Covid : attention aux comparaisons trompeuses entre hydroxychloroquine et paracétamol
- Publié le 12 janvier 2024 à 12:16
- Mis à jour le 23 août 2024 à 11:09
- Lecture : 14 min
- Par : AFP France
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"L'hydroxychloroquine a sauvé des vies surtout avec l'azithromycine et le zinc. Par contre le paracétamol a tué: il empire le COVID et les effets secondaires du 'vaccin'", écrit sur X le 6 janvier le Dr Jean-François Lesgards. L’AFP Factuel a déjà écrit sur des infox relayées par ce biochimiste.
Sa publication, partagée à près de 1.000 reprises, relaie une tribune qu’il avait écrite en mars 2022 sur le site de France Soir et dans laquelle il assurait que le paracétamol pouvait aggraver les symptômes du Covid, voire conduire au décès.
Dans son message du 6 janvier, Jean-François Lesgards réagit à la publication d'une étude (archivée ici) sur l'hydroxychloroquine, et la surmortalité qu'elle aurait engendrée chez les patients Covid pendant la première vague, en 2020. Cette méta-analyse (analyse d'autres études scientifiques) réalisée par une équipe lyonnaise a été largement reprise dans la presse début janvier avec cette conclusion: "l'hydroxychloroquine liée à la mort de 17.000 personnes durant la première vague", comme dans cet article de 20minutes.fr (archive).
"Si seulement cela était vrai , #Raoult serait en taule ! donc, c'est totalement faux cette étude bidon !!", réagit un autre internaute sur X le 8 janvier. Certains doutent fortement de l’étude en question en rappelant que l’hydroxychloroquine est utilisée depuis de nombreuses années dans d’autres pathologies: "La chloroquine distribuée aux enfants régulièrement dans les zone de Malaria [paludisme, NDLR] n'a jamais fait un seul mort. Aujourd'hui pas davantage, mais nous avons des 'chercheurs' qui parviennent à 'modéliser' des milliers morts de l’HCQ pendant le covid", affirme un internaute dans cette publication.
L'étude en question a été rétractée fin août 2024, ses conclusions ayant été jugées "non fiables" par la revue, comme nous le verrons plus loin. Mais ceci ne remet pas en cause la toxicité de l'hydroxychloroquine chez les patients Covid.
La possible "toxicité" de l’hydroxychloroquine chez les patients Covid, bien démontrée
Pourtant, la potentielle toxicité, par atteinte cardiaque, de l’administration d’hydroxychloroquine chez les patients atteints de Covid, a été montrée dès le début de l’épidémie, rappelle le Pr Milou-Daniel Drici (archive), pharmacologue et cardiologue, directeur du Centre régional de pharmacovigilance de Nice.
En 2020, il était en charge de faire remonter tous les événements cardiaques survenus après l’administration de traitements chez des patients Covid. Et très vite, témoigne-t-il auprès de l’AFP le 9 janvier 2024, il a vu "surgir l’hydroxychloroquine en tête de liste".
"L’hydroxychloroquine a rapidement été remarquée puisqu’elle était prescrite à grande échelle, on a eu tout le faisceau d’effets indésirables cardiaques observés avec ce médicament, des troubles du rythme ventriculaire simples jusqu’à des fibrillations ventriculaires, voire des arrêts cardiaques".
Rien d’étonnant selon lui, puisque l’hydroxychloroquine était déjà connue avant la crise sanitaire pour ces effets indésirables, qui figuraient dans le résumé des caractéristiques du produit (archive).
Selon le cardiologue, "chez quelqu’un sans atteinte cardiaque, il n’y a aucun souci avec l’hydroxychloroquine, mais un coeur de patient Covid est un coeur qui est déjà sensibilisé, altéré, et donc si on donne un médicament susceptible de développer une cardio -toxicité particulière, c’est problématique".
