Attention à ces publications qui prétendent que des arbres ont été coupés sur les quais de Seine en raison des JO
- Publié le 09 août 2024 à 14:42
- Lecture : 8 min
- Par : Claire-Line NASS, AFP France
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"Chaque carré blanc est un arbre abattu pour la 'visibilité' de la cérémonie d'ouverture", assure une publication partagée quelques jours après la cérémonie d'ouverture des Jeux, et partagée plus de 5.000 fois sur X depuis, en diffusant une photo montrant les quais de Seine, à Paris.
Dans un message en réponse, l'internaute diffuse deux images : sur la première apparaît une rangée d'arbres et sur la seconde, des carrés de béton en leur lieu et place. "Avant/après", assure sa légende.
Les mêmes photos avec des affirmations semblables ont aussi récolté plusieurs milliers de partages sur Facebook (comme ici, ici, ici, là, là).
Ces assertions ont été partagées alors que les JO de Paris ont été officiellement ouverts le 26 juillet dans la foulée d'une parade sur la Seine inédite, lors d'une cérémonie pluvieuse dans tout Paris, close par une performance de Céline Dion sur la tour Eiffel (lien archivé ici).
Ce rendez-vous, taillé pour la télévision, a été regardé en France par plus de 23 millions de spectateurs, s'inscrivant parmi les meilleures audiences de l'histoire de la télé française. A Paris, il a été suivi par 326.000 spectateurs postés le long des quais ou au pied de la Tour Eiffel.
Mais les affirmations diffusées sur ces publications sont trompeuses : les arbres avaient été abattus bien avant la cérémonie des Jeux, en raison de la présence de champignons dans leurs racines, selon la mairie de Paris.
Des arbres coupés en 2023
Dès le lendemain de la publication des messages sur les réseaux sociaux, Florent Giry, adjoint à la mairie de Paris centre en charge de la voirie, des mobilités et de la gestion des chantiers, a démenti les allégations sur X (lien archivé ici), indiquant que "ces arbres ont été abattus en 2023 car ils n'étaient plus en état", citant notamment des "scarifications multiples par les touristes", et assurant que les abattages n'avaient "rien à voir avec les JO ou la cérémonie d'ouverture".
Des propos qui ont aussi été corroborés sur le réseau social par Tangui Le Dantec (lien archivé ici), présenté comme co-fondateur de l'association "Aux Arbres citoyens" (un mouvement pour la sauvegarde des arbres menacés par les travaux Paris), et spécialiste en urbanisme paysager et végétalisation en ville.
A partir d'images visibles sur Google Maps, on peut retrouver l'endroit exact montré sur les photos, situé autour du 6, Port du Louvre, sur les quais de Seine, à Paris (plusieurs éléments visibles, dont un panneau d'interdiction d'ancrage, un lampadaire et des grilles sur le mur sur le mur correspondent).
Des images de novembre 2022 (et d'avant) permettent de constater la présence de plusieurs arbres en lieu et place des carrés de béton apparaissant sur les photos partagées à l'été 2024.
En revanche, comme le souligne Tangui Le Dantec sur X, une image prise en juillet 2023 depuis un bateau-mouche permet de voir que les arbres n'étaient déjà plus présents à l'époque (on peut repérer le lieu où ils se trouvaient précédemment, à gauche des deux grilles au fond).
Il précise, à partir de ces images, que les peupliers étaient, fin 2022, "dans un état pitoyable. Exposés plein sud, avec des surfaces claires et réverbérantes partout autour (Seine, pierre des quais), certains souffraient d'échaudures ('coup de soleil' de l'arbre, qui provoque l'éclatement de l'écorce)", précisant que l'écorce des peupliers est normalement blanche, mais que ceux du port du Louvre auraient été "victimes du surtourisme", et notamment des "gravures" sur leur écorce, causant leur fragilisation.
Il conclut que "leur écorce assez fragile ne parvenait plus à les protéger" et qu'ils auraient donc été abattus en raison de leur état de santé, déplorant néanmoins que "la mairie de Paris aurait dû mieux communiquer pour les protéger".
L'AFP a contacté la mairie de Paris au sujet de ces abattages, qui a confirmé que ces derniers n'avaient "aucun lien avec les JO", mais consistaient en des "abattages sécuritaires" qui avaient eu lieu en raison de l'affaiblissement des arbres qui avaient "un problème de stabilité" et risquaient de présenter un des "risques" en tombant.
Thomas Brail, le fondateur du Groupement national de surveillance des arbres (GNSA), une association qui oeuvre pour la protection des arbres, confirme à l'AFP le 8 août ne "pas avoir eu d'info" sur des abattages liés à la cérémonie d'ouverture des JO, précisant que "s'il y en avait eu, ça nous serait remonté assez rapidement".
La présence de champignons armillaires
"Sur le port du Louvre, ce qu'il faut avoir en tête, c'est qu'on a eu en mars et avril 2023, donc l'année dernière, deux chutes d'arbres, un peuplier et un marronnier, qui ont eu lieu pour le premier le 10 mars 2023 et pour le second le 14 avril 2023, lors d'épisodes de vent un peu violents", détaille la mairie de Paris auprès de l'AFP le 2 août 2024.
