôt que le dérèglement climatique. C'est faux, selon les différents scientifiques interrogés par l'AFP qui excluent l'idée qu'elle puisse provoquer de telles intempéries. Ils soulignent en revanche la responsabilité du changement climatique dans ces fortes précipitations et les inondations qu'elles provoquent.

"L'aéroport de Mallorque [sic] est submergé par les trombes d'eau... Qu'ils persévèrent dans l'ensemencement des nuages", publie par exemple le 11 juin 2024 une internaute après une importante inondation qu'a connu l'aéroport de Palma de Majorque mardi 11 juin 2024 (archive).

Un autre internaute commente les inondations qu'ont connu des pays du Golfe au mois de mai 2024, estimant sur X qu"il semblerait que l'Arabie Saoudite comme les Émirats ait totalement perdu le contrôle sur sa géo-ingénierie et l'ensemencement des nuages". 

L'ensemencement des nuages consiste à introduire de minuscules particules dans les nuages pour provoquer des pluies sur de petites zones géographiques. 

Des allégations de manipulation météo sont apparues après chaque grandes inondations cette année, notamment au Zimbabwe, au Kenya, aux Émirats Arabes Unis, aux Etats Unis et dans d'autres pays d'Europe comme l'Allemagne, mais aussi en France .

Cette  vidéo ci-dessous, diffusée sur Facebook, qui témoigne d'inondations en Moselle ayant eu lieu en mai 2024, a été reprise et partagée par un internaute qui accuse lui aussi l'encensement des nuages. 

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Capture d'écran d'un compte Facebook réalisée le 14 juin 2024

Selon les données de Google Trends, un outil permettant de mesurer l'évolution du nombre de recherches de mots-clés spécifiques sur Google, les recherches des termes "ensemencement des nuages" ont atteint un niveau record après les inondations de Dubaï du 16 avril 2024 (archive).

Elles avaient aussi largement été commentées sur les réseaux sociaux à l'époque, et des experts interrogés par l'AFP avaient à cette occasion déjà souligné le rôle "hautement probable" du dérèglement climatique dans la survenue de tels événements météorologiques.

Ce genre d'affirmations fait partie de rumeurs récurrentes qui remettent en cause le changement climatique et/ou son origine humaine, malgré l'existence d'un consensus international détaillé dans dans les rapports de synthèse publiés par les scientifiques du GIEC.

Un instrument pour lutter contre la sécheresse

L'ensemencement des nuages, utilisé pour la première fois en 1946 à New York pour lutter contre la sécheresse, consiste à y introduire, par avion ou depuis le sol, des composés (sels, iodure d'argent...) qui vont agglomérer la vapeur d'eau présente dans le nuage pour former des gouttelettes d'eau gelée qui finissent par tomber au sol sous forme de pluie ou de neige (archive). L'ensemencement des nuages s'est depuis développé dans certains pays comme un moyen de lutter contre la sécheresse et d'augmenter les réserves d'eau locales.

"L'ensemencement tente d'accroître les précipitations en améliorant les processus qui les créent dans les nuages", a expliqué dans un mail à l'AFP le 23 avril 2024 Roelof Burger, professeur en géographie physique, spécialisé dans les interactions entre l'atmosphère de la Terre et les activités humaines, à la North-West University, en Afrique du Sud (archive).

Les Emirats arabes unis l'utilisent depuis 2002 (archive), sous l'égide de leur Centre national de météorologie (archive).

Mais, si ce cette technique a vocation à provoquer des pluies dans des zones arides délimitées, les scientifiques expliquent qu'elle ne peut pas déclencher des précipitations aussi importantes que celles observées en 2024 dans certains pays.

"En raison de la forte variabilité naturelle des nuages, il existe très peu de preuves scientifiques qui montrent que l'ensemencement des nuages a effectivement un effet mesurable sur les précipitations", a déclaré à l'AFP le 7 juin 2024  Andrea Flossmann, co-présidente d'une équipe d'experts sur la modification de la météo à l'Organisation météorologique mondiale (archivé ici). 

