Attention, le président américain aligne des propos trompeurs sur le réchauffement climatique dans cette vidéo
- Publié le 31 janvier 2025 à 18:20
- Lecture : 16 min
- Par : Claire-Line NASS, AFP France
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"Quand j'entends ces pauvres imbéciles parler de le réchauffement climatique, ils ne l'appellent plus comme ça, ils appellent cela le changement climatique parce que, Vous savez, certaines parties de la planète se refroidissent et se réchauffent, c'est tout à fait normal (...). Leur 'science' n'est qu'un prétexte pour appauvrir les nations et contrôler les populations", énonce un message sur X ayant récolté plus de 700 partages depuis le 21 janvier, diffusant un extrait vidéo.
Dans ce dernier, le président américain Donald Trump aligne une série de propos visant à mettre en doute l'existence du changement climatique, pourtant établi par un consensus scientifique.
L'extrait a été diffusé, avec des sous-titres ou doublages en français, dans plusieurs publications sur X partagées chacune des centaines voire des milliers (ici, ici) de fois depuis le 18 janvier, deux jours avant l'investiture du président américain. Il a aussi circulé sur Facebook (ici, ici), sur LinkedIn et sur Telegram, ainsi que dans des publications relayées par des internautes anglophones.
La même vidéo avait déjà circulé depuis novembre 2024, notamment sur TikTok et sur X.
Une recherche d'image inversée permet de se rendre compte que l'extrait provient d'une interview du président américain, alors candidat, diffusée fin août 2024 dans le "Shawn Ryan Show", un podcast à forte audience aux Etats-Unis (à partir de la vingt-quatrième minute).
L'auteur, qui se présente comme un "vétéran de l'armée américaine", y invite régulièrement des personnalités pour des entretiens fleuves. De nombreuses figures conservatrices américaines et membres du parti républicain y sont apparues ces derniers mois, relayant pour certaines des propos conspirationnistes, comme le relevait cet article des Echos en octobre (lien archivé ici).
Au premier jour de son retour à la Maison Blanche, Donald Trump, habitué aux remises en question de l'existence du réchauffement climatique, a signé un décret présidentiel enclenchant un nouveau retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris sur le climat, marquant une marche arrière dans la lutte mondiale contre le réchauffement (lien archivé ici).
Mais les allégations diffusées dans la vidéo sont trompeuses, et visent à semer le doute en s'appuyant sur des éléments scientifiquement infondés, déplorent des spécialistes auprès de l'AFP.
Le réchauffement climatique, établi depuis des années
Dans l'extrait, Donald Trump affirme : "Le réchauffement climatique ["global warming" en anglais, NDLR], ils ne l'appellent plus comme ça, ils l'appellent changement climatique ["climate change" en anglais, NDLR] parce que vous savez, certaines parties de la planète se refroidissent et se réchauffent... Ça ne marchait pas, alors ils ont enfin compris, ils l'appellent changement climatique".
Mais ces propos sont trompeurs : déjà, les termes "réchauffement climatique" sont toujours utilisés par les scientifiques, comme en témoignent les publications scientifiques ainsi que le dernier rapport du Giec, considéré comme une référence en matière de connaissances sur le climat.
Dans la synthèse de ce dernier, destinée aux décideurs comme Donald Trump, le Giec conclut que "l'influence humaine a réchauffé le climat à un rythme sans précédent depuis au moins 2.000 ans" (lien archivé ici).
Et l'emploi des termes "changement climatique" n'est pas récent, à l'inverse de ce que sous-entend le président américain. "Par exemple, la première revue sur le sujet a été créée en 1977, elle s'appelle 'Climatic change'", illustre Jean-Baptiste Fressoz, chercheur et historien des sciences au CNRS, le 31 janvier à l'AFP (liens archivés ici et ici).
Ils figuraient aussi déjà (au pluriel dans la version française) en 1992 dans la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, qui avait constitué une étape importante dans la reconnaissance internationale de la responsabilité des humains dans le changement climatique (lien archivé ici).
Cette convention définit en effet dans son article premier une distinction entre les changements induits par des paramètres "naturels" et les changements anthropiques, c'est-à-dire causés par les humains (lien archivé ici).
