Non, cette vidéo ne montre pas une mise en scène de fausses victimes à Gaza en 2023
- Publié le 03 janvier 2024 à 16:01
- Lecture : 6 min
- Par : AFP France
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Le 7 octobre 2023, environ 1.140 personnes ont été tuées sur le territoire israélien par les hommes du Hamas, en majorité des civils fauchés par balles, brûlés vifs ou morts de mutilations, selon un décompte de l'AFP à partir des derniers chiffres officiels israéliens. Des commandos du Hamas avaient pris en otage environ 250 personnes, dont plus de 100 avaient été libérés fin novembre lors d'une trêve d'une semaine.
En représailles, Israël a promis de détruire le Hamas, au pouvoir à Gaza depuis 2007, et a lancé des opérations au sol le 27 octobre 2023, venues s'ajouter aux bombardements sur le territoire palestinien.
La guerre qui dure depuis près de trois mois a coûté la vie à 22.313 personnes à Gaza, majoritairement des femmes, des adolescents et des enfants, selon un bilan du 3 janvier 2024 du Hamas, classé organisation terroriste par les Etats-Unis, Israël et l'Union européenne.
Depuis le début du conflit, certains internautes assurent dénoncer, sur les réseaux sociaux, une prétendue mise en scène de Palestiniens cherchant à exagérer leurs pertes humaines, une accusation souvent accompagnée du hashtag "#Pallywood", contraction de 'Palestine' et de 'Hollywood'.
"En direct de la Fakestine le grand tournage ! Une super production made in Pallywood ! Le tout organisé sous les yeux de Médecins du Monde une pseudo ONG pro Hamas", "Comment Pallywood fonctionne avec l'aide de 'Médecins du Monde' et 'Médecins sans frontières'. Alors vous savez maintenant à quoi servent vos dons" : fin décembre 2023, sur X (ex-Twitter) comme sur Facebook, des internautes prétendaient ainsi démontrer, vidéo à l'appui, la mise en scène des faux blessés et de faux morts par des Palestiniens, avec l'aide des organisations non gouvernementales Médecins du Monde et Médecins sans frontières.
Cette séquence d'une quarantaine de secondes montre des femmes et des hommes se faire maquiller par une équipe de maquilleurs qui leur crée de fausses blessures à la main, à la poitrine ou encore à la cuisse.
On y voit, au tout début, un homme vêtu d'une veste siglée du logo de l'ONG Médecins du monde, un bloc-notes à la main, en train d'observer la disposition de plusieurs personnes étendues au sol, près de ce qui ressemble à des traces de sang. Et, en haut à droite de la vidéo, un bandeau "Gaza fake" ("faux de Gaza") et, en bas, partiellement coupé, le titre "Gaza film industry" ("l'industrie cinématographique de Gaza").
Mais contrairement à ce que soutiennent ces internautes, ces images ne montrent pas une mise en scène de fausses victimes de la guerre en cours entre Israël et le Hamas, ainsi que le laissent deviner le mot "simulation" et les illustrations d'ambulance et de brancardier imprimées sur la pancarte visible au début de cette vidéo.
Il s'agit en réalité d'un exercice d'entraînement médical de l'ONG Médecins du monde en 2017, qui avait embauché des maquilleurs professionnels de cinéma pour accroître le réalisme, comme l'AFP l'avait démontré en 2021, puis à nouveau après le début de la guerre entre Israël et le Hamas, fin 2023, lorsque des intox similaires avaient commencé à circuler sur les réseaux sociaux.
Un entraînement de soignants de Médecins du monde
La séquence d'origine, qui fait aujourd'hui l'objet d'une décontextualisation, a été filmée par la chaîne de télévision turque TRT World, et mise en ligne en mars 2017 sur sa chaîne YouTube (lien archivé).