Les événements cardiaques subis par des patients Covid pouvaient survenir, selon le Pr Drici, "dans l’heure ou dans les jours suivant la prise du comprimé". Il se souvient notamment d’un patient à qui on avait donné un premier comprimé d’hydroxychloroquine le soir de son arrivée à l'hôpital. Le lendemain matin, avec un deuxième comprimé, "il est parti en torsade de pointe [un accès de tachycardie pouvant être fatal, NDLR] dans l’heure qui a suivi, qui a nécessité deux chocs électriques externes". Un autre patient, un jeune homme qui avait bien supporté l’hydroxychloroquine six jours durant, "est tombé raide au septième jour, les yeux révulsés, dans un état gravissime" selon M. Drici.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) indiquait en avril 2021 (archive) que "la prise d'hydroxychloroquine en traitement contre la Covid-19 peut augmenter le risque d'arythmie cardiaque, de troubles sanguins et lymphatiques, de lésions rénales, ainsi que de troubles et d'insuffisances hépatiques".
Une surmortalité difficile à quantifier, mais confirmée par plusieurs études
D'après l'étude titrée "Les morts engendrés par l'utilisation compassionnelle [à titre dérogatoire sans autorisation de mise sur le marché, NDLR] d'hydroxychloroquine pendant la première vague de Covid-19: une estimation", publiée le 2 janvier dans la revue Biomedicine & Pharmacotherapy, "le nombre de décès liés à l'hydroxychloroquine chez des patients hospitalisés est estimé à 16.990 dans six pays".
Ce n'est pas la première fois qu'une étude tente de calculer la mortalité engendrée par la prescription d'hydroxychloroquine lors de la crise sanitaire, et cette dernière prend d'ailleurs comme point de départ une autre étude de 2021 (archive) qui estimait à 11% cette surmortalité.
Interrogé par l'AFP Factuel le 9 janvier 2024 au sujet du but de son étude, le professeur Jean-Christophe Lega (archive), qui a coordonné ce travail, a expliqué: "Nous avons voulu savoir, quelle était de manière absolue les conséquences de ce chiffre de 11%, car c’est une mesure relative".
Selon leur estimation, basée sur des études menées dans six pays (Belgique, France, Espagne, Etats-Unis, Turquie et Italie), l'hydroxychloroquine a été responsable d'au moins 16.990 morts pendant la première vague, dont la majeure partie (12.700 morts) aux Etats-Unis.
Même si le risque cardiaque avec cette molécule est "rare", explique Jean-Christophe Lega, "il y a eu des efforts de recherche extrêmement conséquents sur cette molécule dans des essais contrôlés randomisés avec un nombre de patients tel qu’on peut obtenir l’évaluation précise d’un effet rare".
Comme le soulignent les détracteurs de l'étude et comme le reconnaissent eux-mêmes ses auteurs, les résultats sont assortis d'une marge d'incertitude (estimée via ce qu'on appelle l'intervalle de confiance) assez élevée, due notamment selon les auteurs à la difficulté d'évaluer précisément le nombre de personnes qui ont reçu de l'hydroxychloroquine.
"Il nous paraissait légitime de réintroduire cet intervalle de confiance [que l'on trouvait à l'origine dans l'étude de 2021, NDLR]. Il peut conduire à une surestimation du nombre de décès par un facteur 5 c’est-à-dire qu’il faudrait diviser par 5 le chiffre", reconnaît le Pr Lega.
Dans le cas de la France, où les auteurs estiment que l'hydroxychloroquine a fait 199 morts pendant la première vague, "si on divise par 5 ça fait quand même 40 morts, uniquement pendant la 1ère vague, pour nous prescripteurs pharmacologues, 40 décès par prescription d’une molécule à visée compassionnelle, c’est beaucoup trop".
Les chiffres français semblent néanmoins bien supérieurs à ceux relevés par l'équipe de Milou-Daniel Drici dans son étude de mai 2020 (archive), qui attribue 8 arrêts cardiaques, dont la moitié ont été mortels, à l'hydroxychloroquine en un mois en France.
La France qui finalement fut un faible prescripteur d'hydroxychloroquine dans des études cliniques selon l'équipe de M. Lega, avec un taux de recours à cette molécule de 16%, contre 84% en Espagne.