En outre, les deux formulations ne sont pas contradictoires, à l'inverse de ce qu'insinue le président américain.
Le changement climatique correspond aux variations générales du climat sur une période longue, mesurées à partir de modifications par rapport à la moyenne sur une période longue (des dizaines d'années), détaillent les scientifiques du Giec dans un glossaire disponible en ligne en anglais et en français (liens archivés ici et ici).
Le réchauffement climatique est défini quant à lui dans le glossaire du Giec par "l'augmentation de la température globale à la surface, par rapport à une période de référence, et calculé en moyenne sur une période de référence permettant d'éliminer les variations interannuelles" (de 20 à 30 ans en moyenne).
"On est en train d'envoyer à très grande vitesse des gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Ces gaz à effet de serre ont un effet de réchauffement global. C'est-à-dire que le climat, sur le long terme, des dizaines d'années, est en train de se réchauffer", détaille le 29 janvier auprès de l'AFP Gilles Ramstein, chercheur au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement LSCE (lien archivé ici).
"Le réchauffement global induit sans équivoque par les activités humaines ne se limite pas à une simple hausse de la température (ce que suggère les mots réchauffement climatique) mais aussi à des changements dans les précipitations, circulations atmosphériques, événements extrêmes, ... D'où l'utilisation maintenant plus fréquente de 'changements climatiques' qui décrit mieux tous ces changements", détaille Xavier Fettweis, climatologue à l'Université de Liège, le 29 janvier à l'AFP (lien archivé ici).
Ironiser sur ces changements de termes, comme le fait Donald Trump, vise juste à "brouiller les pistes" et à distiller des doutes sans fondement sur des faits, estime Gilles Ramstein. Cela s'inscrit dans une série de remises en causes infondées du réchauffement à partir d'affirmations sur les mots employés pour le décrire, comme détaillé dans cet article de Skeptical Science, spécialisé dans la vulgarisation scientifique (lien archivé ici).
D'après Jean-Baptiste Fressoz, la confusion pourrait provenir d'un document produit en 2002 par un conseiller en communication politique pour les Républicains américains, Franz Luntz, qui indiquait que l'usage des termes "climate change" pourrait être mieux reçu par le public que "global warming", mais il ne s'agit en aucun cas d'un choix faisant référence à un consensus scientifique sur la question (lien archivé ici).
"Il s'est créé une sorte de mythe selon lequel c'est lui qui aurait créé l'expression 'climate change' et que tout le monde parlait de 'global warming' avant, ce qui n'est pas vrai", développe l'historien.
De fait, "il y a beaucoup d'évolution dans les discours sur le climat de la part des scientifiques comme dans la sphère publique, en fonction des avancées de la recherche, des évènements climatiques, des évolutions politiques… Mais le consensus scientifique est resté le même depuis les années 1990 (il s'est même accru) sur la réalité de ce changement climatique (ou réchauffement global) dû aux activités humaines", souligne Hélène Guillemot, chercheuse au CNRS, auprès de l'AFP le 29 janvier (lien archivé ici).
Dans un article sur les termes employés pour parler du climat, le site spécialisé Bonpote relève qu'en "communication, il est parfois préféré réchauffement climatique au terme changement climatique pour insister sur l'importance des conséquences avec un climat qui se réchauffe" (lien archivé ici).
De façon générale, pour les scientifiques, "les termes 'réchauffement climatique' et 'changement climatique' sont parfois utilisés de manière interchangeable, mais le 'réchauffement climatique' n'est qu'un aspect du changement climatique. La chose la plus importante à souligner est que la cause est la même : il s'agit du résultat des activités humaines et industrielles et de la combustion de combustibles fossiles", souligne l'Organisation météorologique mondiale (Omm), le 31 janvier auprès de l'AFP.
Pas de consensus autour d'un "refroidissement global"
Dans l'extrait viral, Donald Trump ajoute : "il y a quelques années, on parlait de refroidissement de la planète : dans les années 1920, ils pensaient que la planète allait geler et maintenant, ils pensent que le climat va brûler".
Ces propos sont encore une fois trompeurs : ils tentent de mettre en parallèle des périodes pendant lesquelles les connaissances sur le climat étaient très différentes, selon les experts interrogés par l'AFP.
