Attention à ces vidéos autour de supposées "annonces" de Michel Barnier

Près de deux mois après le second tour des législatives anticipées, Emmanuel Macron a nommé Michel Barnier Premier ministre jeudi 5 septembre. L'ancien commissaire européen, qui ne dispose pas de majorité, va devoir former un gouvernement pour mettre fin à la plus grave crise politique depuis 1958. Michel Barnier a déjà promis de faire de l'éducation, la sécurité, l'immigration, le travail et le pouvoir d'achat ses priorités. Dans ce contexte, plusieurs vidéos de prétendues annonces (Sécu, chômage...) du nouveau Premier ministre ont largement circulé en ligne depuis sa nomination. Il s'agit d'infox puisque Michel Barnier n'avait -au 9 septembre 2024- rien annoncé de tel. Et l'une des séquences s'appuie sur des images dont le son a été manipulé.

Emmanuel Macron a nommé jeudi 5 septembre 2024 l'ancien ministre et commissaire européen de droite Michel Barnier Premier ministre, 60 jours après le second tour des législatives qui n'ont débouché sur aucune majorité absolue, suscitant la réprobation de la gauche qui a dénoncé un "quitus" du Rassemblement national, le parti de Marine Le Pen n'ayant pas agité la menace d'une censure immédiate (lien archivé ici), contrairement aux autres noms évoqués précédemment.

Cinq heures plus tard, le nouveau Premier ministre, issu des Républicains (LR), procédait à Matignon à la traditionnelle passation de pouvoirs avec Gabriel Attal, démissionnaire depuis 51 jours.

A 73 ans, il devient le plus vieux Premier ministre de la Ve République, succédant ainsi au plus jeune, 35 ans, qui avait été nommé en janvier seulement.

M. Barnier, qui sera soutenu par le camp présidentiel et les LR, mais sans majorité, va devoir tenter de former un gouvernement susceptible de survivre à une censure parlementaire, pour mettre fin à la plus grave crise politique depuis 1958.

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Le nouveau Premier ministre français Michel Barnier serre la main du Premier ministre sortant Gabriel Attal lors de la cérémonie de passation de pouvoir à l'hôtel Matignon à Paris, le 5 septembre 2024. (POOL / STEPHANE DE SAKUTIN)

Sur les réseaux sociaux, cette nomination a suscité de nombreuses réactions et entraîné plusieurs infox.

"Alerte. Les durs [sic] mesures de Michel. Le premier ministre annonce la couleur", assure par exemple la légende d'une vidéo partagée plus de 13.000 fois sur TikTok depuis le 8 septembre 2024.

"On va augmenter les impôts, augmenter la taxe carburant et augmenter le temps de travail : cela va être difficile je le sais, mais nécessaire pour le pays. Ensuite, nous allons supprimer l'assurance chômage et les remboursements de la sécurité sociale", semble dire Michel Barnier dans cette séquence d'une dizaine de secondes partagée par plusieurs profils.

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Capture d'écran réalisée sur TikTok le 09/09/2024

Parmi les commentaires, certains internautes s'indignent, estimant que le Premier ministre "cherche la guerre" et devrait "baisser [son] salaire" tandis que d'autres assurent qu'il s'agit d'un montage.

Cadrée en plan serré, la vidéo laisse toutefois constater pendant quelques instants que Michel Barnier s'exprime devant un bâtiment entouré de plusieurs hommes de la Garde républicaine ainsi que du Premier ministre sortant Gabriel Attal. Il tient dans ses mains une feuille ainsi que ses lunettes.

Deepfake

Une recherche d'image inversée permet de constater que la séquence a été filmée lors de la passation de pouvoir entre Gabriel Attal et Michel Barnier le jeudi 5 septembre 2024.

Le nouveau Premier ministre y a tenu un discours d'une dizaine de minutes visionnable à partir de la 17ème minute dans la vidéo partagée sur la chaîne YouTube officielle du gouvernement (lien archivé ici).

Michel Barnier y a promis des "changements et des ruptures" (lien archivé ici). "Il s'agira de répondre, autant que nous le pourrons, aux défis, aux colères, aux souffrances, au sentiment d'abandon, d'injustice", a déclaré l'ex-commissaire européen, soulignant le "besoin d'unité et d'apaisement".

Répondant à son prédécesseur, il a assuré que l'école resterait "la priorité", citant également la sécurité, l'immigration, le travail et le pouvoir d'achat, autant de questions sur lesquelles il est attendu par le Rassemblement national.

