Non, il n'est pas dangereux de consommer des canards vaccinés contre la grippe aviaire
- Publié le 22 janvier 2025 à 11:17
- Lecture : 9 min
- Par : AFP France
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"Non aux canards gavés de vaccin ARN messager expérimental !" : sur les réseaux sociaux, de nombreuses publications (1, 2) s'inquiètent d'une supposée dangerosité des conséquences pour l'être humain de manger du canard préalablement vacciné contre la grippe aviaire.
"Il faut boycotter la viande de canard : aucun test n’a été effectué sur la capacité de l’ARNm auto amplifié à être transmis au consommateur, la 3eme dose précède l’abattage de quelques jours", alerte ainsi l'économiste Philippe Herlin - dont les propos ont plusieurs fois fait l'objet d'articles de vérification de l'AFP (1, 2).
"Les conséquences de ce vaccin sur la santé humaine et animale restent totalement inconnues", affirme de son côté une pétition publiée par le Média en 4-4-2, également relais récurrent de fausses informations (1, 2).
Le vaccin à ARN utilisé dans la vaccination des canards contre la grippe aviaire n'est ni dangereux pour l'homme, ni pour les animaux, selon les experts. Depuis leur utilisation dans les campagnes de vaccination contre le Covid fin 2020, les vaccins à ARN messager ont été examinés sous toutes les coutures par les scientifiques et les autorités sanitaires.
Mais ils font toujours régulièrement l'objet de très nombreuses infox.
Mise en place de la vaccination
L'épizootie de grippe aviaire, qui sévit plus largement en Amérique, en Europe, en Afrique et en Asie, a touché la France de 2015 à 2017 puis quasiment en continu depuis fin 2020. Le pays a euthanasié des dizaines de millions de volailles ces dernières années. Les pertes économiques se chiffrent en milliards d'euros, comme expliqué dans cet article de l'AFP.
Pour casser cette spirale, la France a décidé de rendre obligatoire la vaccination dans les élevages de plus de 250 canards (hors reproducteurs) fin 2023. Une "demande des éleveurs", affirme à l'AFP Serge Morand, écologue et chercheur au CNRS (lien archivé ici).
"La vaccination, c'est la meilleure manière d'éviter l'abattage de millions d'animaux et notamment de races locales", pointe-t-il.
Au niveau européen, la vaccination a longtemps été interdite (voir ci-dessous). Elle est possible depuis l'adoption d'un règlement le 20 février 2023 (lien archivé ici).
Actuellement, la France est le seul pays d'Europe à vacciner des animaux d'élevage contre la grippe aviaire. Elle vaccine deux types de canards : ceux dits "maigres", élevés pour la viande, et ceux qui sont engraissés pour produire du foie gras, mais aussi du magret et du confit.
"Si on n'a pas mis en oeuvre la vaccination contre l'influenza aviaire plus tôt, c'est essentiellement en raison des risques pour le commerce international, du fait d'une crainte qu'un pays qui vaccine n'arrive pas à détecter un virus circulant à bas bruit chez des animaux vaccinés, car les signes cliniques seraient masqués", explique Jean-Luc Guérin, professeur de pathologie aviaire à l’École nationale vétérinaire de Toulouse et directeur d'unité à l'INRAE, le 15 janvier 2025 à l'AFP (lien archivé ici).
"C’est pour cela que la stratégie vaccinale ne peut être valablement mise en oeuvre que si elle est associée à une stricte surveillance afin de se prémunir de ce danger-là et c'est justement ce que la France fait", ajoute-t-il.
"Jusqu’à récemment encore, les techniques d’analyse ne permettaient pas de déterminer si un anticorps détecté sur un animal avait pour origine un acte vaccinal ou la contamination par un virus sauvage. Par crainte d’introduire le virus sur leur territoire, certains pays ont ainsi longtemps affiché une position de précaution en refusant d’importer des volailles ou des produits issus de volailles qui auraient été vaccinés. Procéder à la vaccination, c’était prendre le risque de voir ses flux d’exportation bloqués. La nouvelle génération de vaccins change aujourd’hui la donne en offrant une signature biologique claire", développe sur son site le ministère de l'Agriculture (lien archivé ici).
La grippe aviaire ne touche pas que les canards, mais vacciner ces animaux présente un grand avantage, précise Jean-Luc Guérin : "Le canard excrète énormément de virus au cours de l'infection par comparaison au poulet ou à la dinde : il peut donc contaminer l'environnement et entrainer des foyers secondaires dans les élevages voisins. Vacciner les canards permet non seulement de les protéger eux-mêmes, mais aussi de protéger les autres volailles en réduisant leur exposition à des particules relarguées dans l'environnement."
Aucun risque pour la consommation
Deux vaccins ont été retenus : le vaccin inactivé Volvac B.E.S.T. du laboratoire allemand Boehringer Ingelheim, et le vaccin à ARN auto-amplifiant Ceva Respons H5 du laboratoire français Ceva Santé Animale (lien archivé ici).
Comme lors de l'épidémie de Covid-19, c'est le vaccin à ARN qui est surtout incriminé dans les publications que nous examinons.
Le magazine 60 millions de consommateurs (lien archivé ici) a d'ailleurs révélé dans un article publié le 16 décembre avoir reçu quelques courriers "s'inquiétant d’une éventuelle contamination de la viande ou du foie gras de canard". "Avec une question : le vaccin ARNm pourrait-il présenter un risque pour les amateurs de ces produits ?"
