Attention à cette vidéo décontextualisée de Keir Starmer pris à partie par des manifestants

  • Publié le 06 septembre 2024 à 17:41
  • Mis à jour le 09 septembre 2024 à 10:28
  • Lecture : 7 min
  • Par : Océane CAILLAT, AFP France
Après le meurtre fin juillet de trois fillettes à Southport, au Royaume-Uni, des émeutes attisées par de fausses informations circulant en ligne ont secoué le pays. Des comportements dénoncés par le Premier ministre Keir Starmer qui a affirmé vouloir faire preuve d'une plus grande fermeté concernant les propagateurs d'infox ou d'incitations à la haine sur les réseaux sociaux. Une annonce critiquée par certains Britanniques qui y voient une atteinte à la liberté d'expression. Dans ce contexte, des internautes ont partagé une vidéo en affirmant que celle-ci montrait le chef du gouvernement être pris à partie à cause de ces déclarations. Mais la vidéo date en réalité de 2022 et n'a rien à voir. A cette date, Keir Starmer n'était en outre pas encore à Downing Street.

Le 29 juillet 2024, à Southport au nord-ouest de l'Angleterre, trois fillettes ont perdu la vie à la suite d'une attaque au couteau. Dans les heures qui ont suivi, des rumeurs quant présentant l'assaillant comme un demandeur d'asile musulman ont été relayées par d'influents comptes d'extrême droite sur les réseaux sociaux.

Cette affirmation -fausse- a alors conduit à une vague d'émeutes en Angleterre, mais aussi en Irlande du Nord visant notamment des centres pour migrants et des mosquées, à laquelle s'est ajoutée une explosion de violences racistes et xénophobes sur les réseaux sociaux.

Une situation qui a poussé la police a dévoilé l'identité du suspect : Axel Rudakubana, un adolescent de 17 ans né à Cardiff, au Royaume-Uni, dans une famille originaire du Rwanda, un pays très majoritairement chrétien.

Dans ce contexte, le Premier ministre Keir Starmer a alors mis en garde les responsables des réseaux sociaux (archivé ici) . "Les violents désordres, clairement attisés en ligne, constituent des délits", a-t-il souligné.

Mi-août, plus de 900 personnes avaient déjà été arrêtées et plus de 450 avaient été inculpées pour violences ou incitation à la haine en ligne. Des arrestations qui ont poussé certains citoyens britanniques à dénoncer une atteinte à la liberté d'expression notamment sur les réseaux sociaux. 

"Le Premier ministre Keir Starmer membre du Forum économique mondial (WEF) la peur se remarque sur son visage, il est attaqué par des Britanniques furieux. Des millions de Britanniques l'insultent sur les censures de la liberté d'expression", écrit sur X une internaute dans une publication postée le 4 septembre et depuis partagée plus d'un millier de fois. 

L'utilisatrice relaie une vidéo de près de deux minutes. On y voit l'actuel Premier ministre du Royaume-Uni être escorté par la police à proximité du quartier londonien de Westminster (où se trouve le siège du Parlement) tandis que des manifestants le traitent de "traître". 

Un autre compte sur X qui relaie aussi ces images affirme quant à lui : "Les anglais n'ont pas l'air d'apprécier les dernières mesures prises contre la liberté d'expression".

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Capture d'écran de X réalisée le 5 septembre 2024.

Cette affirmation et cette même vidéo ont aussi fait l'objet de publications très virales en anglais.

Une vidéo décontextualisée 

Réaliser une recherche d'images inversée à partir de captures d'écran effectuées sur la vidéo permet de savoir si ces images ont déjà été diffusées auparavant sur internet. 

La recherche à partir de cette vidéo nous a conduit à différents articles de la presse britannique comme le quotidien The Independent ainsi que des tabloïds le Daily Record et le Daily Mail (archivés ici, ici et ici). Tous ont été publiés entre le 7 et le 8 février 2022 et évoquent une confrontation entre Keir Starmer et des manifestants l'accusant de protéger les pédocriminels.

Les résultats nous ont aussi permis de retrouver l'enregistrement de cette même scène, mais depuis un angle différent dans une publication postée sur X, le 7 février 2022, par le journaliste Darren McCaffrey (archivé ici).

De plus, un autre indice, le logo du tabloïd britannique The Sun en haut à droite de la vidéo relayée nous a permis de remonter à sa première publication.

