( AFP / JEFF PACHOUD)

Attention à ces messages infondés assurant qu'EDF "cède gratuitement" une partie de sa production à l'Allemagne

Les prix de l'électricité en France ont bondi de plus de 43% depuis 2022, portés par différentes crises énergétiques. Dans ce contexte, des publications virales ont assuré en juillet 2024 qu'une nouvelle hausse de tarifs avait été appliquée et qu'EDF cédait gracieusement 4,5% de sa production à l'Allemagne. L'augmentation des prix de l'électricité prévue pour cet été a été annulée par le gouvernement et aucun accord ne prévoit qu'EDF cède de l'électricité gratuitement à l'Allemagne. En réalité, un producteur d'énergie ne vend pas directement à un pays et s'il existe parfois des transactions à prix négatif, c'est-à-dire où le producteur paye pour évacuer son électricité, elles restent minoritaires.

Mi-juillet, le gouvernement a décidé de ne pas appliquer une augmentation de 1% de la facture d'électricité (prévue pour le 1er août), une façon d'éviter un "yo-yo" des prix incompréhensible pour les consommateurs, a justifié le ministère de l’Economie qui s'évite ainsi une nouvelle polémique sur les factures d'énergie, en pleine crise politique (lien archivé ici).

Cette hausse était certes modeste mais depuis 2022, les prix de l'électricité ont déjà bondi de plus de 43%. Et après avoir augmenté le tarif de l'électricité de près de 10% en février pour sortir du coûteux bouclier tarifaire lancé pendant la crise énergétique, le gouvernement tenait à éviter une polémique dans un contexte politique inflammable, les prix de l'énergie, au plus haut en 2021-22 du notamment fait de la reprise post-Covid et de la guerre en Ukraine, ayant largement agité les débats des élections européennes et législatives.

Dans ce contexte, de nombreux messages partagés en juillet sur Facebook assurent qu'"alors que l'électricité augmente depuis le 1er juillet on est heureux d'apprendre qu'EDF cède gratuitement 4.5% de sa production a [sic] l'Allemagne". La publication la plus virale a récolté plus de 18.000 partages.

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Capture d'écran réalisée sur Facebook le 26/07/2024

Mais ces affirmations, qui ne citent sur aucune source, sont infondées et contiennent plusieurs erreurs, comme l'ont expliqué plusieurs experts de l'énergie à l'AFP.

Plusieurs catégories d'acteurs

Contrairement à ce qu’affirment ces publications, les tarifs de l’électricité n’ont subi aucune hausse le 1er juillet. La dernière augmentation date de février et celle programmée pour cet été, qui devait entrer en vigueur en août, a été annulée, comme expliqué plus haut. Le gouvernement indique toutefois que "l'évolution du tarif d'acheminement [dont la hausse devait provoquer l'augmentation des factures au 1er août, NDLR] doit être réétudiée prochainement" (lien archivé ici).

De plus, EDF "ne vend pas directement à un pays [mais] sur le marché français et il n'y a aucun fondement à ces affirmations", a expliqué à l'AFP le 19 juillet Dominique Jamme, directeur général des services de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), l’autorité administrative indépendante en charge du bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz en France (lien archivé ici).

Le marché de l'électricité est constitué de plusieurs catégories d'acteurs : les producteurs, qui exploitent des centrales (nucléaires ou thermiques) et des sources d'énergies renouvelables (éolien, hydroélectrique, photovoltaïque), les fournisseurs, qui achètent l'électricité produite pour la vendre aux consommateurs, et les gestionnaires du réseau public de distribution qui se chargent d'acheminer cette énergie.

A partir de 1946, l'établissement public Electricité de France (EDF) est créé pour mener à bien toutes ces missions.

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De la vapeur s'échappe des tours de refroidissement de la centrale nucléaire du Bugey, à Saint-Vulbas, dans le centre de la France, le 20 juillet 2023. (AFP / OLIVIER CHASSIGNOLE)

Avec l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité initiée dans les années 2000, EDF a été forcée de séparer ses activités : il conserve alors ses rôles de producteur et fournisseur d'énergie mais ces domaines entrent dans le secteur concurrentiel tandis que deux filiales sont créées : RTE (détenue à 50,1% par EDF) pour la distribution de l'électricité sur les lignes à haute tension et Enedis (anciennement ERDF) pour les lignes à moyenne et basse tensions (lien archivé ici). 

