Non, des barrages pour préserver la Seine à Paris pour les JO n'ont pas laissé la Seine-et-Marne être inondée

Dans la nuit du 1er au 2 août, des centaines d'interventions des sapeurs-pompiers ont été recensées en Seine-et-Marne (Île-de-France) en raison de crues alors que le département était placé en vigilance orange. Dans ce contexte, des internautes ont diffusé une vidéo qui affirme que des barrages situés en amont de Paris bloquaient la circulation de l'eau afin de préserver la Seine à Paris sacrifiant ainsi la région parisienne au profit des Jeux olympiques. Mais c'est faux puisque ce phénomène n'a pour seule explication qu'un puissant orage étant donné que les barrages influents sur le débit de la Seine se trouvent en dehors de l'Île-de-France.  

"Partagez. Ca ressemble à ça les JO en Île de France. Des gens meurent. C'est long mais regardez jusqu'à la fin", peut-on lire en introduction d'une vidéo sur Tik Tok, postée le 2 août 2024 et visionnée depuis plus de 16 000 fois.

Durant plus de 4 minutes, une femme qui affirme habiter "en amont de Paris" prend la parole face caméra.

Elle affirme notamment : "Ils ont bloqués les barrages à Paris pour ne pas inonder la Seine pour pas gâcher les Jeux olympiques" . 

Au cours de la vidéo, l'utilisatrice alterne différents plans montrant une montée des eaux dans la rue, dans un square ou encore sur un parking. 

La vidéo a aussi fait l'objet de publications virales sur X

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Pourtant, ces allégations sont fausses.

"Un phénomène classique" 

Dans la vidéo devenue virale, la femme ne précise pas son lieu d'habitation affirmant uniquement habiter "en amont de Paris". Cependant, un panneau "square des grenouilles" aperçu au cours de sa vidéo permet de localiser les images qu'elle relaie. 

En effectuant une recherche "square des grenouilles"  sur Google, un parc arrive en tête des propositions. Il est situé à la Ferté-Gaucher dans le département de la Seine-et-Marne. La comparaison entre l'image de la vidéo avec celles disponibles sur Google Maps confirme qu'il s'agit bien de ce parc.

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Capture d'écran de la publication Tik Tok avec ajout d'encadrés colorés, réalisée le 5 août 2024.
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Capture d'écran de Google maps avec ajout d'encadrés colorés, réalisée le 5 août 2024.

Le département de la Seine-et-Marne était effectivement placé en vigilance orange aux fortes pluies et inondations par Météo France dans la soirée du  1er août, comme le relayait la préfecture de la Seine-et-Marne sur X (archivé ici). Dans la nuit du 1er août au 2 août, plusieurs communes du département se sont retrouvées inondées.

Dans le département, les pompiers ont en effet indiqué à l'AFP avoir reçu dans la nuit de jeudi à vendredi 514 demandes de secours concentrées principalement dans le secteur du Grand Morin, dans le nord-est du département. Les pompiers ont aussi précisé avoir réalisé, au cours de cette nuit-là, 14 sauvetages et 16 mises en sécurité.

Le niveau d'alerte avait par ailleurs été maintenu pour les journées du vendredi 2 et samedi 3 août alors que Météo-France alertait sur des "crues importantes en cours sur le Grand Morin aval".

Contactée par l'AFP, le 5 août, la Préfecture de la région d'Île-de-France et de Paris confirme : "Il y a eu un énorme orage, des pluies diluviennes se sont abattues sur la Seine-et-Marne".

Mais elle réfute l'affirmation tenue dans la vidéo : "À cet endroit-là, il n'y a pas de barrages pour protéger Paris comme c'est insinué. Ces coulées que l'on voit dans la vidéo, c'est la conséquence de pluies diluviennes, c'est un phénomène classique." 

Météo France définit justement le mot crue comme "toute élévation du niveau d'un cours d'eau, d'un canal ou d'un plan d'eau tel qu'un lac [...] lorsqu'elle a pour cause un apport important en eau liquide consécutif à une période de précipitations ou bien de fonte de neige ou de glace".

"Ces pluies ont concerné le secteur du Grand Morin, avec des niveaux de 40 mm à 120 mm en deux heures, ce qui représente 1 à 2 mois de pluie en quelques heures", a ensuite détaillé la Préfecture, qui a aussi tenu à préciser qu'aucune victime n'avait été recensée contrairement à ce que sous-entend l'introduction de la vidéo qui indique que "des gens meurent" .

Les effets de ces précipitations sur le Grand Morin sont d'ailleurs observables grâce aux mesures relevées par Vigicrues, le service d'information sur le risque de crues des principaux cours d'eaux en France (archivé ici). Une de leurs stations de relevés est située à Meilleray (Seine-et-Marne), à 12 minutes en voiture, en amont de la Ferté-Gaucher (archivé ici).

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Capture d'écran réalisée sur le site vigicrues, le 6 août 2024.

Le graphique montre que le niveau du Grand Morin est passé de 0,88 m jeudi 1er août à 12h à 3,77m dix heures plus tard, à 22h. Une hauteur d'eau inédite qui dépasse celle atteinte lors de la crue de février 2008, 3,16 m.