Le reportage y est ainsi présenté en introduction : "Il n'y a pas beaucoup de productions cinématographiques dans la bande de Gaza. Mais cela n'a pas empêché la maquilleuse Mariam Salah de poursuivre son rêve. Elle a appris en autodidacte à créer du faux sang pour les films palestiniens, en s'imposant dans un domaine traditionnellement masculin."
On y retrouve à partir de 19 secondes le même titre informatif sur l'"industrie cinématographique de Gaza", mais il est ici accompagné d'un second bandeau précisant sans ambiguïtés l'objet du reportage, consacré à la carrière et aux aspirations de Mariam Salah : "Une maquilleuse brise la barrière du genre".
"Mariam Salah crée des blessures d'apparence horrible sur des acteurs participant à un projet de l'ONG française Médecins du monde. Ils espèrent sensibiliser aux dangers auxquels font face les résidents de Gaza", précise la voix off du reportage.
Contactée par l'AFP en mai 2021, Mariam Salah avait expliqué qu'un des objectifs de l'événement "était de réaliser des blessures réalistes pour un entraînement des soignants de Médecins du monde".
Une responsable locale de l'ONG, Heba Hamarnah, avait expliqué à l'AFP que l'objectif était de réaliser une centaine de blessures pour simuler un accident de la route massif, ajoutant que Médecins du monde travaillait avec cette artiste depuis 2016. Maryam Salah est aussi par exemple citée dans ce papier du quotidien britannique Guardian consacré aux artistes gazaouis, daté du 1er octobre 2023 (archivé ici).
D'autres images décontextualisées de cette simulation ont également présentées à tort, début novembre 2023, sur les réseaux sociaux, comme un atelier d'effets spéciaux de la "mascarade du Hamas", laissant entendre que le mouvement palestinien met en scène de fausses victimes.
La vidéo originale a été publiée en 2017 par un média de Gaza, le Gaza Post. Des séquences de la vidéo complète ont été extraites et mises bout à bout, omettant les passages qui permettent de contextualiser les images. Le Gaza Post présente son sujet comme la mise en avant du savoir-faire des maquilleurs (archivé ici).
Une vidéo disponible sur la chaîne YouTube du Médecins du monde au Moyen-Orient (lien archivé) montre un exercice similaire réalisé par l'ONG en mars 2014 afin de tester la réactivité des "acteurs de la santé à Gaza" en cas d'urgence, en simulant deux accidents ayant fait au moins trente blessés.
"Pallywood", une accusation récurrente
Depuis le début du conflit, l'AFP et d'autres médias ont relevé l'utilisation de très nombreuses images sorties de leur contexte pour faire croire à des tentatives de simuler des faux cadavres ou de faux blessés côté palestinien.
Ces infox circulent dans un contexte où les chiffres des pertes palestiniennes, donnés par le ministère de la santé du Hamas, font l'objet de remises en question de la part de certains acteurs, un sujet compliqué par la difficulté à les vérifier de manière indépendante.
L'AFP a vérifié certaines de ces infox, dont, parmi les plus virales : des corps enveloppés dans des linceuls lors d'une manifestation au Caire en 2013, un enfant déguisé pour Halloween en Thaïlande, de jeunes hommes en portant un autre pour braver un couvre-feu en Jordanie, un corps d'enfant en état de rigidité cadavérique, un cours de gestion funéraire en Malaisie, un entraînement médical en 2017 ou des photos d'une fillette sauvée de décombres d'un bombardement et passant de bras en bras, autant d'images détournées afin d'affirmer que les morts et les blessés de la bande de Gaza sont mis en scène, par le Hamas ou les civils palestiniens eux-mêmes, selon les versions (archives : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7).
A Gaza, le Hamas contrôle la chaîne de télévision locale, Al-Aqsa, et investit depuis quelques années le champ des séries de fiction pour mettre en scène leur version du conflit israélo-israélien, comme l'AFP l'a expliqué dans cet article en 2022 (archivé ici).