Cette image de nageuses israéliennes appelant à la libération des otages a été réalisée huit mois avant les JO de Paris

Depuis le 7 octobre 2023, de nombreux appels à la libération des otages israéliens détenus à Gaza ont été diffusés. Dans ce contexte, une image montrant des membres de l'équipe israélienne de natation artistique formant les lettres "Bring them home now" ("Ramenez-les à la la maison maintenant") dans une piscine a été diffusée sur les réseaux sociaux avec des légendes affirmant qu'elle aurait été prise pendant les JO de Paris 2024. Les publications assurent aussi qu'il s'agirait d'une protestation contre une mesure du Comité olympique interdisant à l'équipe israélienne de porter un ruban jaune en signe de soutien aux otages. Ces affirmations sont trompeuses : l'image n'a pas de lien avec les Jeux, elle a été prise en novembre 2023. Des règles sur la neutralité des athlètes existent bien dans la Charte olympique, mais elles visent toutes les délégations.

"L'équipe olympique israélienne n'a pas pu porter le ruban jaune pour les otages détenus à Gaza lors des Jeux olympiques de Paris. Ils ont décidé de s'exprimer d'une autre manière : 'Ramenez-les à la maison maintenant !'", assurent plusieurs publications sur X partagées plusieurs centaines de fois, relayant une image sur laquelle on peut voir des nageurs dans une piscine former des lettres avec leurs corps. 

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Captures d'écran des images avec des descriptions trompeuses, prises sur X le 5/8/2024

Des publications diffusant la même image avec des légendes similaires ont été partagées sur Facebook et en de nombreuses langues dont l'anglais, le slovaque, le tchèque, l'allemand, le finnois, l'espagnol et le portugais.

Mais si l'événement montré sur cette photo a bien eu lieu, il n'a pas de lien avec les Jeux olympiques de Paris, qui ont débuté le 26 juillet 2024 et auxquels participent 88 athlètes israéliens (lien archivé ici). L'image date de novembre 2023, et parmi les dix nageuses qui apparaissent sur la photo, seules deux se sont qualifiées pour les JO.

Le Comité international olympique (CIO) interdit les déclarations politiques sur les lieux de compétitions pendant les épreuves sportives et les cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux, mais les athlètes sont tout à fait libres d'exprimer leurs opinions lors des conférences de presse et sur les réseaux sociaux. Des conditions qui s'appliquent à tous les sportifs, quel que soit le pays qu'ils représentent.

Une photo publiée en novembre 2023

En effectuant une recherche d'image inversée, nous avons pu retrouver l'image originale postée sur le compte Instagram officiel de l'équipe de natation artistique d'Israël le 19 novembre 2023.

Elle montre des nageurs dans une piscine formant ce message de soutien aux otages israéliens enlevés par le Hamas lors de l'attaque du 7 octobre 2023, qui a déclenché la guerre entre le Hamas et Israël et causé la mort de 1.197 personnes, en majorité des civils, selon un décompte de l'AFP basé sur des chiffres officiels israéliens.

En 300 jours de guerre, les bombardements d'Israël en représailles ont tué plus de 39.500 personnes à Gaza, selon un décompte diffusé par le ministère de la Santé du Hamas au 5 août. 

La légende du post Instagram indique que l'image a été prise à l'Institut Wingate, le centre national d'entraînement sportif d'Israël situé dans la ville de Netanya, à l'extérieur de Tel Aviv, et qu'elle met en scène dix nageuses artistiques israéliennes. Parmi elles, Shelly Bobritsky et Ariel Nassee, qui se sont qualifiées pour les Jeux olympiques de Paris de 2024 dans la catégorie duo.

Plusieurs médias israéliens avaient également écrit sur ce geste des nageuses à l'époque (liens archivés ici et ).

L'AFP a contacté le photographe israélien Adam Spiegel, qui avait aussi publié l'image sur son compte Instagram le même jour.

Adam Spiegel a confirmé à l'AFP le 30 juillet être l'auteur de l'image, précisant que cette dernière n'est pas le résultat d'une unique photo, mais a été créée en fusionnant des images individuelles prises par drone le 17 novembre 2023 à la piscine nationale de Wingate : "Chaque lettre a été réalisée séparément puis copiée sur une seule photo pour présenter le slogan", a-t-il expliqué à l'AFP.