En vertu de son double rôle, EDF peut donc vendre l'électricité qu'elle produit à des fournisseurs comme TotalEnergies, Ekwateur, Valoris, Vattenfall... ou à des consommateurs, qu'il s'agisse de particuliers ou d'entreprises. En revanche, impossible pour elle de vendre (ou céder) directement cette énergie à l'Allemagne comme le prétendent les publications virales.

Comme l'AFP l'expliquait en 2022, les transactions d'électricité comme de gaz ne se pratiquent pas entre un pays et un autre, ou entre une entreprise et un pays mais entre acteurs de marché qui peuvent être situés dans deux pays différents.

"Entre la production et la vente, il y a plusieurs intermédiaires", rappelle auprès de l'AFP Nicolas Goldberg, expert chez Colombus Consulting et responsable du think tank Terra Nova (lien archivé ici).

Dans le cadre d'un échange international, "des traders interviennent [...] pour acheter et vendre sur le marché. Il peut donc y avoir des échanges sur les bourses (EEX par exemple), avec des intermédiaires ou directement entre deux parties, en bilatéral", explique le site d'information sur les actualités européennes Toute l'Europe (lien archivé ici).

Système d'optimisation

Les acteurs situés dans la plupart des pays du Vieux Continent réalisent leurs transactions sur le marché européen européen de l'électricité. Concrètement, 35 pays européens sont "reliés entre eux par des interconnexions, des câbles qui permettent de transporter les électrons au-delà des frontières", poursuit Toute l'Europe.

"Le prix de gros de l’électricité dans l’UE est fixé par la dernière centrale électrique nécessaire pour répondre à la demande. Lorsque les éoliennes, les panneaux photovoltaïques et les barrages hydrauliques suffisent à couvrir la consommation d’électricité à un moment donné (par exemple un 15 août à 10h), les centrales à gaz ou à charbon (au fonctionnement plus onéreux) n’ont pas besoin d’être appelées à produire", ajoute le site.

"Ce système permet d'optimiser complètement heure par heure qu'à l'échelle de la plaque européenne, on utilise le mode de production le moins cher", précise Dominique Jamme.

Il permet aussi de passer les périodes de grande consommation sans problème en s'appuyant sur la production d'autres pays. "En cas d'hiver très froid, il nous manque la capacité de 8 GW pour passer la pointe de consommation soit 20 centrales au gaz de plus sur le territoire français sachant que nous en avons 13 actuellement", relève le dirigeant de la CRE.

Ce système est aussi sécuritaire : "l’électricité ne pouvant être stockée, il doit y avoir un équilibre permanent entre l’offre et la demande. Un déséquilibre entre les deux entraînerait une perturbation de la fréquence électrique, qui est de 50 Hz dans l’essentiel de l’Union européenne. Les gestionnaires de réseaux (RTE en France) doivent donc surveiller la fréquence 24 heures sur 24. Les 'réserves d’équilibrage' permettent de maintenir ou de ramener la fréquence à un bon niveau, grâce à l’activation en quelques secondes des groupes de production ou à une diminution de la demande d’électricité", pointe Toute l'Europe.

Selon RTE, en 2023 "la France a retrouvé son rôle habituel d'exportatrice nette d'électricité" à hauteur de 50,1 TWh (lien archivé ici). Cette même année, la France a exporté 15,9 TWh vers la région Core, qui regroupe la Belgique et l'Allemagne, soit environ 3% de sa production annuelle.

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Capture d'écran réalisée le 26/07/2024 sur le site de RTE

Prix négatifs

Sur le marché européen, "vous pouvez acheter dans différents pays à différents prix de gros : il y a les prix intra-journaliers, les prix du jour pour le lendemain, les prix mensuels, trimestriels ou annuels, qu'on appelle aussi calendaires", détaillait en 2022 à l'AFP Nicolas Goldberg. 

