Cet homme roué de coups dans les rues de Niamey n'est pas un membre du gouvernement déchu de Mohamed Bazoum

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 10 août 2023 à 15:13
  • Mis à jour le 10 août 2023 à 17:03
  • Lecture : 8 min
  • Par : Emilie BERAUD
Alors que le président élu Mohamed Bazoum, sa famille et d'autres membres de son gouvernement sont toujours détenus par les auteurs du coup d'Etat au Niger, des publications prétendent montrer une vidéo du ministre de l'Intérieur du gouvernement déchu, passé à tabac dans les rues de Niamey. D'autres messages avancent qu'il s'agit du Premier ministre de ce même gouvernement. C'est faux: ces deux responsables, Hamadou Adamou Souley et Ouhoumoudou Mahamadou, ne pouvaient se trouver dans les rues de la capitale le 27 juillet 2023, date à laquelle la vidéo a été filmée. Le premier était alors séquestré tandis que le second se trouvait à l'étranger.

Un homme en costume beige violemment jeté au sol et roué de coups par un groupe d'une dizaine de personnes en colère : voici la scène chaotique qui circule sur les réseaux sociaux depuis le 1er août. Sur cette vidéo d'une durée de 34 secondes, l'homme reçoit des coups de poings au visage et, en fin de séquence, de bâton. Exfiltré de la bousculade par trois autres hommes, il prend finalement la fuite en courant, par un portail de couleur bleue.

"Le ministre de l'intérieur du Niger Lynché par la population après le coup d’état de la semaine dernière", affirme la légende de la vidéo (lien archivé ici) postée sur X (ex-Twitter) le 2 août, et relayée plus de 300 fois depuis.

"Le ministre de l'intérieur du Niger tabassé par la population. Le pouvoir est dans la rue", avance une autre publication (lien archivé ici), partagée plus de 500 fois sur Facebook depuis le 1er août. Diffusant la même vidéo, un compte sur X assure lui aussi, à tort : "les traîtres lynchés. Ici l'ex premier ministre. Ca doit cogiter dans les hautes sphères françaises" (lien archivé ici).

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Captures d'écran prises sur Twitter le 9 août 2023

L'AFP n'a pas pu retrouver l'identité exacte de l'homme qui reçoit des coups sur cette vidéo. Mais des sources locales, ainsi que plusieurs éléments visuels et de contexte permettent de certifier qu'il ne s'agit pas d'un membre du gouvernement Bazoum. Le 27 juillet, date à laquelle ces images ont été filmées, son ministre de l'Intérieur Hamadou Adamou Souley était détenu par les auteurs du coup d'Etat, tandis que son Premier ministre, Ouhoumoudou Mahamadou, se trouvait en déplacement à l'étranger.

Une vidéo filmée lors de l'attaque du PNDS-Tarayya

Plusieurs indices visuels collectés par l'AFP ont permis de déterminer la date et le lieu où la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux a été filmée.

Tout d'abord, sur ces images, un épais nuage de fumée s'échappe à proximité d'un bosquet d'arbres en feuilles, caractéristique que l'on retrouve dans les mêmes teintes sur une photographie de l'AFP.

La légende de cette photographie, prise dans la capitale du Niger Niamey le 27 juillet, indique : "Une vue d'ensemble de la fumée s'élevant dans le ciel alors que des partisans des forces de défense et de sécurité nigériennes attaquent le siège du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS)".

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Photographie de l'AFP prise à Niamey le 27 juillet 2023 (à gauche) et capture d'écran prise sur Twitter le 9 août 2023 (à droite)

De plus, en effectuant une recherche par mots-clés sur YouTube pour retrouver des images de cet événement, l'AFP a identifié un reportage TV (lien archivé ici) du média britannique The Independant intitulé: "Le siège du parti au pouvoir au Niger incendié par des partisans du coup d'État".

En comparant ces images avec celles diffusées sur les réseaux sociaux, on aperçoit des indices visuels similaires : un panneau publicitaire affichant une forme bleue (encadré en rouge ci-dessous) et un lampadaire situé à proximité (encadré en jaune ci-dessous) :

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Capture d'écran d'un reportage de The Independent publié sur YouTube le 28 juillet 2023 (à gauche) et capture d'écran prise sur Twitter le 9 août 2023 (à droite)

Par ailleurs, le média britannique The Guardian a également mis en ligne des images aériennes (lien archivé ici) de l'attaque du siège du PNDS-Tarayya, le 27 juillet 2023. Sous un autre angle, on distingue à nouveau le panneau publicitaire, mais également le portail bleu (encadré en rouge ci-dessous) par lequel l'homme assailli de coups s'enfuit et les barreaux blancs d'un bâtiment (encadré en jaune ci-dessous) visibles sur la vidéo que nous vérifions :

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Capture d'écran d'un reportage TV publié le 27 juillet 2023 sur YouTube par The Guardian (à gauche) et captures d'écran prise sur Twitter le 9 août 2023 (à droite)

Les images de cet homme violenté dans les rues de Niamey ont donc bien été filmées lors de de l'attaque du siège du PNDS-Tarayya le 27 juillet.

