
Non, les récentes fortes précipitations ne remettent pas en cause l'existence du réchauffement climatique
- Publié le 23 octobre 2024 à 16:43
- Lecture : 9 min
- Par : Océane CAILLAT, AFP France
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Après un été 2024 qui a été le plus chaud jamais mesuré sur la planète, marqué par des sécheresses, canicules et inondations sur tous les continents, les conséquences du réchauffement climatique continuent de s'illustrer.
Le mois de septembre a été très pluvieux sur l'ensemble de l'Hexagone devenant le mois le plus "arrosé depuis 25 ans" selon Météo France (archivé ici). Puis, le 18 octobre 2024, plusieurs régions françaises ont été frappées par des précipitations exceptionnelles. Dans certains départements, ces pluies ont donné lieu à des inondations dévastatrices notamment dans le Centre-Est de la France.
Face à cette actualité, de nombreux commentaires climatosceptiques ont été relayés laissant entendre que cet événement remettait en cause le réchauffement climatique, dont l'origine humaine est avérée et qui fait l'objet d'un consensus scientifique.
"La sécheresse est vaincue", ironise une publication sur X, postée le 19 octobre au lendemain des inondations, partagée par des centaines d'autres utilisateurs de la plateforme.
"En ce moment la terrible sécheresse qui devait tous nous tuer [...] produit cet effet sur la #Seine à #Paris...", renchérit Florian Philippot, président du mouvement d'extrême-droite "Les Patriotes", sur son compte X dans une publication relayée des centaines de fois, mettant en avant des photos du fleuve à Paris.

Mais, ces allégations sont fausses puisqu'elles reposent sur une mauvaise interprétation de phénomènes météorologiques comme l'ont déjà expliqué plusieurs experts à l'AFP interrogés dans le cadre d'autres articles de vérification.
Des inondations liées au dérèglement climatique
Les inondations récemment observées en France, tout comme celles qui se produisent ailleurs sur la planète, sont des considérées comme faisant partie des conséquences du réchauffement climatique.
Et celles-ci s'expliquent notamment par une loi physique portant le nom de "Clausius-Clapeyron" qui établit un lien entre la hausse de la température et l'humidité contenue dans l'atmosphère. Cette équation "décrit comment l'atmosphère plus chaude retient plus de vapeur d'eau, environ 7 % de plus par degré Celsius de réchauffement" affirme à l'AFP Davide Farranda, directeur de recherche au CNRS en sciences du climat (archivé ici), le 22 octobre 2024. "Cela signifie que, dans un monde qui se réchauffe, chaque tempête ou épisode de pluie intense peut potentiellement devenir encore plus violent", poursuit-il.
Un argument également relayé par Météo-France qui estime que "l'augmentation de la capacité de l'atmosphère à contenir de l'humidité (+ 7 % d'humidité par degré supplémentaire d'après la relation Clausius-Clapeyron) entraîne une intensification" des événements "de pluies extrêmes et accroît le risque d'inondations" (archivé ici).
De son côté, Sonia Seneviartne (archivé ici), professeure en sciences climatiques à l'école polytechnique fédérale de Zürich assure à l'AFP, le 21 octobre 2024, que :" la quantité totale d'humidité qui peut être contenue dans l'atmosphère augmente avec la température de l'air [...] Donc avec une plus grande quantité d'eau dans l'atmosphère, on a des précipitations plus intenses lorsque l'air arrive à saturation". C'est pourquoi, selon elle, la hausse de la température mondiale induit bien une augmentation "du risque de précipitations extrêmes".
"L'air contient une quantité maximale variable de vapeur d'eau selon sa température. Lorsque sa température baisse, la vapeur d'eau se condense passant de l'état gazeux à l'état liquide, atteignant ainsi la saturation", précise Météo-France dans un autre article disponible sur son site (archivé ici). Concrètement, "plus l'air est chaud, plus il peut contenir de vapeur d'eau. Son potentiel d'eau précipitante est plus élevé, c'est pourquoi le réchauffement climatique favorise des épisodes pluvieux en moyenne plus abondants qu'avant", peut-on lire.