"Ces deux chutes successives sur le même site ont attiré notre attention. Donc on a examiné les souches des arbres en question, et nos experts ont détecté la présence d'armillaire, un champignon lignivore, qui mange le bois et est assez virulent, qui avait dégradé le système racinaire et donc l'ancrage de ces arbres", précise-t-elle encore, ajoutant avoir ensuite "diligenté une expertise sur l'ensemble des arbres du site puisque c'est un champignon qui, dès qu'il est présent, commence assez rapidement à dégrader les racines".
En conséquence, "23 autres" arbres sur la zone ont été "diagnostiqués comme atteints par ce champignon". "Donc au total, effectivement, sur Port-du-Louvre et Port-des-Tuileries, globalement, puisque c'est toute la zone qui longe le musée du Louvre, on a dû abattre 23 peupliers qui étaient assez développés", au printemps 2023.
En outre, la mairie de Paris a procédé dans le même temps à l'abattage de "neuf petits arbres" sur le même site, "plantés en 2021", mais qui n'avaient "pas repris", c'est-à-dire que "malgré nos arrosages, ils avaient vraiment pris des coups de chaud et ils n'avaient pas tenu".
Tous ces arbres seront replantés, souligne aussi la mairie de Paris : "on s'efforce de planter le plus vite possible. En général, quand on abat les arbres dans l'année, on essaie de les replanter dès l'hiver suivant. Compte tenu de l'organisation des JO, de la forte fréquentation et des difficultés d'accès qu'on peut imaginer pour cet été, on a préféré dans ce cas les replanter dans de meilleures conditions, cet hiver 2024-2025".
Thomas Brail rappelle aussi que la présence "le peuplier est soumis régulièrement à l'armillaire", et qu'"à partir du moment où il y a de l'eau et qu'il y a de la chaleur comme sur les quais de Seine, c'est de toute façon un endroit propice pour le développement de champignons racinaires".
Il souligne aussi que ces arbres étaient "soumis au passage du public", et qu'au "niveau des quais de Seine, pas mal de racines ont soulevé un peu le sol", or "à partir du moment où il y a un tassement racinaire, les racines manquent d'oxygène et l'eau a du mal à pénétrer par toutes les petites cavités qui peuvent être faites par les micro-organismes du sol puisqu'on est sur des sols aseptisés, et du coup ça crée des phénomènes d'asphyxie, qui sont aussi propices au développement des champignons".
Il note de façon générale que les arbres des villes, s'ils permettent de créer des îlots de fraîcheur, sont aussi susceptibles d'être malmenés : "il y a énormément de facteurs qui font qu'ils ne sont pas dans leur élément, et bien souvent ils sont confrontés à des asphyxies racinaires, à des coups peut-être et aussi par des véhicules qui passent sur les racines".
Des rumeurs récurrentes
Le Comité d'organisation avait promis des Jeux "responsables" (lien archivé ici), visant à limiter les émissions de CO2 liés à l'événement et à ses infrastructures. En juin 2024, l'ONG Greenpeace notait néanmoins (lien archivé ici) que "malgré quelques efforts notables, les principaux engagements environnementaux sont loin d'être tenus".
Dans ce contexte, des rumeurs sur des abattages d'arbres en lien avec les Jeux avaient déjà circulé début juillet, et avaient fait l'objet d'articles de vérification de plusieurs médias dont Libération (lien archivé ici) et Franceinfo (lien archivé ici).
La mairie de Paris, renvoyant vers une expertise réalisée par une entreprise spécialisée, avait alors expliqué qu'il s'était agi d'abattages "sécuritaires", pour prévenir des potentielles chutes d'arbres.
"Il n'y a eu aucun abattage lié aux événements organisés au cœur de Paris pour les Jeux", appuie la mairie de Paris à l'AFP le 2 août. Thomas Brail du GNSA indique aussi auprès de l'AFP ne "pas avoir" eu connaissance d'abattages liés aux JO de façon générale.
Des données disponibles en ligne sur le site de la mairie de Paris recensent aussi les abattages réalisés dans la capitale au cours des six derniers mois -mais dans lesquelles ne figurent pas des abattages dits "d'urgence", justement en cas de menace sécuritaire-. On n'y retrouve aucun abattage sur le port du Louvre dans les six mois précédent les Jeux.
A Paris, des arbres sont néanmoins abattus -et replantés- chaque année. "En 2023, on a abattu 1.884 arbres pour raisons sanitaires", sur à peu près 200.000 gérés par la mairie de Paris, comme elle l'explique (lien archivé ici).
Par ailleurs, il est possible de constater sur les images de la cérémonie que des arbres étaient bien présents sur les quais, sur le parcours des bateaux qui ont mené les délégations.
La cérémonie des Jeux olympiques a provoqué un flux de désinformation en ligne porté par des internautes parfois très critiques, comme le rappelait l'AFP dans cet article de vérification. Les JO sont eux aussi une cible de choix pour les infox, comme détaillé dans cet article de l'AFP.