Ni le ministre de l'Intérieur ni le Premier ministre

Il est impossible qu'il s'agisse du ministre de l'Intérieur ou du Premier ministre du gouvernement déchu, comme l'affirment, à tort, de nombreux messages véhiculés sur les réseaux sociaux. D'abord, parce qu'à la date du 27 juillet, le ministre de l’Intérieur du Niger Hamadou Adamou Souley (lien archivé ici) était détenu depuis la veille par les auteurs du coup d'Etat.

Un communiqué (lien archivé ici) d'Amnesty Internationale, publié le 1er août sur le site de l'ONG, le certifie :

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Capture d'écran prise sur le site d'Amnesty International le 9 août 2023

Selon un communiqué du PNDS transmis le 31 juillet à l'AFP, quatre ministres dont celui de l'Intérieur ont effectivement été arrêtés depuis le coup d'Etat, de même qu'un ancien député et ancien ministre, et le chef du parti de Mohamed Bazoum. Le fils de l'ambassadrice du Niger en France a été également arrêté à Niamey, a déclaré le 9 août à l'AFP la diplomate, Aïchatou Boulama Kané, qui occupe toujours son poste en dépit de la décision des auteurs du coup d'Etat au Niger de mettre "fin" à ses fonctions.

Par ailleurs, le visage de l'homme roué de coups sur la vidéo ne ressemble pas à celui de Hamadou Adamou Souley, dont une photographie (lien archivé ici) est disponible sur le site du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya) :

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Capture d'écran de l'homme violenté dans le vidéo que nous vérifions (à gauche) et de l'ex ministre de l'Intérieur nigérien Hamadou Adamou Souley (à droite)

Pour ce qui est du Premier ministre de Bazoum, Ouhoumoudou Mahamadou, il était à l'étranger et plus précisément à Rome au moment du coup d'Etat. En effet, il s'est rendu le "mardi 25 juillet 2023, au siège de la CONFINDUSTRIA, la principale association représentative des entreprises de fabrication et de services en Italie", relevait l'Agence Nigérienne de Presse dans une dépêche (lien archivé ici) du 26 juillet.

Une autre dépêche (lien archivé ici) de l'agence de presse américaine Associated Press (AP), publiée le 1er août, confirme à son tour que "le Premier ministre du Niger, qui est bloqué à l'extérieur du pays depuis le coup d'État de la semaine dernière, a demandé mardi l'aide de la communauté internationale pour mettre fin à la prise de pouvoir par les militaires.".

Le politicien nigérien est d'ailleurs apparu sur le plateau de France 24 où il était interviewé le 30 juillet (lien archivé ici) :

De la même manière, le visage d'Ouhoumoudou Mahamadou dont des photographies sont disponibles ici (lien archivé ici) ne ressemble pas à celui de l'homme passé à tabac dans la vidéo que nous vérifions, comme en témoigne la comparaison visuelle ci-dessous :

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Capture d'écran de l'homme violenté dans le vidéo que nous vérifions (à gauche) et de l'ex Premier ministre nigérien Ouhoumoudou Mahamadou (à droite)

L'AFP n'a pas pu retrouver l'identité exacte de l'homme qui reçoit des coups sur la vidéo. Mais des sources locales ont confirmé à notre rédaction qu'il ne s'agit ni du ministre de l'Intérieur ni du Premier ministre nigérien du gouvernement Bazoum. Selon nos confrères de Benin Check Info, qui sont parvenus aux mêmes conclusions que l'AFP (lien archivé ici), il s'agirait d'un simple sympathisant du PNDS-Tarayya, dont les locaux ont été pillés ce jour-là.

Mohamed Bazoum toujours séquestré

Depuis le coup d'Etat du 26 juillet, le président élu Mohamed Bazoum est toujours séquestré par des militaires à Niamey.

Les Etats-Unis et l'ONU ont fait part mercredi de leur vive inquiétude (lien archivé ici) à propos de sa santé. Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a dénoncé "les déplorables conditions dans lesquelles vivraient le président Bazoum et sa famille".

Selon le média américain CNN, M. Bazoum est maintenu isolé par les militaires qui ont pris le pouvoir, et n'a que des pâtes et du riz pour se nourrir. Il a également affirmé dans une série de messages envoyés à un ami qu'il était privé de "tout contact humain depuis vendredi", sans que personne ne lui apporte de nourriture ni de médicaments, toujours selon CNN.

Le régime militaire issu d'un coup d'Etat au Niger a par ailleurs formé un gouvernement de 20 nouveaux ministres juste avant un sommet crucial à Abuja (Nigeria) où les dirigeants ouest-africains, qui n'excluent pas l'usage de la force armée pour rétablir le président renversé Mohamed Bazoum, se réunissaient jeudi.

De nombreuses images décontextualisées circulent sur les réseaux sociaux en lien avec l'actualité qui secoue le Niger. L'AFP en a déjà vérifié plusieurs, comme ici, ici ou encore ici.

10 août 2023 corrige coquille au 19e paragraphe

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