"On distingue, d’une part, les produits spot ou au comptant, afférents notamment aux mécanismes pan-européens de couplage des marchés journalier et infrajournalier (avec des produits achetés pour une livraison le lendemain ou le jour même) et, d’autre part, les produits à terme (achetés pour une livraison sur une période plus lointaine fixée)", indique la CRE (lien archivé ici).

"Ces prix de court terme sont volatils. En effet, l'électricité ne peut pas être stockée à grande échelle et des facteurs influençant l'équilibre offre-demande peuvent varier considérablement, comme les conditions climatiques (froid faisant augmenter la consommation, etc.) ou des événements prévus ou non sur le parc électrique (centrale en panne, capacité d'interconnexion réduite, etc.)", poursuit la Commission.

"Un grand producteur comme EDF ne vend pas son électricité au jour le jour, il la couvre à l'avance [...] donc sa production prévue pour 2024 a été vendue les années précédentes", souligne Dominique Jamme.

Mais, comme "cette année, il a beaucoup plu, tous les barrages sont pleins, donc on a une grosse production d'hydroélectricité puisqu'on est obligé de faire sortir l'eau et on ne peut pas débrancher les turbines", explique M. Jamme. 

En parallèle, "arrêter certaines centrales nucléaires coûte vraiment cher. Donc EDF ne veut pas les arrêter et est même prêt à payer pour ne pas avoir à le faire. Tout cet excédent est vendu sur les marchés de court-terme où l'on observe depuis le printemps des prix qui sont assez bas" voire négatifs, ajoute le dirigeant de la CRE.

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Le barrage de Roselend dans le sud-est de la France, à Beaufort, le 9 juin 2016 (AFP / ODD ANDERSEN)

Selon les experts interrogés par l'AFP, les publication virales ont pu mal interpréter la vente à prix négatif de quelques mégawattheures (MWh) d'électricité ces dernières semaines.

"Si vous avez un prix négatif et que la France exporte de l'électricité, vous pouvez dire que la France vend à un prix négatif à l'Allemagne son nucléaire, ce qui est faux" puisque la plupart des exportations ayant été vendues en amont ne dépendent pas du prix spot, souligne par exemple Nicolas Goldberg.

Les prix spot du marché européen de l'électricité sont en effet constamment mis à jour sur le site éCO2mix de RTE (lien archivé ici). 

A fin juin, la France avait connu 235 heures de production électrique à prix négatif, soit 5% des heures de production, surpassant déjà le record de 2023 (147 heures), selon RTE (lien archivé ici).

A l'origine du phénomène : une production renouvelable abondante qui fait s'effondrer les prix quand la demande est faible.

Résultat, sur le marché spot, là où 20% de l'électricité du marché s'échange la veille pour le lendemain, le tarif est tombé jusqu'à -87 euros/MWh en France en 2024. Ces prix s'observent généralement en été, à la mi-journée, au moment où la production solaire bat son plein.

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Capture d'écran réalisée sur le site éCO2mix le 26/07/2024

La tendance s'accélère depuis trois ans, sous l'effet d'une baisse inattendue de la demande en Europe, depuis l'épidémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine.

Reste que les transactions sur le marché spot sont loin d'être toutes réalisées à prix négatif : "la moyenne annuelle des prix spot horaires en France est ainsi passée de 276 €/MWh en 2022 à 97 €/MWh en 2023, elle a donc été presque divisée par trois, même si le niveau de prix reste élevé par rapport à ceux enregistrés avant la triple crise énergétique", souligne RTE.

Vendredi 26 juillet 2024, EDF a indiqué avoir amélioré son bénéfice net de 21% à 7 milliards d'euros au premier semestre, fort du redressement de la production nucléaire et hydraulique, mais a dit s'attendre à ce que la baisse des prix de l'électricité sur les marchés pèse sur ses résultats à la fin de l'année (lien archivé ici). 

"Nous avons désormais une visibilité sur les prix jusqu'à environ la fin de la décennie qui montre après une baisse très rapide [...] une stabilisation à un niveau beaucoup plus bas que ce que nous avions l'année dernière à la même période", a indiqué son PDG Luc Rémont dans un appel aux journalistes.

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