L'observatoire européen sur le changement climatique, Copernicus, lie aussi ces pluies exceptionnelles au changement climatique alors que septembre 2024 a été le deuxième mois de septembre le plus chaud jamais enregistré (archivé ici). "Les précipitations extrêmes du mois dernier, que nous observons de plus en plus souvent, ont été aggravées par une atmosphère plus chaude", entraînant par endroits "des mois de pluies en quelques jours", a déclaré à ce sujet, début octobre, Samantha Burgess , directrice adjointe du service changement climatique de Copernicus (archivé ici).
Ces événements ont par ailleurs aussi des conséquences sur la biodiversité. "Les écosystèmes ne sont pas faits pour recevoir beaucoup de précipitations d'un coup, les plantes et les sols ne peuvent pas tout absorber" étant donné que la végétation " a besoin de régularité et n'aime pas les conditions extrêmes", avançait déjà Davide Faranda à l'AFP, en août 2023. De plus, contrairement à ce qu'affirment les internautes, ces fortes précipitations n'annulent pas les risques de sécheresse à l'avenir.
Des sécheresses de plus en plus fréquentes
"Plus l'air est chaud, plus il peut contenir de l'humidité, plus ça va être plus difficile d'atteindre ce seuil de saturation", avance la climatologue Sonia Seneviratne. C'est-à-dire que l'atmosphère va devoir accumuler une plus forte quantité d'eau avant d'arriver à ce seuil et "cela peut créer un fort assèchement des sols" avant de donner lieu par la suite à des "précipitations plus intenses", détaille-t-elle.
"Il est possible d'avoir dans une même région, des périodes de sécheresse suivies de fortes pluies", abonde Davide Farrande rappelant que "ces deux types d'épisodes extrêmes sont bien liés au changement climatique" puisqu'ils "découlent de la même perturbation des équilibres atmosphériques".
Selon le chercheur, "les sécheresses résultent du déficit d'eau sur une période prolongée, qui s'aggrave rapidement avec le réchauffement global, car l'eau s'évapore plus vite du terrain, alors que les pluies intenses sont le résultat de l'accumulation excessive de vapeur d'eau dans l'atmosphère favorisée par le réchauffement".
Cependant, ces pluies intenses, qui humidifient les sols, ne compensent pas toujours le déficit d'eau des nappes souterraines, qui constituent des réserves d'eau à long terme, puisqu'elles mettent plus longtemps à se reconstituer.

"Il ne suffit pas d'avoir beaucoup de pluie : les sols ne sont pas capables d'absorber des précipitations très importantes. C'est pourquoi, il est beaucoup plus efficace d'avoir des pluies légèrement au-dessus de la moyenne pendant tout l'hiver, ou juste normales, pour recharger les nappes, plutôt que d'escompter qu'en un mois les pluies puissent compenser le déficit des mois passés", soulignait déjà Agnès Ducharme (archivé ici), hydrologue et directrice de recherche au CNRS, auprès de l'AFP dans cet article début mars 2023.
"Après des mois très secs, même s'il pleut pendant trois mois, il n'y aura plus de sécheresse météorologique, mais toujours une sécheresse hydrologique", expliquait aussi Davide Faranda (archivé ici),auprès de l'AFP en mai 2023. La sécheresse météorologique est un déficit anormal des précipitations, si elle dure, elle peut engendrer une sécheresse dite "hydrologique" qui correspond à une baisse du niveau des nappes phréatiques et des cours d'eau (archivé ici).
Autre indice, Météo-France (archivé ici) précise qu'à l'horizon 2050 que "les sécheresses, déjà deux fois plus fréquentes qu'en 1960, vont encore se multiplier".
Distinguer la météo du climat
Le réchauffement du climat depuis l'ère industrielle, causé par les émissions de CO2 liées aux activités humaines, fait aujourd'hui l'objet d'un consensus auprès des scientifiques.
