Un cocktail Nattokinase, Bromélaïne et Nanocurcumine pour annihiler les effets d'une vaccination anti-Covid ? C'est infondé

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 10 août 2023 à 15:56
  • Mis à jour le 06 septembre 2023 à 12:51
  • Lecture : 9 min
  • Par : Juliette MANSOUR, AFP France
Des internautes jugeant la vaccination anti-Covid dangereuse prétendent qu'un "cocktail" composé de Bromélaïne, Nattokinase et Nanocurcumine permet d'"annihiler les effets de l'injection". Les publications soutiennent que ces produits peuvent dégrader la protéine Spike - celle du Sars-Cov-2, virus à l'origine du Covid -, dont les vaccins anti-Covid induisent temporairement la production dans l'organisme pour créer une réponse immunitaire. Ces internautes en concluent qu'ingérer les trois substances peut "annuler la vaccination". Mais cette allégation est infondée, et ces publications se basent sur une mauvaise connaissance du fonctionnement des vaccins à ARN messager, ont expliqué les experts interrogés par l'AFP.

"Voici comment détoxiquer AVEC SUCCÈS la protéine de pointe (SPIKE) de l'organisme par Dr Peter McCullough: 2000 unités de Nattokinase 2X /jour 500 mg de Bromélaïne 500 mg de Curcumine 2X /jour ", affirme un message publié sur X (ex-Twitter) le 3 août.

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Capture d'écran prise sur X (ex-Twitter) le 10/08/2023
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Capture d'écran prise sur X (ex-Twitter) le 10/08/2023

 

 

Il s'accompagne d'une vidéo de Peter McCullough, dont plusieurs allégations sur la vaccination anti-Covid ont déjà été vérifiées par l'AFP (1, 2, 3).

"Base Spike Detox, c'est une thérapie de base que vous pouvez compléter avec d'autres choses mais nous pensons qu'elle est nécessaire pour tout le monde : il existe deux moyens de dégrader la protéine Spike et l'enlever du corps. Le première est la Nattokinase, 2.000 unités deux fois par jour, la seconde est la Bromélaïne 500 milligrammes une fois par jour. Ils dégradent tous les deux la protéine de pointe de manière différente et accélèrent sa disparition ensemble. Enfin pour réduire les dommages de la protéine Spike il faut utiliser la curcumine, soit sous forme nano ou liposomale, 500 milligrammes deux fois par jour", affirme-t-il face caméra dans l'extrait d'un peu plus d'une minute.

Une autre vidéo, dans laquelle il promeut lors d'une autre interview le même "cocktail" pour annihiler la vaccination anti-Covid, a également circulé.

Cette recette a largement été reprise sur les réseaux sociaux, notamment en France par la biologiste Hélène Banoun, critique régulière de la gestion de la crise Covid.

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Capture d'écran prise sur X (ex-Twitter) le 10/08/2023

En commentaires, de nombreux internautes demandent la durée du "traitement", et si une ordonnance est nécessaire pour acheter les articles cités, qui peuvent facilement être commandés en ligne.

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Capture d'écran prise sur X (ex-Twitter) le 10/08/2023

Mauvaise compréhension du fonctionnement des vaccins à ARNm

Selon les internautes qui partagent cette prétendue "recette détox", ces trois substances permettraient d'annuler les effets d'une vaccination anti-Covid, dont l'injection suscite la production par l'organisme de la protéine Spike, aussi appelée protéine de pointe. Cette conclusion relève toutefois d'une mauvaise connaissance du fonctionnement des vaccins à ARN messager, ont expliqué plusieurs spécialistes à l'AFP.

Les vaccins à ARN messager comme ceux de Pfizer/BioNTech et Moderna utilisent une technologie originale. Au lieu de confronter le système immunitaire à une partie d'un virus affaibli ou à une forme inactivée du virus pour susciter des anticorps, ces vaccins donnent aux cellules un mode d'emploi génétique indiquant au corps comment produire -sur une durée limitée- une partie du virus : la protéine Spike, celle qui sert de "clé" pour entrer dans la cellule humaine.

Cette réaction immunitaire permet à l'organisme d'être entraîné afin de pouvoir combattre efficacement et immédiatement le Sars-Cov-2 en cas d'infection.

Les vaccins ne contiennent donc pas la protéine elle-même, mais ils transmettent des instructions contenues dans l'ARN messager pour la produire.

