Le dérèglement climatique est dû aux activités humaines et non à la baisse de la couverture nuageuse

Il existe un large consensus scientifique selon lequel le réchauffement climatique actuel est causé par les émissions de dioxyde de carbone provenant des activités humaines. Cependant, un article de blog largement partagé en français affirme que ce sont les changements dans la composition des nuages qui ont conduit au réchauffement. Il affirme également que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) de l'ONU a modifié en ce sens un graphique de son rapport. Plusieurs experts ont expliqué à l'AFP que le graphique ne présente pas d'anomalie et que même si les nuages sont affectés par le réchauffement des températures, ils n'en sont pas la cause initiale, contrairement aux émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine.

"SCANDALE: le GIEC a inversé les données satellites qui montraient  la vraie cause du réchauffement ; la baisse de la couverture nuageuse et l'ensoleillement", assurent depuis fin juillet des publications sur X (1, 2) et Facebook renvoyant à un billet du blog de Patrice Gibertie.

Ce dernier, qui a déjà diffusé des affirmations trompeuses quant au rôle du soleil sur le réchauffement climatique, a partagé à trois reprises ce même message les 30 et 31 juillet ainsi que le 31 août, récoltant à chaque fois plusieurs centaines de partages.

Selon le billet de blog, "les données des satellites montrent que l'augmentation de la température correspond à une diminution de la couverture nuageuse, ce qui embête le GIEC parce que la couverture nuageuse n'est pas déterminée par l'activité humaine. Donc ils trichent, inversant les données de la couverture nuageuse."

Cette affirmation s'appuie sur une analyse partagée le 26 juillet 2024 sur le blog anglophone Tallbloke's Talkshop et reproduite en français sur celui  de Patrice Gibertie.

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Captures d'écran réalisées sur X le 05/09/2024

Selon les auteurs du texte, Ned Nikolov et Karl Zeller, le réchauffement climatique s'expliquerait par une augmentation de la diffusion du rayonnement solaire, permise par une couverture nuageuse moins importante qu'auparavant, et non pas par les gaz à effet de serre émis par les activités humaines. D'après eux, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) serait donc obligé de "manipuler" les données scientifiques pour aboutir à la conclusion que le changement climatique est anthropique.

Ned Nikolov et Karl Zeller figurent dans la base de données sur la désinformation climatique du média anglophone spécialisé dans les sujet sur l'environnement et le climat DeSmog (liens archivés ici et ici). Ils ont notamment déjà été vivement critiqués sur leur méthodologie pour avoir publié, sous pseudonyme, un article suggérant que les émissions de gaz à effet de serre n'auraient aucune incidence sur le réchauffement climatique.

Le blog Tallbloke's Talkshop est, lui, décrit par DeSmog comme un blog  climato-"sceptique" (lien archivé ici).

Les deux auteurs du billet de blog ont émis des affirmations similaires dans un article publié en août dans la publication Geomatics, qui n'est pas une publication considérée comme sérieuse dans le milieu de la climatologie, comme l'ont souligné plusieurs experts auprès de l'AFP.

Le climatologue Kevin Trenberth, du Centre national américain de recherche sur l'atmosphère (NCAR), a expliqué à l'AFP le 21 août 2024 n'avoir "jamais entendu parler de cette revue" (lien archivé ici). "Ce n'est pas un endroit pour publier sur ce sujet", a-t-il ajouté.

L'article publié sur Geomatics avait là encore était partagé en ligne par des internautes francophones, notamment sur X.

Plusieurs experts ont expliqué à l'AFP que les allégations émises par MM. Nikolov et Zeller s'appuient sur une mauvaise façon de comparer des données. Selon eux, les nuages sont une discipline de recherche centrale mais, bien qu'il subsiste de nombreuses incertitudes quant à leur impact sur le changement climatique, les évolutions observées de la couverture nuageuse sont généralement considérés comme une conséquence du réchauffement plutôt que comme une cause. 

Graphique en phase avec les pratiques du Giec

L'article de blog fait référence au sixième rapport du Giec, publié en août 2021, et en particulier au graphique 7.3 situé chapitre 7, page 936 (liens archivés ici et ici).