Mais, "il ne faut pas confondre ce qui relève des conditions météo, qui caractérisent des phénomènes atmosphériques au jour le jour, et l'étude du climat qui s'intéresse aux tendances à long terme", expliquait Samuel Morin, directeur du Centre national de recherches météorologiques (CNRM), une unité mixte de recherches rattachée à Météo-France et au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), à l'AFP en mai 2023. "Les conditions météo sont variables d'un an à l'autre, d'un jour à l'autre", avait-il ajouté.
Comme l'indique cette fiche rédigée par chercheurs du CNRS associés au site BonPote dédié à l'environnement, les différences entre météo et climat sont nombreuses (archivés ici et ici). Alors que la météo correspond à "l'étude des phénomènes atmosphériques pour prévoir le temps", le climat correspond quant à lui à "l'étude des statistiques de variables atmosphériques sur une longue période de temps".
Son étude ne permet pas de donner des "prévisions détaillées au jour le jour" mais des "probabilités de changements à long terme".
La neige, la pluie ou les vagues de froid ne sont donc pas incompatibles avec le réchauffement global de la planète, comme le souligne cet article de Météo-France, publié fin 2022 (archivé ici). "On bat ces dernières années près de dix fois plus de records de chaleur que de froid, ce qui est une indication claire du changement climatique", rappelait Samuel Morin.
Publié à partir de 2021, le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), qui synthétise données et études sur le climat, indique que le réchauffement climatique devait atteindre 1,5°C par rapport à l'ère préindustrielle dès les années 2030-2035, mais la température a déjà grimpé de près de 1,2°C en moyenne.

En plus, des records de températures, d'autres événements extrêmes s'observent sur la planète, eux aussi sont des conséquences du dérèglement du climat.
Les événements extrêmes vont se multiplier
Les effets et les conséquences du réchauffement climatique sont variables selon les régions du monde et les épisodes de précipitations importantes dans certaines régions ne sont ainsi pas contradictoires avec le réchauffement climatique, mais sont bien considérés comme l'une de ses conséquences.
Dès la première série de rapport du Giec (archivé ici), publiée entre 1990 et 1992, les auteurs soulignaient déjà la probabilité que le réchauffement de la planète exacerbe les phénomènes climatiques extrêmes. Cette probabilité s'est renforcée au fil du temps. En effet, en 2021, lors de la publication des travaux du premier groupe ayant participé à la rédaction du sixième rapport du Giec, parus en août 2021, l'accent a particulièrement était mis sur l'augmentation attendue de la fréquence d'événements extrêmes (températures extrêmes, fortes précipitations, crues, sécheresse, tempêtes) notamment dans le chapitre 11 de ce rapport nommé "Weather and climate extreme events in a changing climate" (en français, "Météo et événements climatiques extrême dans un climat qui change"), qui fait à lui seul 250 pages.
On peut y lire qu'à "mesure que le climat s'éloigne de ses états passés et actuels, nous allons connaître des événements extrêmes sans précédent, que ce soit par leur ampleur, leur fréquence, leur calendrier ou leur emplacement". Les auteurs ajoutent également que "la fréquence de ces événements extrêmes sans précédent augmentera avec l'accélération du réchauffement climatique. En outre, la survenue combinée de multiples extrêmes sans précédent pourrait entraîner des répercussions importantes".
D'autres études abondent également en ce sens comme celle-ci publiée en 2021 dans la revue Science Advances (archivé ici) dans laquelle les chercheurs estiment que le réchauffement climatique "signifie des variations plus importantes entre extrêmes humides et secs" qui amènent un défi supplémentaire celui "à la résilience climatique des infrastructures et de la société humaine".
Sur son site, l'Organisation météorologique mondiale indique que "le nombre de catastrophes a été multiplié par cinq au cours des 50 dernières années". Elle rappelle également que ces "phénomènes météorologiques plus fréquents et plus intenses" ont des conséquences "accrues sur les populations les plus vulnérables".
Bien que le réchauffement climatique fasse consensus au sein de la communauté scientifique, son existence est fréquemment remise en cause sur les réseaux sociaux. L'équipe d'AFP Factuel réfute régulièrement des affirmations fausses ou trompeuses à ce sujet notamment sur la couverture nuageuse, les vagues de chaleur ou encore sur les variations de températures de l'océan Atlantique.