"Tout d'abord, il est important de noter que la science du climat et les modèles climatiques sont nés dans les années 1980. Avant, nos connaissances étaient très limitées et on se limitait à extrapoler les observations sans trop comprendre ce qui se passait", souligne Xavier Fettweis.
Par ailleurs, les propos peuvent s'appuyer sur une mauvaise compréhension du fait que "les activités humaines induisent deux effets opposés : une hausse des gaz à effet de serre (réchauffant le climat global à court et moyen terme) et l'émissions d'aérosols (refroidissant le climat local à très court terme)", explique le climatologue.
Or, "dans les années 1920-1980, la combustion du charbon et pétrole a émis énormément de ces aérosols qui ont induit un refroidissement du climat dans nos régions, supérieur au signal venant du réchauffement climatique global", ce qui fait que "des scientifiques de l'époque pensaient qu'on allait vers un refroidissement sachant que le climat global à l'époque se limitait à ce qu'on observait en Europe et les Etats-Unis qui étaient très pollués", ajoute-t-il.
Néanmoins, "depuis les années 2000, les émissions de ces particules de pollution ont drastiquement diminué dans nos régions ce qui a augmenté l'ensoleillement et emballé la hausse de température dans nos régions", résume le spécialiste, notant tout de même que "ce problème des particules reste encore présent en Inde et en Chine".
Ce n'est pas la première fois que des publications trompeuses sur les réseaux sociaux font référence à l'existence d'un "refroidissement climatique" pour tenter de remettre en cause l'existence du réchauffement.
En 2019 déjà, l'AFP s'était penchée sur une fausse Une du magazine Time à ce sujet et plusieurs médias de vérification, comme Les Surligneurs ou Le Monde, ont aussi consacré des articles à de telles rumeurs ces dernières années (liens archivés ici et ici).
En 2008, un article de recherches intitulé "Le mythe du consensus climatique sur le refroidissement climatique dans les années 70" s'était penché sur ces rumeurs, et avait conclu que seules sept études résultant d'une évaluation par des pairs (c'est-à-dire qui sont considérés comme plus fiables), apportaient des preuves d'un refroidissement climatique entre 1965 et 1979 (lien archivé ici).
En comparaison, ces chercheurs avaient trouvé 44 articles s'accordant sur l'existence du réchauffement climatique. Les auteurs de cette étude avaient ainsi conclu que "le refroidissement climatique ne fut jamais plus qu'un aspect mineur de la littérature scientifique de l'époque sur le changement climatique, et encore moins le consensus scientifique".
"Il n'y avait pas alors de consensus sur l'effet principal des actions humaines sur le climat : effet réchauffant des gaz à effet de serre ou effet refroidissant de la pollution. A la fin des années 1970, des travaux ont établi que le réchauffement global l'emportait sur le refroidissement des aérosols (notamment parce que le CO2 reste dans l'atmosphère donc continue à réchauffer, alors que les poussières retombent et que leur refroidissement est donc de courte durée)", complète Hélène Guillemot.
Et cette conclusion n'a cessé de se confirmer : dans le premier volet du dernier rapport du Giec, publié en août 2021, les experts concluent, à partir de l'analyse de centaines d'études sur les connaissances à ce jour, que le réchauffement climatique est "sans équivoque" et qu'il est "incontestable que l'influence humaine a réchauffé l'atmosphère, les océans et les terres" (lien archivé ici).
L'année 2024, au-dessus du seuil de 1,5°C de réchauffement
Le président américain ajoute aussi : "maintenant nous sommes presque à la fin de la période de 12 ans, vous comprenez que ces fous qui ne savent rien, ils avaient prédit, ils avaient dit que nous avions 12 ans à vivre", assurant que les prédictions se seraient ainsi "trompées".
Cette mention peut faire référence à des propos tenus par des représentants des Nations unies en 2018, s'appuyant sur des scénarios présentés par les scientifiques du Giec pour limiter le réchauffement (rapportés ici par The Guardian et réaffirmés un an plus tard par des représentants à l'Onu), qui indiquaient qu'après une douzaine d'années, il deviendrait impossible de limiter le réchauffement à moins d'1,5 degrés Celsius par rapport à la moyenne des températures à l'époque pré-industrielle (liens archivés ici et ici).