Le chapitre s'arrête sur le bilan énergétique de la Terre - parfois aussi appelé bilan radiatif de la Terre - qui consiste à quantifier la différence entre les flux d'énergie entrant dans le "système" terrestre et ceux sortants. Le texte analyse aussi comment les changements atmosphériques et l'utilisation des sols affectent le climat en modifiant le bilan énergétique de l'atmosphère. Ce dernier comprend l'équilibre entre le rayonnement absorbé par la Terre et celui émis dans l'espace (lien archivé ici).

Le graphique se trouve à la section 7.2.2.1. "Changements dans le budget énergétique atmosphérique de la Terre" et décrit les flux d'énergie atmosphérique basés sur divers modèles climatiques et le projet Clouds and Earth's Radiant Energy System (Ceres) de l'Administration spatiale américaine (lien archivé ici).

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Capture d'écran réalisée sur le sixième rapport du Giec le 05/09/2024

Le Ceres étudie le bilan énergétique de la Terre grâce à plusieurs instruments, notamment des satellites. Il surveille l'évolution du bilan de rayonnement et l'effet des nuages et d'autres caractéristiques atmosphériques sur celui-ci. 

Les auteurs affirment que le Giec présente le graphique de telle sorte que les flux d'énergie du rayonnement solaire réfléchi et du rayonnement thermique sortant de la Terre sont opposés aux flux mesurés par le Ceres. Ils assurent avoir découvert après examen que les données utilisées pour construire le graphique avaient été multipliées par -1, c'est-à-dire qu'elles auraient été inversées.

Selon Ned Nikolov et Karl Zeller, Matt Palmer, l'un des principaux auteurs du chapitre et directeur de recherches sur le niveau de la mer et la teneur en chaleur des océans au service national britannique de météorologie (Met Office), aurait confirmé cette manipulation des données (lien archivé ici).

Cependant, cette différence s'explique par l'utilisation de deux pratiques distinctes lors de la compilation de données.

Un porte-parole de l'institut météorologique britannique a expliqué à l'AFP le 23 août 2024 que les données du Ceres sont toujours enregistrées comme une valeur positive, qu'il s'agisse de rayonnements entrant ou sortant de la Terre (lien archivé ici). Cela signifie que les quantités de rayonnement solaire atteignant la Terre et l'énergie réfléchie sont toujours des valeurs positives.

Le Giec, de son côté, applique une pratique unique à tous les flux d'énergies (pas seulement pour les données du Ceres) consistant à comptabiliser les flux entrant sur Terre comme positifs, du fait de leur pouvoir réchauffant, et ceux réémis par la planète comme négatifs, du fait de leur effet rafraîchissant, a ajouté le représentant du service national britannique de météorologie.

"Convertir les données de cette manière les rend cohérentes avec les autres données sur rapport du Giec et ne modifie pas les valeurs ou la tendance des données si elles sont présentées selon des conventions correctes", a poursuivi le porte-parole du Met Office. "Aucune représentation erronée n'a eu lieu, il s'agit simplement de l'utilisation de conventions cohérentes sur la notation des données, comme le font les meilleures pratiques scientifiques."

C'est aussi expliqué dans la légende du graphique réalisé par le Giec : "Toutes les anomalies de flux sont définies comme positives vers le bas, conformément à la convention de signe utilisée tout au long de ce chapitre".

Kevin Trenberth, qui a été l'auteur principal des rapports du GIEC de 1995, 2001 et 2007 et a été l'un des récipiendaires du prix Nobel de la paix décerné au GIEC en 2007, a assuré à l'AFP  que "multiplier par -1 est approprié".

Consensus scientifique sur l'origine humaine du réchauffement climatique

Plus généralement, Ned Nikolov et Karl Zeller assurent dans leur article de blog que l'intégralité du réchauffement observé dans la partie la plus basse de l'atmosphère depuis 2000 s'explique par le "forçage radiatif" solaire, un effet qui serait causé par des changements dans la composition des nuages et non pas par les gaz à effet de serre.

Le forçage climatique ou radiatif décrit le déséquilibre énergétique causé par divers facteurs dans le système climatique (lien archivé ici). Par exemple, les gaz à effet de serre présents dans l'atmosphère provoquent le réchauffement climatique tandis que les particules fines refroidissent le climat. Ces effets peuvent être comparés en évaluant la force de rayonnement, mesurée en watts par mètre carré (W/m2).

