Attention à cette fausse une du journal Libération sur la qualité des eaux de la Seine

Les épreuves de triathlon des Jeux de Paris 2024 se sont finalement bien déroulées dans la Seine, après des mois d'incertitudes liées à la qualité de l'eau. Dans ce contexte, une fausse une du quotidien Libération, utilisant des images sorties de leur contexte d'un triathlète vomissant après son épreuve, a été diffusée sur les réseaux sociaux prétendant que la mauvaise qualité de l'eau aurait engendré des soins médicaux chez "25 athlètes". Il s'agit d'une manipulation qui reprend les codes de précédentes opérations de désinformation visant l'organisation des Jeux. Le triathlète canadien apparaissant sur la photo avait indiqué avoir vomi en raison de son effort important, sans lier cela aux eaux de la Seine.

Malgré le fait que les épreuves individuelles de triathlon des Jeux de Paris 2024 ont été repoussées et que plusieurs entraînements ont été été annulés en raison de la qualité de l'eau de la Seine, les trois épreuves prévues (hommes, femmes et relais mixte), se sont finalement bien déroulées dans la Seine les 31 juillet et 5 août 2024.

Ce contexte d'incertitudes liées à la qualité des eaux a néanmoins alimenté des infox sur la santé des triathlètes.

"J.O. DE PARIS - NATATION DANS LA SEINE. Maintenant on est à 25 cas de triathlètes qui ont eu besoin de soins médicaux...", énonce la description d'une publication partagée à plus de 3.000 reprises sur X en moins d'un jour - qui a depuis été supprimée. 

Elle diffuse une image de ce qui semble être une page de couverture du quotidien Libération, sur laquelle on peut voir une image d'un athlète vomir, et peut lire : "24 autres athlètes (en plus de celui sur l'image, NDLR), ont eu besoin de soins médicaux après avoir nagé dans la Seine".

La même image a été partagée par d'autres comptes sur X, Facebook et YouTube, et une version plus large de la prétendue une du journal a aussi été relayée par des comptes sur X et VKontakte avec des descriptions en anglais et en russe.

La publication avait aussi été relayée par la députée LFI Ersilia Soudais, qui s'est ensuite excusée pour avoir partagé cette "fausse information" sur X.

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Capture d'écran d'une publication trompeuse prise sur X le 5/8/2024

Ces contenus trompeurs ne sont pas sans rappeler des infox diffusées dans le cadre du dispositif "Matriochka", une opération attribuée à la Russie qui vise à interpeller des médias occidentaux pour tenter de les inonder de contenus à vérifier, sur laquelle l'AFP était revenue à plusieurs reprises, comme ici ou 

Le mode de fonctionnement fait aussi penser à celui de l'opération "Doppelgänger", consistant à usurper l'identité visuelle de médias, généralement occidentaux, pour mettre en avant un narratif pro-russe autour de l'Ukraine - comme l'avait détaillé l'AFP dès juin 2023. 

Ici, ce n'est cependant pas l'Ukraine qui est visée mais plutôt la bonne tenue des Jeux, et en particulier les épreuves de nage comme celle du triathlon (lien archivé ici) dans la Seine, qui se voulaient être un symbole des Jeux - et qui ont aussi fait émerger une vague de désinformation, comme le notait déjà l'AFP dans cet article de vérification.

Une couverture introuvable et "fausse"

Des recherches dans les archives (lien archivé ici) de Libération ne nous ont pas permis de retrouver la prétendue une figurant dans les publications sur les réseaux sociaux.

Dans les versions entières de la page circulant sur les réseaux sociaux, on peut lire que l'édition serait celle du 1er août 2024. Or, on ne retrouve sur la une du quotidien ce jour-ci (lien archivé ici), lendemain des épreuves de triathlon femmes (lien archivé ici) et hommes (lien archivé ici) dans la Seine, aucune mention de ces dernières. 

La moitié haute de la page mentionne une interview du président ukrainien Volodymyr Zelensky, et la seule évocation des JO mentionne le nageur français Léon Marchand.

Ces deux sujets sont par ailleurs évoqués sur la une manipulée, mais sont décalés sur la page. La moitié basse de la vraie Une évoque des inquiétudes liées à des frappes à Beyrouth et Téhéran.

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Comparaison entre la publication partageant la une trompeuse (à gauche) et la une de Libération authentique du 1er août 2024 (à droite)

Aucune une semblable à celle diffusée sur les réseaux sociaux ne figure non plus dans les archives présentes sur le site du journal depuis l'ouverture des Jeux olympiques de Paris, le 26 juillet 2024.

Le service de vérification de Libération, CheckNews, a par ailleurs confirmé dans un article (archivé ici) plus général sur des rumeurs liées à des maladies d'athlètes à la suite de baignades dans la Seine, que cette couverture était "fausse".

Certaines publications ont associé la prétendue une avec d'autres contenus usurpant visiblement l'identité d'autres médias français, visant à corroborer l'idée selon laquelle les baignades dans la Seine seraient dangereuses.

Ici, deux prétendues couvertures des médias Marianne et Le Parisien (dont aucune ne correspond aux authentiques unes des journaux) ont aussi été diffusées.

Mélanger des contenus manipulés usurpant l'identité de divers médias pour faire croire qu'ils mentionneraient tous le même sujet est uns technique qui avait déjà été utilisée pour diffuser des fausses assertions sur la qualité de la Seine, propagées par des comptes identifiés comme faisant partie du dispositif "Matriochka", comme relaté dans cet article de l'AFP juste avant le début des JO.

Le triathlète canadien Tyler Mislawchuk allé "jusqu'au bout"

La couverture manipulée mentionne le triathlète canadien Tyler Mislawchuk, arrivé 9e de l'épreuve masculine (lien archivé ici), qui aurait dit avoir "vomi 10 fois" après son épreuve dans la Seine.