Dans le journal Le Monde (archive) néanmoins, la chercheuse Dominique Costagliola (Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique, Sorbonne Université, Inserm) estime que "le vrai chiffre au niveau mondial" sur l’ensemble de la période pandémique "est probablement très supérieur" à 16.990 morts, puisque l'analyse de l'équipe lyonnaise ne disposait pas des données de pays gros prescripteurs comme l'Inde et le Brésil, ni de celles des patients morts en-dehors de l'hôpital.
"Cette étude c’est presque de la pédagogie: ça dit 'un risque de 11% ça ne vous semble pas grand-chose, mais si on le prescrit de manière éhontée ça a des conséquences énormes'", conclut le pharmacologue Mathieu Molimard (archive). "Le message c’est: 'on ne prescrit pas un médicament dont on ne sait pas formellement s’il est efficace' parce qu’on fait prendre des risques à tous les patients, et si le risque est faible mais qu’on le prescrit à beaucoup de patients ça fait beaucoup de morts".
L'étude de Jean-Christophe Lega a finalement été rétractée fin août 2024, le comité éditorial de la revue expliquant avoir reçu "de nombreuses lettres", qu'elle a d'abord souhaité publier, avant de décider - "au vu de l'information reçue à ce stade, et de l'étendue et de la profondeur de la critique", de rétracter l'étude (archive). Cette décision, selon le comité éditorial, a été prise pour deux principales raisons: le manque de fiabilité de certaines données, notamment belges, basées sur des estimations, et le fait que "l'hypothèse que tous les patients hospitalisés ont reçu les mêmes médicaments était incorrecte".
Des doses thérapeutiques plus élevées que pour les maladies chroniques
Pour certains internautes, le fait que l'hydroxychloroquine soit supporté sans problème depuis de nombreuses années par des patients atteints de rhumatismes inflammatoires ou de lupus érythémateux disséminé (une maladie auto-immune) remet en cause sa toxicité dans le Covid.
"Le risque est lié à l’indication, le médicament sur sa table n’est pas dangereux, ça dépend de la personne qui le prend", insiste le Pr Molimard, qui rappelle que les patients lupiques qui se voient prescrire de l'hydroxychloroquine passent d'abord un électro-cardiogramme pour vérifier que leur condition cardiaque le permet. La chloroquine est considérée comme un médicament à marge thérapeutique étroite par la SFPT, pour lequel les concentrations toxiques sont proches des concentrations efficaces.
Dans le Covid, confirme le Pr Lega, pour obtenir un effet thérapeutique en quelques jours, "ce n’était pas des doses normales comme pour un patient avec un lupus d’un comprimé par jour, c’était plusieurs comprimés par jour (...) en tous cas des posologies supérieures à celles administrées aux autres patients dans le cadre de l’AMM et ça a pu contribuer à l’augmentation de la toxicité".
Surtout, rappelle Milou-Daniel Drici, "dans le Covid il n’y avait aucun bénéfice, donc si vous avez un seul risque, même s’il est rare, le bénéfice/risque est négatif". Comme de nombreux experts l'ont expliqué à l'AFP Factuel à de nombreuses reprises, comme ici en juin 2022, il est faux de dire que l'hydroxychloroquine a "sauvé des vies", en l'état actuel des connaissances, son efficacité dans le Covid n'a pas été prouvée.
"Il ne faut pas accuser à postériori : il y avait une demande sociétale extrêmement forte pour les médicaments compassionnels. Mais on peut éviter de reproduire nos erreurs", conclut le Pr Lega.
Le 15 juin 2020, les autorités sanitaires américaines ont retiré l’autorisation d’utiliser dans l’urgence la chloroquine et l’hydroxychloroquine contre le Covid-19. La France en avait banni l’usage (archive), hors essais cliniques, contre cette maladie le 28 mai.
Rien ne permet de dire que le paracétamol a "tué" pendant la première vague
Les publications trompeuses au sujet de l'étude publiée par l'équipe du Pr Lega assurent qu'un autre médicament largement prescrit contre le Covid, le paracétamol, molécule notamment du Doliprane en France, a lui, "tué" bien davantage pendant la première vague.
"Il n'y a à ma connaissance aucune preuve scientifique de cela", a commenté auprès de l'AFP le 11 janvier Djilali Annane (archive), réanimateur à l'AP-HP.