Adam Spiegel s'est également dit "déçu" de la manière dont son travail a été utilisé de façon trompeuse sur les réseaux sociaux : "ils ne m'ont accordé aucun crédit et ont inventé une fausse histoire", a-t-il déploré.

En mai 2024, les nageuses israéliennes Shelly Bobritsky, Ariel Nassee et Eden Blecher avaient par ailleurs de nouveau été photographiées par Adam Spiegel (lien archivé ici), cette fois créant la forme d'un ruban jaune dans la piscine, symbole utilisé pour demander la libération des otages du Hamas. 

Le Comité olympique israélien dit "respecter" les règles du CIO

Les messages sur les réseaux sociaux assurent aussi qu'il a été spécifiquement interdit aux athlètes israéliens de porter des épinglettes jaunes en signe de soutien aux otages aux Jeux olympiques - et que cette interdiction aurait été la raison pour laquelle les athlètes auraient décidé de réaliser la photo.

Le 3 juillet 2024, le média israélien Kan 11 avait rapporté (lien archivé ici) que "plusieurs athlètes [avaient] demandé à porter les épinglettes [jaunes]", mais qu'il leur avait été "interdit de les porter" aux Jeux.

"Le Comité olympique israélien a refusé de commenter officiellement ce point, mais selon certains de ses hauts responsables, 'il est interdit d'utiliser ou de porter tout signe à caractère politique ou autre pendant les Jeux'", peut-on lire dans l'article de Kan 11.

Yona Berkovitz, représentante du Comité olympique israélien, a déclaré à l'AFP le 1er août 2024 qu'"il a été conseillé aux membres du Comité olympique israélien il y a quelques mois de ne pas porter les épinglettes jaunes en concordance avec une pré-décision prise il y a quelques mois par le CIO, même si [les otages] représentent une question humanitaire de premier ordre", ajoutant que les athlètes et le personnel de la délégation ont reçu des instructions en conséquence.

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La délégation israélienne et ses porte-drapeaux Peter Paltchik et Andrea Murez lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024, le 26 juillet 2024 (AFP / Damien MEYER)

"Les 88 athlètes de la délégation israélienne, malgré les difficultés et les attentes en Israël, ont largement respecté les instructions", a déclaré Yona Berkovitz.

L'AFP a contacté le Comité international olympique à plusieurs reprises à ce sujet, mais n'avait pas reçu de réponse au moment de la publication de cet article.

Des règles olympiques encadrant les gestes politiques pendant les Jeux

De façon générale, la Charte olympique (archivée ici) prône "le principe de neutralité politique", inscrite dans les principes fondamentaux de l'Olympisme.

Son article 50.2 précise qu'"aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n'est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique". Cette règle s'applique à tous les athlètes en compétition et ne vise aucune délégation ou athlète en particulier.

En parallèle, l'article 40.2 de la Charte indique que "tous les concurrents, officiels d'équipe ou autres membres du personnel d'équipes participant aux Jeux Olympiques jouiront de la liberté d'expression dans le respect des valeurs olympiques et des principes fondamentaux de l'Olympisme, et conformément aux Directives établies par la commission exécutive du CIO".

La directive olympique sur l'expression des athlètes publiée pour les Jeux de cette année précise en outre que les participants ont la possibilité d'exprimer leurs opinions personnelles auprès des médias présents aux Jeux olympiques ou par le biais des réseaux sociaux. 

L'expression d'opinions personnelles est également autorisée "sur le terrain de jeu avant le début de la compétition" à condition qu'elle soit conforme aux principes olympiques fondamentaux et qu'elle ne soit pas "dirigée, directement ou indirectement, contre des personnes, des pays, des organisations et/ou leur dignité".

La limitation de diffusion d'opinions n'est imposée que "pendant les cérémonies officielles (y compris les cérémonies de remise des médailles olympiques, les cérémonies d'ouverture et de clôture), pendant la compétition sur le terrain de jeu et dans le village olympique".

Il est aussi précisé que les participants qui ne respectent pas ces règles peuvent faire l'objet d'une procédure disciplinaire du CIO, conformément à la Charte olympique.

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