Selon le blog, les données du Ceres montrent que la quantité de rayonnement solaire absorbée par la Terre chaque année a augmenté entre 2000 et 2023 en raison de la diminution de l'albédo planétaire principalement due à une baisse du nombre de nuages bas. Le texte affirme que la hausse était de 2,0 W/m2 de 2000 à 2020 et de 2,7 W/m2 entre 2000 et 2023.

L'albédo désigne la capacité d'une surface à réfléchir les rayonnements (lien archivé ici). L'albédo planétaire joue un rôle important dans le bilan énergétique de la Terre puisqu'environ un tiers des radiations reçues sont immédiatement réfléchies vers l'espace, notamment par les nuages et la glace, indique le site web de l'Institut météorologique finlandais (en finnois, lien archivé ici).

L'article de blog compare les données du CERES avec l'impact anthropique de 1750 à 2019 (2,72 W/m2 selon le rapport du GIEC) et affirme que "le forçage radiatif solaire mesuré au cours des 2,4 dernières décennies est égal au forçage induit par l'homme estimé par les modèles au cours des 27 dernières décennies".

Cependant, cette comparaison n'est pas valide.

D'une part, l'article fait une mauvaise utilisation des données du Ceres. Selon Kevin Trenberth, la quantité de rayonnement solaire absorbé a diminué de près de 1 W/m2 par rapport au pic de 2023. Le 2,7 W/m2 mentionné dans l'article de blog représente le passage "d'un pic à un autre".

D'autre part, comparer les données du Ceres avec le forçage climatique d'origine humaine mentionné dans le rapport du Giec est trompeur.

Patrick Brown, l'un des dirigeants de la section climat et énergie du centre de recherche The Breakthrough Institute, a expliqué que la comparaison ne fonctionne pas en raison des effets de rétroaction, c'est-à-dire des changements dus au réchauffement climatique qui à leur tour renforcent ou atténuent les effets du forçage initial (liens archivés ici et ici).

"Ce n'est pas une comparaison valable parce que les changements dans les nuages sont au moins partiellement dus aux évolutions de température qui réagissent aux changements de concentration de gaz à effet de serre", a-t-il indiqué à l'AFP le 27 août. Selon lui, les phénomènes de rétroaction tels que la réduction de l'albédo de la glace, les changements dans la couverture nuageuse et l'évolution du niveau de vapeur d'eau ont multiplié par 3 l'effet des humains sur le climat entre 1750 et 2019.

Le scientifique souligne également que certains experts interprètent la quasi-totalité de la réduction de l'albédo comme une rétroaction positive du réchauffement initialement induit par l'augmentation des concentrations de gaz à effet de serre.

"C'est comme comparer des choux et des carottes", abonde Kevin Trenberth. "Le forçage estimé est quelque peu idéalisé. En même temps, il y a toutes sortes de réponses dans le système climatique". Selon lui, la réaction la plus significative est l'augmentation de l'évaporation, qui a entraîné une augmentation de la quantité de vapeur d'eau dans l'atmosphère. "L'effet est aussi important qu'une augmentation du dioxyde de carbone", assure-t-il.

Comme expliqué dans cet article publié sur le site de The Conversation par Kevin Trenberth, l'atmosphère peut contenir environ 7% d'eau supplémentaire pour chaque degré Celsius de réchauffement, causé par les gaz à effet de serre d'origine humaine, et il y a aujourd'hui 5 à 15% de vapeur d'eau en plus dans l'atmosphère qu'avant 1970 (lien archivé ici). Cela a probablement contribué au réchauffement climatique autant que l'augmentation du dioxyde de carbone.

Le consensus scientifique établi au cours des dernières décennies grâce à la compilation de milliers d'études démontre clairement la réalité du dérèglement climatique et son origine anthropique.

