A l’approche de la présidentielle centrafricaine, attention à ces images d'infrastructures provenant d’autres pays
- Publié le 4 décembre 2025 à 17:31
- Lecture : 8 min
- Par : SUY Kahofi, AFP Côte d'Ivoire
Les Centrafricains se rendront le 28 décembre 2025 aux urnes pour des élections générales. Ils devront entre autres choisir leur futur président de la République entre sept candidats, dont l'actuel dirigeant Faustin-Archange Touadéra. A l’approche de cette échéance, plusieurs publications vantant de nouvelles infrastructures développées dans le pays circulent sur les réseaux sociaux. Certaines vantent ainsi la construction d'un échangeur dans la ville de Bangui, quand d'autres posts prétendent montrer une usine de fabrication de trains implantée non loin de la capitale. Mais attention, les images qui illustrent ces deux publications sont décontextualisées : elles ont en réalité été prises dans d'autres pays.
Quelque 2,3 millions d'électeurs centrafricains se rendront aux urnes le 28 décembre 2025 pour un quadruple scrutin regroupant les élections régionales et municipales, ainsi que le premier tour des élections législatives et de la présidentielle (dépêche AFP archivée ici).
Grâce à une modification constitutionnelle intervenue en 2023, l'actuel chef de l'Etat Faustin-Archange Touadéra - au pouvoir depuis 2016 - peut officiellement briguer un troisième mandat. Face à lui, on trouve six autres hommes politiques, dont son ex-Premier ministre Henri-Marie Dondra et le chef de file de l'opposition Anicet-Georges Dologuélé.
Dans ce contexte électoral, des publications sur les réseaux sociaux vantent les réalisations survenues ces dernières années dans le pays, afin de mettre en valeur les bilans de divers autorités remettant leur mandat en jeu.
Mais parmi des photos de chantiers réellement réalisés en République centrafricaine (RCA) se glissent parfois des photos d’infrastructures qui ont en réalité été construites dans d’autres pays. Prudence face à la manipulation d'images en période électorale.
Un échangeur à Rabat
"Des travaux de route en Centrafrique avance [sic] bien. Quand c'est bon on le dit aussi", affirme par exemple une publication partagée sur Facebook le 2 novembre 2025 (lien archivé ici).
Le post, qui cumule environ 800 mentions "j'aime", comporte un portfolio de trois images censées montrer ces travaux. On y voit sur la première photo un rouleau compresseur bitumant une route, puis un échangeur qui semble récent sur la deuxième et enfin une route fraîchement bitumée, à côté de laquelle circulent des deux roues.
Les deux photos présentant l’évolution du bitumage montrent effectivement des travaux entrepris sur une route centrafricaine, a pu attester AFP Factuel : une recherche d'images inversée a permis d'obtenir l'adresse des travaux, indiquée dans la publication Facebook d'une agence de communication centrafricaine (lien archivé ici). Un journaliste du bureau de l'AFP à Bangui s'est rendu à l'adresse indiquée ; il a constaté une concordance avec les clichés et la réalisation effective de travaux de bitumage.
Cependant, pas de trace sur place ni dans la publication Facebook de l'agence Diaspora de l'échangeur visible sur la deuxième photo, et pour cause : cette image décontextualisée pour faire croire à des travaux d'une plus grande ampleur n'a pas été prise en Centrafrique.
Aucune recherche d’image inversée réalisée avec les moteurs de recherches Google Image, Bing Image et Yandex Image ne donne de réponse probante sur le contexte dans lequel elle aurait été prise. Mais le logo "Rabat 24h" figurant en bas de l'image nous a permis de retrouver une plus ancienne occurrence du cliché.
En parcourant la section photos de la page Facebook de Rabat 24h, on retrouve l'image qui nous intéresse publiée dès le 20 août 2025 (lien archivé ici). On s’aperçoit rapidement que la photo reprise dans les publications affirmant qu’elle montrerait un chantier en Centrafrique a été tronquée pour enlever du cadre un bâtiment facilement reconnaissable qui apparaît en arrière-plan : le Grand Théâtre de Rabat.
Ceci nous permet donc d’affirmer avec certitude que la photo, publiée d’abord par une page touristique marocaine, montre bien un échangeur construit au Maroc et non en Centrafrique.
Une nouvelle usine de trains ? Non, des photos prises en France ou en Inde
Plusieurs publications partagées le 10 novembre affirment montrer les photos d’une "usine de fabrication de trains" implantée "à Pk30 route de Boali" (liens archivés ici, ici et ici). Cet endroit se situe à environ 30km au nord de Bangui, sur la route nationale qui mène à Boali, et est connu pour son pont bascule construit en 2023.
Ces posts, qui suscitent des centaines de réactions, arborent tous les quatre mêmes photos montrant des trains ou des trams flambants neufs, soit en usine soit en extérieur. "Vive la RCA", conclue la légende.
Mais en réalité, aucune de ces photos n’a été prise en Centrafrique. Ces clichés, pris en France ou en Inde ces dernières années, montrent tous des rames du constructeur ferroviaire français Alstom.
Grâce à une recherche d’images inversée, on retrouve la première image - celle d'un tram dans une usine aux rampes jaunes - dans cet article du quotidien Le Monde publié en 2017 (lien archivé ici). La légende précise qu’il s’agit d’une photo AFP prise par Francois Lo Presti, qui montrerait "une chaîne de fabrication du tram-train Dualis, du constructeur ferroviaire Alstom, le 16 décembre 2009 à Petite-Fôret (Nord)".
