
Emmanuel Macron et l'Ukraine : attention à cette fausse Une du magazine satirique allemand Titanic
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 07 mars 2024 à 15:22
- Lecture : 8 min
- Par : Gaëlle GEOFFROY, AFP France
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Ses propos ont suscité la polémique : Emmanuel Macron a estimé le 26 février 2024 à l'issue d'une conférence internationale de soutien à l'Ukraine organisée à Paris que l'envoi de troupes occidentales au sol ne devait pas "être exclu" à l'avenir, soulignant néanmoins qu'il n'y avait "pas de consensus" à ce stade pour cette hypothèse.
"Il n'y a pas de consensus aujourd'hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu'il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre", a-t-il expliqué (archive).
Les Etats-Unis et les alliés européens de Kiev ont opposé immédiatement une fin de non-recevoir, tandis que le Kremlin jugeait de son côté qu'il n'était "absolument pas dans l'intérêt de ces pays" d'envoyer des soldats en Ukraine (archive).
Emmanuel Macron a ensuite affirmé le 4 mars à Prague refuser "d'entrer dans une logique d'escalade" (archive). Le lendemain, il a jugé "nécessaire" de bousculer les alliés de l'Ukraine, qu'il a exhortés à "ne pas être lâches" face à une Russie "inarrêtable", et a assuré "assumer" ses propos controversés sur la possibilité d'envoyer des troupes occidentales en Ukraine (archive).

C'est dans ce contexte qu'ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux des publications moquant Emmanuel Macron en relayant ce qui est présenté comme étant une supposée Une du magazine satirique mensuel allemand Titanic.
"La presse allemande a visiblement fait ses choix pour la première ligne sur le front Ukrainien...", affirme le 5 mars 2024 une publication sur X, affirmation reprise par d'autres sur Facebook (1, 2). Evoquant Emmanuel Macron, d'autres moquent "LE TROUILLARD DE L'ELYSEE", sur X comme sur Facebook.

Responsables politiques, experts et commentateurs
"Macron schickt französische Verstärkung für ukrainische Armee" ("Macron envoie des renforts français à l'armée ukrainienne"), peut-on lire sur cette caricature.
Y est dessiné en pleine page un Macron en uniforme militaire, affublé dans le dos d'une baguette de pain en guise de fusil, déversant dans le ciel depuis un avion militaire un carton rempli de grenouilles (en référence au surnom de "froggies" donné aux Français - archive) sur lesquelles sont apposés en jaune les noms de "Glucksmann" et "Salamé". Une référence à l'eurodéputé tête de liste PS aux élections européennes de juin 2024 Raphaël Glucksmann, soutien de l'Ukraine (archive), et sa compagne, la journaliste Léa Salamé.
Une multitude d'autres grenouilles attendent dans d'autres cartons, elles aussi affublées des noms de responsables politiques, experts et commentateurs du conflit, régulièrement invités sur les plateaux de télévision ces derniers mois. Certains ont dit publiquement leur soutien à l'Ukraine ou leur accord avec les déclarations d'Emmanuel Macron sur une possibilité d'envoi de troupes au sol en Ukraine.
On y retrouve les noms du ministre français des Affaires étrangères Stéphane Séjourné (archive), de la députée Renaissance et ex-ministre Nathalie Loiseau (archive), de l'ex-ambassadeur de France en Russie Jean-Maurice Ripert (archive), de l'ex-ministre Bernard Kouchner (archive), du maire de Béziers et ancien proche de Marine Le Pen Robert Ménard (archive), de l'expert en stratégie militaire Pierre Servent (archive), du général Michel Yakovleff (archive - "Yakovlev" sur la caricature), du général et ex-chef de la mission militaire française auprès de l'ONU Dominique Trinquand, du géopolitologue Nicolas Tenzer (archive) et de la journaliste Caroline Fourest (archive).
Mais aussi de l'ex-député européen Daniel Cohn-Bendit qui a récemment débattu avec l'ex-ministre Luc Ferry ("Fery" sur la caricature) (archive).
Deux autres noms, ceux de "Tatall" et "Mahuret", ne semblent a priori correspondre à ceux d'aucune personnalité publique. Sauf à considérer que le premier pourrait faire référence au Premier ministre Gabriel Attal (archive) et le second au sénateur Horizons Claude Malhuret (archive).
Confusions
Julia Mateus, rédactrice en chef de Titanic, a confirmé le 6 mars 2024 à l'AFP que cette prétendue Une était "un faux".
La véritable Une de l'édition de mars de Titanic, que l'on retrouve sur le site du magazine, ne ressemble en effet en rien à la caricature relayée sur les réseaux sociaux (archive) : elle met en scène une photo du président russe Vladimir Poutine devant une carte de l'Europe de l'Est avec un jeu de mots sur l'Ukraine "Etat charnière" ("swing state") - vocable utilisé habituellement dans le cadre de la présidentielle américaine, pour désigner un état susceptible de basculer politiquement d'un côté ou de l'autre.