On peut retrouver une citation semblable dans un article l'interrogeant publié sur le site du Comité olympique canadien, qui revient sur la course de l'athlète.

"J'ai vraiment tout donné. J'ai vomi 10 fois après la course. Il faisait chaud sur les derniers tours", dit-il. Mais nulle part dans l'article, Tyler Mislawchuk n'attribue ses vomissements à la qualité des eaux de la Seine. 

Une recherche d'image inversée à partir de la photo montrant l'athlète vomissant a permis de la retrouver partagée sur le compte Instagram du triathlète canadien, avec comme légende : "aucun regrets, jusqu'au bout".

Dans un entretien diffusé sur le compte Instagram de la chaîne officielle de l'équipe olympique canadienne, au cours duquel il revient sur sa course, il indique aussi attribuer ses vomissements au fait qu'il ait "avalé beaucoup d'eau" et ait "eu l'estomac vraiment rempli", précisant néanmoins que cela n'a "rien à voir avec la qualité" de l'eau ingurgitée.

Interrogés par d'autres médias de vérification, comme ici Les Surligneurs (lien archivé ici) au sujets de rumeurs circulant sur les réseaux sociaux liant cette image à une contamination aux eaux de la Seine, le triathlète et l'équipe olympique canadienne ont aussi démenti tirer tout lien entre l'image impressionnante du vomissement de l'athlète et la qualité des eaux de la Seine.

Des spécialistes avaient par ailleurs expliqué auprès de médias dont Le Parisien (lien archivé ici) qu'il est relativement commun pour des athlètes fournissant des gros efforts de vomir en fin d'épreuves.

Une athlète belge forfait avant le triathlon mixte

La fausse une prétend aussi que "24 autres athlètes ont eu besoin de soins médicaux après avoir nagé dans la Seine".

Des propos qui ont été démentis par Pierre Rabadan, adjoint aux JO de la mairie de Paris. "Il n'y a pas pour l'instant de lien direct entre la Seine et une quelconque maladie", a-t-il assuré (lien archivé ici) le 5 août 2024. 

Ces assertions infondées interviennent alors qu'une triathlète belge, Claire Michel, qui avait fini 38e du triathlon féminin, a déclaré forfait la veille des épreuves de triathlon mixtes en raison d'une "maladie", selon un communiqué (archivé ici) du Comité olympique belge.

Des rumeurs, ensuite démenties, notamment auprès de Franceinfo (lien archivé ici), prétendant que la sportive aurait passé plusieurs jours à l'hôpital ont également circulé à la suite de l'annonce de ce forfait.

Outre la sportive belge, plusieurs triathlètes ont fait état de désagréments gastriques, sans établir de lien avec la baignade. 

"Il y a aussi plein d'autres athlètes qui sont malades au village et qui n'ont pas nagé dans la Seine et ça on en parle un peu moins", a par ailleurs noté Pierre Rabadan, sans plus de précisions.

Comme détaillé dans ce précédent article de l'AFP, des indicateurs concernant les taux de certaines bactéries sont régulièrement vérifiés et permettent de déterminer si une eau est "baignable". Depuis 2006, une directive de l'Union européenne (UE) fixe des seuils pour deux bactéries (Escherichia coli et entérocoques intestinaux), au-dessus desquels une eau n'est pas considérée comme assez propre pour une baignade.

Les taux de pollution peuvent aussi varier selon les points de mesures et la météo. Pour la Seine par exemple, en cas de précipitations intenses, de l'eau non traitée - mélange de pluie et d'eaux usées - peut être rejetée dans le fleuve. 

C'est pourquoi l'épreuve de triathlon masculine avait dû être reportée de 24 heures, ainsi que plusieurs entraînements, l'eau de la Seine étant impropre à la baignade, les organisateurs invoquant des "raisons sanitaires". 

Les taux de bactéries relevés "à certains endroits" du parcours étaient avant l'épreuve, initialement prévue le 30 juillet et finalement reportée au lendemain, "encore supérieurs aux limites acceptables", avaient expliqué le Comité d'organisation et World Triathlon.

Ce qui avait suscité les critiques de certains athlètes : "si la priorité était la santé des athlètes, alors cette course aurait été transférée depuis longtemps sur un autre site. Nous ne sommes que des marionnettes", s'était indigné après le report un autre triathlète belge, Marten van Riel, 4e des JO de Tokyo en 2021. 

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Des triathlètes sautent dans l'eau pendant l'épreuve de triathlon mixte, le 5 août 2024 à Paris (AFP / JULIEN DE ROSA)

Comme l'avait détaillé l'AFP dans ce précédent article, les Jeux olympiques sont une cible de choix pour des attaques informationnelles, prenant la forme de campagnes d'infox destinées à décrédibiliser la France.

L'objectif de long terme des manipulations étrangères est la fracturation des sociétés pour affaiblir les pays occidentaux et saper la confiance des populations dans leurs institutions. Elles appuient sur les failles, les sujets de tension pour attiser les tensions.

"Il suffit que la machine à désinformation détecte lequel de ces problèmes trouve le plus d'écho dans le débat public, pour qu'elle jette ensuite plus d'huile sur le feu pour nous diviser", résumait fin mai Véra Jourova, la Commissaire européenne en charge des valeurs et de la transparence dans un entretien à Libération (archivé ici).

En l'occurrence, le sujet de la baignade dans la Seine est un parfait exemple d'un événement qui a beaucoup été discuté dans l'espace public et qui suscite de réelles interrogations, sur lesquelles il est facile de s'appuyer pour créer des infox.

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