A noter que la protéine Spike à elle seule n'est pas pathogène. "Le discours anti-vaccins serait de penser que la Spike reste dans le sang et qu'on pourrait de fait se 'dévacciner' en enlevant la Spike. Mais c'est faux car quand la Spike est produite à partir des instructions délivrées par l'ARN messager, elle disparaît rapidement ensuite", soulignait déjà en janvier 2022 Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie au CHU de Bordeaux.

"Le principe de la vaccination à ARN est que celui-ci induit la production de la protéine Spike de façon très transitoire, ce qui suffit parfaitement à induire une réponse immunitaire spécifique de Spike, mais très rapidement les ARN injectés ainsi que les protéines dont il a induit la fabrication sont dégradés. Cela fait que de toute façon rien ne persiste dans l'organisme mis à part la mémoire du système immunitaire pour la protéine Spike", a également réfuté en juillet 2023 Frédéric Altare, directeur du département d'Immunologie au Centre de recherche en cancérologie et immunologie Nantes-Angers (CRCINA) et directeur de recherche à l'Inserm.

"Donc quel que soit le produit mis au point pour dégrader la protéine Spike, il ne fera que faire la même chose que ce qui se passe naturellement, ceci n'est encore qu'un argument commercial destiné à faire vendre ces produits en surfant sur la croyance que le vaccin anti-Covid va persister dans l'organisme, ce qui n'est de toute façon pas le cas", a-t-il conclu auprès de l'AFP.

Une étude (archivée ici) publiée fin août 2023 dans une revue en libre accès en ligne assure quant à elle qu'"un fragment spécifique de la protéine Spike a été retrouvé dans 50% des échantillons biologiques analysés (...) entre 69 et 187 jours après la vaccination". M. Molimard, que l'AFP Factuel a de nouveau interrogé le 6 septembre 2023, à la suite de cette publication, juge cette "communication scientifique" très lacunaire: "on n'a pas de détails sur les patients, le délai entre la vaccination et le prélèvement, et surtout la quantification: quand ils parlent de traces de protéines, c'est peut-être de simples traces de résidus de dégradation de peptide [protéine de petite taille, NDLR] car il est important de noter qu'ils ne recherchent qu'un fragment de 12 acides aminés".

M. Altare, lui, a également réagi à cette étude le 5 septembre, estimant que "certaines modifications de l'ARN vaccinal ainsi que sur la protéine Spike qu'il permet de produire, ont amélioré la durée de vie à la fois de l'ARN et de la protéine qu'il produit, dans le but d'améliorer leur capacité à activer plus fort une réponse immunitaire. Ces modifications pourraient en effet permettre de les détecter plus longtemps qu'un ARN ou qu'une protéine 'naturelles'".

Pour autant, juge-t-il, "seuls des fragments de la Spike recombinante ont pu être identifiés dans cette étude, donc la protéine recombinante a bien été dégradée, même si cette dégradation n'est pas de 100 %, certainement à cause des modifications spécifiques ajoutées pour améliorer la stabilité". Il s'agit selon lui de "traces de résidus de dégradation du produit vaccinal (...) et sauf preuve du contraire, pour l'instant personne n'a montré une quelconque activité de ce genre de débris de dégradation".

"Si on analysait d'autres protéines vaccinales de vaccins utilisés sous forme de protéines injectées, on trouverait aussi chez certains sujets à distance de l'injection certains fragment de dégradation de ces protéines vaccinales sans que cela n'ait aucune conséquence connue", a-t-il ajouté.

M. Molimard critique surtout "un certain parti pris" dans les conclusions de l'étude, qui souhaite "aider la prise de décision individuelle pour savoir si on doit injecter un rappel du vaccin ou attendre".

Comme expliqué de très nombreuses fois par des scientifiques du monde entier depuis le début de la vaccination anti-Covid, la rhétorique anti-vaccinale continue de prétendre que la protéine Spike induite par les vaccins est dangereuse et qu'il faudrait s'en débarrasser.

"Aucune action protéolytique de ces substances une fois avalées"

Suivant cette logique, la Bromélaïne, la Nattokinase et la Nanocurcumine pourraient servir à "détruire", ou au moins "accélérer la dégradation" de la protéine Spike générée par la vaccination anti-Covid, soutiennent les publications virales. Outre le fait qu'il n'y a pas de sens scientifique à vouloir "détruire la Spike induite par les vaccins", les trois substances, vendues sous forme de gélules et qui doivent donc être avalées, puis digérées, n'ont pas prouvé leur efficacité pour un tel usage.