Malgré le rejet de ces inquiétudes dans le corps de l'article, le titre et le chapô formulés sous forme de questions et l'accès payant à la totalité du papier ont pu alimenter les craintes (1, 2), tout comme la réponse sur X le 7 janvier d'Hélène Banoun - une biologiste dont les affirmations trompeuses sur la pandémie de Covid notamment ont déjà été démystifiées par des experts interrogés par l'AFP.
Cependant, "la consommation de viande ou de produits issus d’animaux vaccinés ne comporte aucun danger pour l’homme", assure le ministère de l'Agriculture dans une foire aux questions sur le sujet (lien archivé ici), rappelant que ces vaccins disposent d’une autorisation délivrée par l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV)"garantissant leur innocuité".
Interrogé par l'AFP, Franck Fourès, directeur de l'ANMV, explique ainsi que la sécurité des vaccins "fait partie intégrante de l'autorisation des vaccins".
"Avant de délivrer une autorisation, on étudie à la fois la sécurité pour l'animal, l'efficacité du vaccin mais aussi la sécurité pour l'homme, surtout quand il s'agit d'espèces de rentes. On s'assure par exemple que les produits utilisés dans le vaccin ne créent pas de résidus à des niveaux à risque chez l'homme", affirme-t-il.
Destruction de l'ARN
Concernant le mode de fonctionnement de ce vaccin, Brigitte Autran (lien archivé ici), présidente du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars), rappelle que le principe des vaccins à ARN messager est de "faire synthétiser par nos cellules un fragment de protéines virales contre lesquelles ont veut produire des anticorps. La cellule va produire des anticorps qui vont induire une réponse immunitaire naturelle".
Ensuite, l'ARN est très rapidement détruit dans la cellule, explique-t-elle. "Il va rester capable d'initier cette synthèse protéine pendant quelques heures, maximum un jour. Donc lorsque les canards seront tués, l'ARN sera totalement dégradé et évidemment on ne pourra pas l'ingérer."
Avec ce vaccin, deux injections sont à réaliser (lien archivé ici). "En général, il s’écoule au moins six semaines entre la deuxième vaccination du caneton et la consommation de sa viande ou son engraissement pour le foie gras", explique Jean-Luc Guérin.
"Dans certains cas, on administre une deuxième dose de rappel -donc une troisième dose- en fin de vie économique, pour sécuriser et ne pas prendre de risque. Cela représente un nombre très minoritaires d'élevages qui avaient une vie économique très longue. Dans ces cas, on est plutôt à 4-5 semaines avant l'abattage, mais ce n'est jamais moins de 3 semaines parce que c'est de toute façon avant l'entrée en gavage", développe-t-il.
Dans tous les cas, Franck Fourès précise que ce vaccin n'a pas "de délai d'attente", ce qui signifie qu'il n'y a pas de temps à respecter entre l'administration du vaccin et le moment où l'on peut manger l'animal.
Et même dans l'éventualité où de l'ARN persisterait après tout le processus de transformation que subit la viande de canard - "ce qui est quasiment impossible du fait du caractère instable de l'ARNm", insiste Franck Fourès - celui-ci "ne survivrait pas au processus humain de digestion".
"En plus, ces molécules d'ARN ne peuvent rentrer dans les cellules que si elles sont enrobées d'une couche d'acides gras très spécifiques, elles ne pourraient donc absolument pas passer la barrière intestinale", développe Franck Fourès.
Quelle efficacité ?
Certaines publications remettent également en cause l'efficacité de ces vaccins, ce que balaye Jean-Luc Guérin : "Il est parfaitement assumé que la vaccination n'a pas 100% d'efficacité. On ne peut pas complètement empêcher les foyers primaires, qui correspondent en gros à la contamination par faune sauvage. Par contre, ce que l'on voulait absolument éviter, c'est l'emballement, c'est-à-dire des transmissions en chaine entre élevages. Et ça, ça a été bloqué", appuie-t-il.
D'après une étude de la Chaire de biosécurité et de santé aviaires de l’École nationale vétérinaire de Toulouse (Unité IHAP - ENVT-INRAE) mise en ligne en prépublication en septembre 2024 (lien archivé ici), en l’absence de vaccination, la France aurait pu connaître jusqu’à 701 foyers en élevage sur 2023/24.
"Ce qui est très largement supérieur aux dix foyers effectivement constatés, dont seulement deux concernant des canards vaccinés. Si on fait l'analyse épidémiologique, il y a un effet protecteur qui ne peut pas être uniquement lié à autre chose qu'à la vaccination", ajoute-t-il.
Le spécialiste rejette également les accusations sur l'absence de connaissances des conséquences pour la santé animale. "Des études ont évidemment été menées, d'abord par les laboratoires producteurs de ces vaccins dans le cadre des études d'enregistrement par les agences compétentes, puis dans des essais menés par des laboratoires de recherches publics et dont les résultats ont été communiqués. S'il y avait un effet sur la croissance ou le moindre effet sur la santé des animaux, les professionnels seraient les premiers à le détecter et à le dénoncer", soutient-il.
En décembre 2024, le ministère de l'Agriculture soulignait que plus de 71 millions de canards ont été vaccinés contre la grippe aviaire depuis 2023.
L'AFP a déjà vérifié de nombreuses fausses informations sur les vaccins à ARN messager comme ici ou ici.