Alors que cette "période des 12 ans" n'est pas encore terminée, la température moyenne mondiale a déjà dépassé en 2024 la limite de 1,5°C de réchauffement fixée par l'accord de Paris (lien archivé ici).
En 2024, la température moyenne à la surface de la planète a ainsi été supérieure de 1,55°C (avec une marge d'incertitude de ±0,13°C) à la moyenne de la période 1850-1900, selon une analyse de l'Organisation météorologique mondiale (OMM), une agence de l'ONU, se basant sur six grandes bases de données internationales (lien archivé ici).
Cette mention de "12 ans" pourrait aussi se rapporter à des rumeurs assurant que depuis 2015, le réchauffement climatique se serait "stabilisé" ou serait même "en régression".
Celles-ci, déjà vérifiées en 2023 par l'AFP, se fondent sur des mauvaises compréhensions de phénomènes liés à la variabilité naturelle du climat, qui ne remettent pas en cause le réchauffement global, comme le montrent les données.
"Au signal du réchauffement global qui induit une lente (jusque maintenant) hausse des températures, il faut rajouter la variabilité naturelle du climat qui comme les oscillations El Nino/La Nina [qui induisent des événements chauds/froids, NDLR] peuvent impacter significativement la température globale. En 2024, on était en phase neutre et les +1.6°C observés en 2024 ne sont pas dus à un El Nino, montrant bien que le climat continue bien à se réchauffer indépendamment de la variabilité naturelle du climat", relève Xavier Fettweis (lien archivé ici).
Par ailleurs, comme l'AFP l'écrivait déjà dans cette fiche dédiée publiée en décembre 2023, les projections issues des modélisations utilisées dans les différents rapports du Giec se sont avérées fiables jusqu'ici.
Le réchauffement climatique entraine une hausse significative du niveau des mers
Le président américain poursuit dans la vidéo en assurant que "le problème n'est pas que les océans s'élèveront d'un quart de pouce dans 500 ans. Le problème, ce sont les armes nucléaires, c'est le réchauffement nucléaire. Et ces pauvres idiots parlent tout le temps du réchauffement climatique. La planète va se réchauffer au point que les océans s'élèveront d'un demi-pouce dans 355 ans".
Cette comparaison est néanmoins peu pertinente, ont relevé les spécialistes interrogés par l'AFP.
"Les armes nucléaires, c'est inquiétant, mais ce n'est pas parce qu'il y a un risque qu'il diminue l'autre, c'est juste qu'il y a deux risques", estime Jean-Baptiste Fettoz.
Comme également déjà détaillé par l'AFP dans cette fiche, la hausse accélérée du niveau des mers en raison du réchauffement climatique provoqué par l'activité humaine est très régulièrement remise en cause par les climatosceptiques.
Si le niveau des mers varie sur de grandes échelles de temps depuis des centaines de millions d’années, l'élévation - très rapide - enclenchée depuis le début du siècle dernier est clairement attribuée par les scientifiques aux activités humaines.
Cette montée rapide des eaux a déjà des conséquences sur les populations touchées.
Dans le détail, l'Omm rappelle qu'entre "2014 et 2023, le niveau moyen de la mer s'est élevé de 4,77 mm par an, soit plus du double du taux enregistré entre 1993 et 2002".
"Environ 90 % de l'énergie accumulée dans le système terrestre est stockée dans les océans. On s'attend donc à ce que le réchauffement des océans se poursuive, un changement irréversible à l'échelle du centenaire ou du millénaire", indique encore l'Omm.
L'argument selon lequel les essais et bombardements nucléaires auraient eu un impact plus important sur le climat que les émissions de CO2 liées aux activités industrielles n'est pas nouveau. L'AFP s'y était déjà intéressée fin octobre 2024.
Mais il n'est pas pertinent de comparer ces émissions, avaient expliqué des scientifiques : si ces essais ont causé des dégâts environnementaux très importants, ils n'ont pas eu d'effet durable sur le climat, montrent les données connues à ce jour.
En outre, à chaque seconde, c'est plusieurs fois l'équivalent en énergie (chaleur) de la puissance de la bombe atomique d'Hiroshima qui est piégé dans l'atmosphère, en raison de la quantité croissante de gaz à effet de serre.