"Le paracétamol a donc été été préconisé pendant la pandémie comme traitement symptomatique de la fièvre et des courbatures et pas comme traitement du Covid, avec des spécifications très claires de la part de l'ANSM sur le fait que la dose maximale en automédication ne devait pas excéder 1 gramme trois fois par jour", a-t-il rappelé.
Une étude (archive) sur l'utilisation du paracétamol à domicile par les patients Covid publiée en 2022 dans Internal and emergency medicine a conclu à "rassurer sur l'utilisation et le profil de risque du paracétamol pour traiter les symptômes précoces du Covid-19 comme d'autres infections respiratoires".
Les autorités du monde entier qui continuent de préconiser son usage en cas de Covid, comme l'OMS (archive).
Selon l'ANSM (archive), sur les 321 cas d’effets indésirables de traitements déclarés en lien avec une infection à Covid-19 au 22 avril 2020, soit plus d'un mois après le début du premier confinement, plus de la moitié concernait des patients traités avec de l'hydroxychloroquine, et étaient classés comme "graves" dans leur majorité. 42% concernait le Kaletra (un antiretroviral). Le paracétamol ne figure pas parmi les traitements ayant engendré des effets graves pendant le premier mois de confinement.
Sur cette page VigiAccess de l'OMS répertoriant les effets indésirables liés au paracétamol, on n'observe pas de pic lié au Covid, au contraire, le nombre d'effets rapportés en 2020 est bien en-deçà de celui de 2019.
Cependant le paracétamol, bien que largement utilisé en auto-médication et vendu sans ordonnance, doit être utilisé avec précaution, car le surdosage peut avoir des conséquences graves, voire mortelles, rappelle le réseau français de pharmacovigilance (archive).
Depuis 2020, la mention "surdosage = danger" est d'ailleurs obligatoire sur toutes les boites de paracétamol vendues en France.
Les recommandations de bon usage sont, selon l'Agence du médicament (archive), de prendre "la dose la plus faible, le moins longtemps possible", respecter la dose maximale quotidienne (3 grammes par jour) et la durée de traitement recommandée et vérifier s'il y a du paracétamol dans les autres médicaments (utilisés pour douleurs, fièvre, allergies, symptômes du rhume ou état grippal).
Car à dose trop élevée, cette substance peut s'attaquer au foie. Une surdose de paracétamol provoque d'abord des "signes discrets d'irritation gastro-intestinale", selon l'OMS (archive).
Ils "sont généralement suivis deux jours plus tard d'anorexie, de nausées, de malaise, de douleurs abdominales, puis de signes progressifs d'insuffisance hépatique et, finalement, de coma hépatique".
En-dehors de ces effets liés au surdosage, le paracétamol ne présente pas de risque particulier pour les patients Covid, contrairement à l'hydroxychloroquine. "Le surrisque potentiel serait chez des personnes qui ont le foie malade, or le Covid en lui-même, y compris dans des formes graves, n'entraine pas de surrisque de toxicité du paracétamol", conclut le docteur Annane.
Enfin, selon le Dr Lesgards, le paracétamol aggraverait les effets secondaires du vaccin Covid. Là encore, l'AFP n'a pas trouvé d'étude scientifique en ce sens.
Depuis le début de la pandémie, les fausses informations sur l'hydroxychloroquine n'ont pas cessé, et l'AFP Factuel y a consacré de nombreux articles, comme ici en avril 2020.
ajoute la rétractation de l'étude de Jean-Christophe Lega en août 2024, dans le paragraphe précédant l'intertitre "Des doses thérapeutiques plus élevées que pour les maladies chroniques"enlève la mention de proximité entre M. Lesgards et M. Raoult, suite aux clarifications de M. Lesgards23 août 2024 ajoute la rétractation de l'étude de Jean-Christophe Lega en août 2024, dans le paragraphe précédant l'intertitre "Des doses thérapeutiques plus élevées que pour les maladies chroniques"
15 janvier 2024 enlève la mention de proximité entre M. Lesgards et M. Raoult, suite aux clarifications de M. Lesgards