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Capture d'écran d'une publication X, réalisée le 5 septembre 2024.

Une recherche par mots-clefs, en anglais et incluant "The Sun", nous a permis de découvrir que cette vidéo avait été postée pour la première fois, le 7 février 2022, par la chaîne YouTube officielle de The Sun (archivé ici).

En effet, la comparaison entre les deux vidéos, celle actuellement relayée sur les réseaux sociaux et celle disponible sur le compte YouTube de The Sun, montrent bien qu'il s'agit des mêmes images.

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Capture d'écran réalisée sur YouTube, le 5 septembre 2024, avec ajout d'encadrés colorés par l'AFP.
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Capture d'écran réalisée sur X, le 5 septembre 2024, avec ajout d'encadrés colorés par l'AFP.
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Capture d'écran réalisée sur YouTube, le 5 septembre 2024, avec ajout d'encadrés colorés par l'AFP.
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Capture d'écran réalisée sur X, le 5 septembre 2024, avec ajout d'encadrés colorés par l'AFP.

Or, au moment de cette scène en 2022, Keir Starmer n'est pas à la tête du gouvernement britannique, mais de l'opposition, en tant que chef du parti travailliste. Il ne prendra la tête du gouvernement que deux ans plus tard, le 5 juillet 2024, lorsqu'il succède au conservateur Rishi Sunak et met ainsi fin à 14 ans de pouvoir conservateur.

Une agression sur fond d'accusations infondées 

L'altercation que l'on voit dans cette vidéo n'a donc aucun lien avec le débat au Royaume-Uni au sujet de la liberté d'expression.

Elle était survenue après que Boris Johnson, alors Premier ministre, eut formulé de fausses accusations à l'encontre de Keir Starmer. En effet, le 31 janvier 2022, Boris Johnson est interrogé au sujet des fêtes organisées en plein confinement à sa résidence et à son bureau, par l'opposition, en l'occurrence le parti travailliste.  

Boris Johnson riposte en  accusant le chef de ce parti, Keir Starmer, de ne pas avoir poursuivi lorsqu'il était "Director of public prosecutions" (littéralement "Directeur des poursuites publiques", sorte de procureur général) du Royaume-Uni Jimmy Savile, ancien animateur Star de la BBC et  accusé de nombreux viols et agressions sexuelles sur mineurs pendant des décennies.

La déclaration reprise par des groupes d'extrême-droite (archivé ici) avait alors créé de nombreux remous au sein du parti conservateur entrainant notamment la démission de Munira Mirza, conseillère politique de Boris Johnson, comme l'avaient rapporté la BBC, Sky News ou encore Libération (archivés ici, ici et ici).

Elle a ensuite donné lieu à cette prise à partie de Keir Stamer par des manifestants en pleine rue nécessitant une escorte policière dont les images sont aujourd'hui à nouveau relayées. On entend, en effet, sur la vidéo les manifestants crier "protecteur de pédophile" et le nom "Jimmy Savile". Cette dépêche AFP du 7 février 2022 (archive).

Mais l'accusation de Boris Johnson à l'encontre de Keir Starmer, est infondée comme l'ont rapporté plusieurs médias dont la BBC, The Guardian et l'agence Reuters (archivés ici, ici et ici).

En 2008, Keir Starmer prend la tête du Crown Prosecution Service, organisme indépendant du gouvernement qui est en charge de la poursuite des affaires criminelles qui ont fait l'objet d'une enquête de la police ou d'autres organismes d'enquête en Angleterre et au Pays de Galles. Des enquêtes sont alors en cours au sujet du célèbre agresseur sexuel, Jimmy Savile.

Mais faute de preuve, l'affaire est close un an plus tard sans que Keir Starmer pourtant à la tête de l'institution soit mis au courant. Un an après la mort de Jimmy Savile, Keir Starmer chargera  sa principale conseillère juridique d'une enquête formelle sur les raisons de cet abandon. 

A la suite de la prise à partie de Keir Starmer par des manifestants en février 2022, Boris Johnson avait quant à lui exprimé sur X ses regrets en la qualifiant d'"inacceptable" et en remerciant la police "d'avoir agi rapidement" (archivé ici), sans pour autant retirer ses propos. 

L'AFP a déjà réfuté des affirmations fausses ou trompeuses au sujet du Royaume-Uni, comme ici ou ici

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