"La curcumine est le pigment jaune du curcuma. C'est un antioxydant. Il ne dégrade aucune protéine. La bromélaïne (extrait des racines de l'ananas) et la nattokinase (soja fermenté) ont en effet des propriétés protéolytiques. Elles sont donc capables à forte dose de dégrader des protéines, comme la protéine Spike par exemple (...) Le problème, c'est que les enzymes sont elles-mêmes des protéines et elles sont digérées (et perdent donc leur propriétés enzymatiques) quand elles transitent par notre tube digestif. Il ne faut donc attendre aucune action protéolytique de ces substances une fois avalées et digérées", explique Michel Moutschen, de l'Université de Liège en Belgique.

Ainsi les protéases ingérées par le biais des gélules de Nattokinase ou de Bromélaïne arrivent dans l'estomac et ne peuvent donc pas rencontrer et agir sur le vaccin, qui est injecté localement dans le muscle du bras, soulignent les scientifiques interrogés.

"Quand on se vaccine, on fait produire de la Spike au niveau musculaire et c'est capturé par les cellules du système immunitaire. Manger une enzyme qui va rester dans la voie digestive n'aura aucun effet sur le vaccin ni sur le système immunitaire", expliquait également en janvier 2022 Olivier Schwartz, le directeur de l'unité Virus et Immunité de l'Institut Pasteur.

L'AFP a déjà consacré un article de vérification à l'affirmation selon laquelle la nattokinase pourrait permettre de "détruire la protéine Spike des vaccins" en janvier 2022, dans lequel l'immunologiste Frédéric Altare expliquait que "si les gens prenaient de fortes doses en espérant se débarrasser de leur vaccin, cela pourrait avoir des conséquences néfastes pour la santé car une attention est portée sur ce produit après des avis d'alerte émis concernant sa consommation pour des suspicions de fluidification du sang, qui pourrait conduire à des hémorragies ou des chutes de tensions, même si cela n'est pas avéré".

Une vaccination anti-Covid ne peut pas être "annulée"

Depuis la mise sur le marché de la vaccination anti-Covid, de très nombreuses publications en ligne ont affirmé à tort qu'il serait possible de "neutraliser" une vaccination anti-Covid, à l'aide, par exemple, d'une pompe à venin, ou d'un cocktail composé d'argile, chlorure de magnésium ou pépins de pamplemousse.

Mais les scientifiques interrogés soulignent qu'il est impossible de supprimer les effets d'une vaccination anti-Covid qui a déjà donné les instructions à l'organisme pour se défendre en cas d'infection au Sars-Cov-2.

"Les effets de la vaccination ne dépendent pas de la persistance de la protéine Spike. C'est réellement la mémoire de nos cellules immunitaires qui intervient et elle persiste même quand l'antigène a disparu. Si on voulait 'annihiler' les effets d’une vaccination (pour une raison absurde, s'entend), il faudrait donner des médicaments immunosuppresseurs", explique Michel Moutschen.

"La seule façon que l'on aurait d'annihiler une vaccination ce serait de démolir toutes les cellules immunitaires d'un individu et de les remplacer par des toutes neuves", abonde Frédéric Altare.

"Surtout, se 'dévacciner' ne serait pas souhaitable car le vaccin a démontré son efficacité contre les formes graves de la maladie", concluait Mathieu Molimard, citant une étude parue en juin 2022 dans la revue "The Lancet Infectious Diseases" estimant que la vaccination anti-Covid aurait permis de sauver 19,8 millions de vies lors de la première année suivant l'introduction des vaccins.

Au 30 juin 2023, sur 150 millions de doses de vaccin anti-Covid administrées en France, 1.020 personnes ont demandé une indemnisation à l'Oniam, l'organisme national d'indemnisation des accidents médicaux, chargé de traiter les demandes d'indemnisation des personnes victimes d'accidents médicaux graves.

L'organisme a rendu un avis sur 241 dossiers et pour 30% d’entre eux, soit 72 dossiers, a donné son accord à une indemnisation, selon des chiffres rendus publics au Sénat mi-juillet. Les indemnisations concernent principalement des myocardites ou des péricardites survenues après une vaccination Covid. Les chiffres de l'Oniam ne concernent pas les procédures judiciaires en cours pour des accidents liés aux vaccins.

6 septembre 2023 Actualise le passage sur la protéïne Spike avec commentaire d'une nouvelle étude

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