Mais ce record n'a aucun lien avec le blocage supposé de barrages aux portes de la capitale afin de préserver la Seine à Paris dans le cadre des Jeux olympiques.

Des barrages de navigation sans " aucun impact en cas de crue"

Des barrages sont effectivement présents entre la Seine-et-Marne et Paris. Mais sur cette zone sont uniquement présents des ouvrages dits "de navigation". Ces infrastructures sont gérées par Voie navigables de France (VNF) (archivé ici).

Créé en 2012, l'organisme se présente comme l'opérateur national de l'ambition fluviale avec trois grandes missions : la logistique fluviale, l'aménagement du territoire et la gestion globale de l'eau.

De ce fait, VNF est en charge de la gestion de ces barrages dits de "navigation" qui ont pour objectif d'assurer un niveau suffisant et relativement horizontal pour permettre notamment la circulation de bateaux. 

De Paris à la Seine-et-Marne comprise, VNF est en charge de la gestion de 14 barrages sur la Seine et 10 sur la Marne. 

Contacté par l'AFP, le 6 août, VNF précise "En situation normale, l'ouvrage laisse passer un débit maîtrisé d'eau pour permettre le maintien du niveau d'eau nécessaire à la navigation notamment. Cependant, en cas de crue, l'ouvrage est positionné de façon à permettre le libre passage de l'eau, qui reprend ainsi son cours naturel". 

"Les barrages dits de "navigation" présents notamment sur la Seine n'ont donc aucun rôle en matière de gestion des inondations et aucun impact en cas de crue", a ajouté VNF qui affirme que leurs " barrages avaient été ajustés pour laisser passer la crue" dans la nuit du 1er au 2 août alors que le département de la Seine-et-Marne était placé en alerte orange aux crues.

Si ces barrages ne permettent pas de prévenir les crues et soutenir le débit du fleuve et de ses affluents, le bassin de la Seine peut compter sur quatre grands lacs-réservoirs.

Ces derniers sont néanmoins situés bien en amont de l'Île-de-France et donc par définition du département de la Seine-et-Marne et de Paris. 

Quatre lacs réservoirs situés en dehors de l'Île-de-France

C'est l'Etablissement public territorial de bassin (EPTB) Seine grands lacs (archivé ici), qui précise "être le seul acteur influençant le débit [la quantité d'eau, ndlr] transitant par la Seine", qui est en charge de leur gestion.

Sur le site de l'EPTB,  les localisations de ces infrastructures sont indiquées : le lac du Der sur la Marne près de Saint-Dizier (Haute-Marne), le lac de Pannecière sur l'Yonne dans la Nièvre, le lac d'Armance temple sur l'Aube et celui d'Orient à proximité de Troyes, toutes à l'extérieur de l'île-de-France.

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Capture d'écran de la carte des lacs-réservoirs du bassin de la Seine disponible sur le site Seine grands lacs, réalisée le 6 août 2024.

Ces lacs-réservoirs ont été mis en service entre 1950 et 1990 et ont deux fonctions principales : réguler le débit des rivières en période estivale lors des sécheresses et limiter les crues.

"Les lacs réservoirs permettent en cas de crues sur les tronçons amont, de stocker l'excédant d'eau en rivière et ainsi de réduire les débordements. [...] Cette action permet de protéger les enjeux locaux des inondations mais également de protéger l'aval dont Paris et sa région par l'action conjointe des quatre lacs" explique l'EPTB, contacté par l'AFP, le 6 août 2024, qui confirme par ailleurs ne pas disposer de "d'ouvrages" aux portes de Paris.

"Concernant les crues sur les affluents tels que le Grand Morin, nos ouvrages n'ont aucun impact. En effet, dans l'épisode de crue de la semaine dernière, le Grand Morin a débordé avant sa confluence [sa jonction, ndlr] avec la Marne. Or, notre ouvrage le lac du Der, ne peut réguler que le cours de la Marne.", a ajouté l'EPTB.

Le Grand Morin, rivière qui traverse les départements de la Seine-et-Marne et de la Marne, est effectivement un affluent de la Marne avec laquelle il conflue à proximité de Condé-Sainte-Libiaire. Or, les inondations ont eu lieu bien plus à l'est du département, soit bien en amont de cette jonction.

"Sur l'année 2024, de nombreuses crues sur la Marne amont ont été stockées [dans un réservoir, NDLR], dont une crue ayant eu lieu début juillet. 32 millions de mètres cube d'eau ont été stockés durant ce seul événement de juillet, ce qui a permis de protéger Saint-Dizier et tout l'axe Marne des inondations", a précisé par ailleurs l'EPTB.

Autre indice, que les les eaux de ces pluies diluviennes ne sont pas restées bloquées à l'entrée de Paris par de supposés barrages, le débit de la Seine a connu une augmentation dans la nuit du 1er au 2 août durant laquelle la Seine-et-Marne a été touché par de violents orages, comme le rapporte Vigicrues (archivé ici).

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(Océane CAILLAT)

On peut voir sur ce graphique que le débit de la Seine relevé à Paris était de 285,2 m3/s, jeudi 1er août au matin, et a atteint jusqu'à 431,9 m3 /s le 2 août 2024 au matin. 

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