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Une voiture roule sur une route inondée à Dubaï le 19 avril 2024 (AFP / Giuseppe CACACE)

Une étude du groupe de recherches "World Weather Attribution" sur l'ensemencement des nuages a été publiée le 3 juin 2024. Des experts de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC) (archivé ici) s'appuient sur celle-ci pour affirmer que "le changement climatique a rendu plus probables les précipitations extrêmes qui ont provoqué des inondations destructrices dans l'État du Rio Grande do Sul, dans le sud du Brésil" et a "aggravé les pluies intenses provoquées par El Niño" .(archive)

"Il y a un consensus sur le fait que le changement climatique est responsable de beaucoup de ces événements météorologiques extrêmes", a également expliqué à l'AFP le 31 mai 2024 Mariana Madruga de Brito, une scientifique brésilienne du Rio Grande do Sul (archive).

Mais elle a insisté sur le fait que l'ensemencement des nuages "ne peut pas être à l'origine d'événements d'une telle ampleur".

Renforcer le déni du changement climatique

Lors d'un entretien à l'AFP réalisé en mars 2024, Di Yang, professeure assistante à l'université du Wyoming (archive), a déclaré que des recherches approfondies menées sur plusieurs décennies n'ont montré "aucun impact définitif à grande échelle ou à long terme de l'ensemencement des nuages". 

Pourtant, cette technique est devenue une cible récurrente de la part d'internautes habitués à remettre en question le changement climatique. L'AFP ainsi que d'autres médias de vérification ont démystifié récemment plusieurs fausses allégations de manipulation de la météo, après les grandes inondations de ces dernières années. 

Callum Hood, directeur de recherche au Center for Countering Digital Hate, une ONG britannique de lutte contre la désinformation en ligne (archive), a déclaré à l'AFP qu'à mesure que les phénomènes météorologiques violents deviennent plus fréquents, "les négationnistes du climat redoublent d'efforts pour prétendre que ces phénomènes extrêmes n'ont rien à voir avec le changement climatique". 

"On voit cela tous les étés maintenant", a-t-il aussi indiqué.

Le chercheur est ensuite revenu sur la capacité des internautes à trouver lors de chaque catastrophe naturelle un nouvel argument pour remettre en question le réchauffement de la Terre "en essayant de faire valoir que les événements météorologiques extrêmes ont une autre cause, qu'il s'agisse de géo-ingénierie ou d'autre chose."

Lincoln Muniz Alves, chercheur à l'Institut national brésilien de recherche spatiale (archive), a rappelé le 15 mai 2024 à l'AFP que la diffusion de rumeurs et fausses affirmations non seulement entrave une communication efficace lors des crises environnementales, mais aussi qu'elle "renforce le point de vue de ceux qui nient la réalité du changement climatique".

Si les méthodes de modification de la météo comme l'ensemencement des nuages suscitent certaines critiques et réserves au sein de la communauté scientifique, notamment en raison du risque de conséquences involontaires telles que la pollution, (archive), ils restent unanimes sur l'urgence de la crise climatique. 

"L'accent mis sur l'ensemencement des nuages ne tient pas compte de la situation dans son ensemble : depuis plus d'un siècle, l'Homme rejette des gaz à effet de serre qui ont réchauffé la planète et rendu les fortes pluies plus probables dans de nombreuses régions du monde", a déclaré à l'AFP le 10 juin 2024, Edward Gryspeerdt  chercheur à l'Imperial College London's Grantham Institute (archive).

Avec le réchauffement climatique provoqué par les activités humaines, les scientifiques s'accordent à dire que les événements climatiques extrêmes vont être de plus en plus fréquents.  

L'équipe de vérification de l'AFP a réalisé des fiches dédiées sur le climat.

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