Mais à aucun moment de ce discours Michel Bernier n'a mentionné précisé les détails de son projet et il a encore moins évoqué les taxes sur le carburant, une possible suppression de l'assurance chômage ou encore la fin des remboursements par la Sécurité sociale.

Selon l'outil Invid-WeVerify, Loccus.ai, un détecteur de deepfakes, estime que l'audio de la vidéo a été "très probablement généré par l'IA".

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Capture d'écran réalisée sur lnVid-WeVerify le 09/09/2024

L'AFP a également analysé le fichier audio à l'aide du logiciel ElevenLabs Speech classifier, qui a estimé la probabilité que la voix de l'enregistrement ait été générée par IA à 98% (lien archivé ici).

Le logiciel indique aussi qu'il est "très probable" que l'audio ait été généré directement par cette même plateforme ElevenLabs, qui permet de cloner des voix en se fondant sur des extraits sonores réels. 

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Capture d'écran réalisée sur le site d'Eleven Labs le 09/09/2024

Pour autant, Michel Barnier a déjà partagé son avis sur les sujets mentionnés dans la vidéo virale.

Par exemple, dans une note de blog intitulée "Retrouver l'honneur du travail" et supprimée depuis, Michel Barnier écrivait par exemple en 2021 qu'il était nécessaire de "réformer" l'assurance chômage pour "vraiment orienter vers les secteurs qui recrutent" estimant que "les allocations doivent être systématiquement supprimées après deux refus d'offres d'emploi raisonnables".

Fausse contribution au désendettement public

Sur TikTok et Facebook, une autre vidéo présentant de supposées annonces de Michel Barnier a également collecté plus de 10.000 partages depuis le 7/8 septembre. Selon l'internaute filmé face caméra, "le Premier ministre Michel Barnier vient de le confirmer, c'est donc officiel, à partir du 1er janvier 2025, toutes les personnes qui ne paient pas d'impôt sur le revenu devront payer un effort financier à la dette nationale de 25 euros par mois". 

L'homme assure que cette contribution se nommera "effort financier à la dette nationale (EFDN)" et sera directement prélevée sur les comptes bancaires des personnes qui y seront assujetties. Toujours selon cet internaute, les chefs d'entreprises disposant d'une masse salariale supérieure à 20 personnes seront de leur côté "exonérés d'impôts jusqu'en 2028".

Une recherche avancée sur internet avec différents mots-clés comme "effort financier à la dette nationale", "EFDN", "Barnier", "impôt sur le revenu" n'a pas permis de retrouver la trace de ces affirmations. De même concernant de supposées nouvelles exonérations d'impôts visant les dirigeants d'entreprise.

Michel Barnier n'a pas non plus évoqué ces sujets lors de la passation de pouvoir avec Gabriel Attal, lors de son passage au JT de TF1 le 6 septembre 2024 ou dans l'entretien qu'il a accordé au JDD (liens archivés ici et ici).

Il n'existe à ce jour pas de contribution visant spécifiquement à rembourser la dette publique française qui s'élevait à la fin du premier trimestre 2024 à 3.159,7 milliards d'euros, soit 110,7% du Produit intérieur brut hexagonal (PIB), selon l'Insee (lien archivé ici).

En revanche, deux mécanismes ont été créés pour réduire l'endettement de la sécurité sociale et financer la protection sociale : la contribution sociale généralisée (CSG), instaurée en 1991 et "prélevée sur la plupart des revenus, à l'exception des prestations sociales et familiales", explique le site Vie Publique, et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) instaurée en 1996 (liens archivés ici et ici). D'un taux fixe de 0,5%, ce deuxième impôt s'applique à l'essentiel des revenus ainsi qu'à certaines prestations sociales.

Ce n'est pas la première fois que des infox liées au compte bancaire des Français circulent sur les réseaux sociaux. En mars 2024, des internautes affirmaient par exemple que l'Etat français allait prélever 500 euros des comptes épargne "d'un Français sur dix" pour aider l'Ukraine, une allégation qui ne reposait sur aucun fondement, d'autant qu'une telle action aurait été illégale.

En 2022, plusieurs allégations trompeuses concernant l'argent liquide (1, 2, 3) avaient également été vérifiées par l'AFP.

Revoici avec captures d'écran en trop supprimées
9 septembre 2024 Revoici avec captures d'écran en trop supprimées

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