Par ailleurs, sur la fausse Une, certains éléments - approximations ou différences de mise en page avec les authentiques numéros précédents du magazine - mettent la puce à l'oreille, comme les possibles erreurs dans l'orthographe des noms "Fery" et "Mahuret".
Ensuite, dans le coin en haut à droite, apparaît sur la fausse Une l'inscription "Internet-Aufgabe", avec le tarif en dessous. Or, "Aufgabe" ("tâche", "mission" en français) semble être une confusion avec le mot "Ausgabe" ("édition" en français).
Un coup d'oeil aux véritables Unes de Titanic permet de voir que leur mise en page ne mentionne pas d'"Internet-Ausgabe" et encore moins d'"Internet-Aufgabe".
En outre, on peut voir que sur les authentiques éditions de Titanic (à droite ci-dessous), la mention de la date de parution est suivie en dessous du numéro du magazine depuis le début de l'année, alors que sur la fausse Une (à gauche), le numéro de l'édition n'apparaît pas et laisse la place à la mention "Internet-Aufgabe" :


"Doppelgänger" et "Matriochka"
Ce n'est pas la première fois que le magazine Titanic est l'objet de fausses Unes en relation avec la guerre en Ukraine. Il l'a déjà été à l'automne 2022, comme le démontrait alors l'agence de presse allemande dpa (archive), et à l'automne 2023, comme l'ont montré dpa (archive) et l'agence de presse ukrainienne Ukrinform (archive), avec à chaque fois des Unes visant à décrédibiliser le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Mais Titanic n'est pas le seul à être visé. L'hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo l'a été également au moins à sept reprises depuis l'automne 2022 avec, là encore, des fausses Unes dénigrant l'Ukraine, comme l'a montré l'AFP dans cet article en allemand.
Un rapport de l'Union européenne sur la manipulation de l'information et les ingérences étrangères publié en février 2023 a mentionné ces cas de fausses Unes ayant touché Titanic et Charlie Hebdo, mais aussi le magazine satirique espagnol El Jueves, en considérant que la Russie en était à l'origine et que des comptes pro-russes avaient contribué à les relayer (archive).

Le conflit en Ukraine est aussi une guerre informationnelle qui se joue notamment sur internet et les réseaux sociaux.
Depuis l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022, des dizaines de sites pirates ont répliqué l'identité graphique de nombreux médias européens pour partager des articles au narratif pro-russe et anti-occidental, dans une opération d'influence révélée fin septembre 2023. L'AFP a expliqué les ressorts de cette opération "Doppelgänger" ("double" en français) dans cet article.
Mais depuis septembre 2023, la désinformation en ligne attribuée à la Russie ne consiste plus seulement à relayer des infox anti-ukrainiennes : elle interpelle aussi parfois directement les médias occidentaux pour les inciter à en vérifier certaines, comme l'ont montré les données du collectif Antibot4Navalny analysées par l'AFP. Une vaste "entreprise de diversion" à destination des journalistes, ont alerté des experts à propos de cette opération baptisée "Matriochka".
Ces derniers mois en particulier, l'objectif majeur de la désinformation pro-russe à destination des publics occidentaux consiste à chercher à saper la soutien occidental à Kiev, vital dans sa lutte contre la Russie.