Grâce à ces indications, on retrouve l'image sur le site de l'AFP (lien archivé ici). Les métadonnées nous confirment que la photo a bien été prise en France, le 16 décembre 2009, et qu'elle n'a rien à voir avec une prétendue usine en Centrafrique.
D'autres recherches d'images inversées nous permettent ensuite de retrouver les photos 2 et 4 directement sur le site du constructeur ferroviaire français Alstom. Elles sont utilisées ici et là dans des communiqués de presse annonçant la conclusion de contrats avec les villes indiennes de Chennai et Mumbai pour la fourniture de rames sans conducteur (lien archivé ici et ici).
La dernière image, celle d'un train bleu qui roule en extérieur, a elle été utilisée à de nombreuses reprises ces dernières années dans des articles évoquant le développement ferroviaire en Inde, comme ici ou là (lien archivé ici et ici). On trouve une image très similaire sur le site d'Alstom, comme illustration principale de la page en anglais expliquant la présence du constructeur français en Inde (lien archivé ici).
Ces images de meilleure qualité permettent de lire l'inscription "Indian railways", présente sur le côté du train. On constate aussi sur les photos plus anciennes que la locomotive arbore en réalité un drapeau indien, et non un drapeau centrafricain. La photo partagée pour vanter le développement en République centrafricaine a donc été sciemment retouchée.
réalisée le 2 décembre 2025 / Encadrés rouges ajoutés par la rédaction de l'AFP.
réalisée le 2 décembre 2025 / Encadré rouge ajouté par la rédaction de l'AFP.
Interrogé par l’AFP, Alstom a confirmé que les quatre images montraient des rames qu'il avait fabriqué et qu'aucune n'avait de rapport avec la Centrafrique. L'entreprise a indiqué être le propriétaire des trois derniers clichés, pris selon elle entre 2018 et 2025. Elle confirme qu'ils montrent bien des rames en lien avec le marché indien.
"A ce jour, le groupe ne dispose pas de site de matériel roulant situé en Centrafrique", a par ailleurs précisé Alstom à l'AFP, ajoutant que l'entreprise était présente ailleurs en Afrique "depuis plusieurs décennies", via "plusieurs sites de matériel roulants et composants au Maroc, en Egypte, en Algérie et en Afrique du Sud".
Au-delà de ces photos décontextualisées, AFP Factuel s'est renseigné pour savoir si un projet d’usine de construction de trains figurait parmi les chantiers annoncés par le gouvernement actuel. Une recherche avec les mots clefs "usine de trains Centrafrique" ou "projet d’usine de train Bangui" ne donne rien de probant.
En revanche, plusieurs articles (ici, ici et ici) évoquent un projet ferroviaire visant à relier Bangui, la capitale centrafricaine, à la ville de Kribi, au Cameroun. Ce projet, annoncé depuis plus d’une dizaine d'années, a été relancé cet automne par le président Faustin-Archange Touadéra. Selon le média Radio Guira, la première pierre du siège social de l'entreprise Trans African Rail, en charge du projet, a été posée le 30 octobre au PK30, sur la route de Boali (lien archivé ici). Ce qui a pu prêter à confusion.
Les chantiers du gouvernement Touadéra
Lors de son deuxième mandat, le président Faustin-Archange Touadéra et son gouvernement ont lancé plusieurs grands chantiers visant l'amélioration des services publics de santé et d'éducation, la relance économique du secteur agro-industriel, l’accès à une meilleure connectivité grâce à l'installation de la fibre optique et le développement des infrastructures routières et aéroportuaires.
La Centrafrique, qui a connu des années de crises militaro-politiques, reçoit pour cela le soutien de plusieurs organismes - dont la Banque africaine de développement ou la Banque mondiale - ainsi que d'investisseurs privés étrangers.
Très concrètement, cela se traduit dans le pays par de nombreux chantiers de routes ou d'autres infrastructures. Le projet de modernisation et d’extension de l’aéroport Bangui-M’Poko, le chantier routier du corridor 13 (reliant le Tchad, la Centrafrique et le Congo) ou bien encore la construction de l’axe Gouga-Mbaïki-Bangui ont été lancés. La capitale s'est dotée de rues nouvellement bitumées, de réverbères à énergie solaire et a entamé une grande réfection de ses canaux captant l'eau de pluie.
Cependant, en réalité, beaucoup de projets patinent. Les travaux du corridor 13 sont loin d'être achevés sur la portion reliant Bangui à la frontière congolaise, si bien que l'axe reliant la capitale au Tchad - dont les travaux ne sont pas encore lancés - semble être encore très hypothétique (archivé ici). Quant à la route entre Mbaiki et Bangui, les travaux n'en sont qu'au stade du déblayage sur quelques petites portions, a pu constater l'AFP.
Côté aéroportuaire, les travaux de rénovation de l'aéroport de Bangui ne seront pas fini au plus tôt avant 2027. Et l’idée datant de 2024 d'un nouvel aéroport financé par les Émirats arabes unis n'a pour le moment connu aucune suite (lien archivé ici).
Après des années de crises militaro-politiques, l'économie de la République centrafricaine a connu en 2024 une "reprise modérée" selon la Banque mondiale, qui note une petite accélération de sa croissance (+1,5%, contre +0,7% en 2023). La situation sécuritaire dans le pays s'est nettement améliorée, même si l'instabilité perdure à l’Est à la frontière des deux Soudan.
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