Le Giec déclare qu'il est "sans équivoque que l'influence humaine a réchauffé l'atmosphère, les océans et les terres" (lien archivé ici). Des études montrent qu'il existe un large consensus scientifique sur ce point : une étude de 2021 dans Environmental Research Letters montre que l'accord sur le réchauffement climatique d'origine humaine varie de 91 % à 100 %. Parmi ceux qui possèdent le plus haut niveau d'expertise, "il y avait un accord à 100% sur le fait que la Terre se réchauffe principalement à cause de l'activité humaine".

Patrick Brown ajoute que même si sur des échelles de temps de plusieurs décennies, il pourrait y avoir une composante de variabilité naturelle substantielle dans le changement climatique, comme le montre cet article de 2014 dans Geophysical Research Letters, "cela ne change en rien notre compréhension globale selon laquelle l'augmentation des gaz à effet de serre réchauffe le climat" (lien archivé ici).

Cette étude publiée dans Nature Scientific Reports en 2017 a montré que le réchauffement dans la basse atmosphère de 1979 à 2016 est nettement plus important que dans les modèles estimant les tendances résultant de la variabilité interne naturelle (lien archivé ici).

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Anomalies mensuelles de température moyenne mondiale, année par année, selon les données de Copernicus C3S ECMWF, de 1940 à juillet 2024 (AFP / Paz PIZARRO)

Défi pour les modèles climatiques

Les changements nuageux sont généralement considérés comme un effet de rétroaction du réchauffement plutôt que comme la cause initiale du réchauffement climatique, selon Patrick Brown. "La principale raison est que la durée de vie des nuages varie de quelques minutes à quelques jours. Cela contraste avec le CO2 élevé, qui dure plusieurs siècles. Ainsi, un CO2 élevé est suffisamment persistant pour réchauffer le climat mondial, et les caractéristiques des nuages changent en conséquence dans un climat mondial réchauffé", explique-t-il.

Les nuages, en revanche, ne sont pas suffisamment persistants pour modifier suffisamment la température mondiale, poursuit le chercheur. "Les nuages peuvent donc varier de manière aléatoire, et ils peuvent évoluer en fonction d'autres oscillations du système climatique comme les circulations océaniques (Brown et al., 2016), mais ces variations nuageuses ne se perpétuent pas d'elles-mêmes, et nous ne pensons pas qu'elles puissent provoquer un changement climatique à l’échelle d’un siècle", conclut le co-directeur de la section climat et énergie du centre de recherche The Breakthrough Institute (lien archivé ici).

Une autre affirmation du blog est que les modèles climatiques présentés dans le graphique sous-estiment considérablement la diminution de l'albédo de la Terre et l'augmentation associée du rayonnement solaire absorbé depuis 2000. Les modèles présentés dans le graphique sont des modèles CIMP6, c'est-à-dire ceux qui ont été mis à jour pour le sixième rapport d’évaluation du Giec (lien archivé ici).

"Tous les modèles climatiques simulent les nuages, mais il est reconnu depuis de nombreuses décennies que la simulation des nuages et de leur réaction au réchauffement représente la plus grande incertitude de la science du climat", indique Patrick Brown. "Le fait que les modèles aient du mal avec les nuages n'est pas une nouveauté et n'affecte pas notre compréhension globale du changement climatique", ajoute le chercheur.

Dans la section de questions-réponses dédiée au chapitre 7 de son sixième rapport d'évaluation, le Giec assure que prédire comment les nuages interagiront avec le réchauffement climatique a été "l'un des plus gros défis" de la science du climat (lien archivé ici).

Il explique que les modèles climatiques mondiaux ne sont pas d’accord sur la manière dont les nuages évolueront à l’avenir et sur leurs effets sur le réchauffement climatique, mais que les modèles actuels stimulent mieux le comportement des nuages que les précédents grâce aux progrès des capacités de calcul et à la compréhension des processus.

L'AFP a vérifié de nombreuses intox concernant le changement climatique, notamment de fausses affirmations sur le rôle du soleil, des interprétations trompeuses d'images satellite ou encore des propos erronés assurant que "plus de CO2, c'est bon pour la planète". Tous nos articles de vérification sur le climat sont disponibles ici.

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La lagune de Kalochori, une zone humide clé à l’ouest de Thessalonique, en Grèce, a été confrontée à un grave rétrécissement des eaux le 27 août 2024. (AFP / Sakis MITROLIDIS)

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